La rupture du contrat de travail en droit congolais: examen du motif basé sur la crise de confiance( Télécharger le fichier original )par Fortuné PUATI MATONDO Université Kongo RDC - Licence en droit option droit public 2012 |
CHAPITRE III. DE L'APPLICATION DE LA NOTION DE LA CRISE DE CONFIANCE EN DROIT DU TRAVAIL CONGOLAIS : Etude jurisprudentielleNous ne saurons pas développer le présent chapitre sans pourtant avoir une idée du rôle de la jurisprudence qui, à ce stade, fera l'objet de notre étude. Dans notre système juridique, la jurisprudence n'est pas une source formelle obligatoire de droit positif144(*). Mais son importance comme source indirecte, immédiate, du droit ne peut être négligée145(*). En effet, il incombe au juge, « fidèle serviteur de la loi », de trancher le litige qui lui est soumis en appliquant le texte légal adéquat. Or, dans la mesure où elles sont rédigées en des termes généraux, voire ambigus, les règles générales de conduite doivent être interprétées. Telles est la première fonction de la jurisprudence. Une deuxième fonction se manifeste lorsque le juge se trouve en présence d'une situation non réglementée par la loi. Ne pouvant pas s'abriter derrière le silence de la loi pour refuser de trancher le litige qui lui est soumis, il lui appartient d'y suppléer, en recourant notamment aux principes généraux écrits. L'application des règles aux différends qui leur sont soumis permet aux juges d'adapter le contenu de celles-ci aux évolutions de la société. Il s'agit là d'une troisième fonction de la jurisprudence. Enfin, est-il besoin de souligner que, par ses décisions, le juge attire parfois l'attention du législateur sur la nécessité d'intervenir en vue d'opérer l'une ou l'autre réforme ou de combler des lacunes ? Souvent relayée alors par la doctrine, la jurisprudence peut donc exercer également une fonction d'« incitation législative ».146(*) Le droit est ce que la jurisprudence en fait. « On ne connaît bien une règle, on ne se rend compte de son importance qu'autant qu'on a étudié toutes les décisions de jurisprudence auxquelles son application a donné lieu ». Bref, la jurisprudence, c'est le droit concret, incarné, vécu, pratiqué sur le terrain147(*). En somme, c'est dans cette optique que nous allons entamer les sections du présent chapitre relatives à l'analyse du jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Cataractes/Mbanza-Ngungu ainsi que des arrêts rendus par la Cour d'appel de Kinshasa/Gombe en matière de rupture du contrat de travail pour crise de confiance. SECTION I. AFFAIRE M. VITA c/ la Compagnie SUCRIERE DE KWILU-NGONGO (RAT 244 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CATARACTES/MBANZA-NGUNGU)Dans la présente section, nous allons aborder un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Cataractes/Mbanza-Ngungu dans la province du Bas-Congo en application de la notion de la crise de confiance. PARAGRAPHE 1. Données de l'espèceDepuis le 13 août 1974, Sieur M. VITA conclût avec la Compagnie SUCRIERE DE KWILU-NGONGO un contrat de travail à durée indéterminée, qui l'employa à sa direction agronomique. Ayant exécuté loyalement et fidèlement son contrat pendant 36 ans de services ininterrompus, contre toute attente, en date du 18 novembre 2010, Sieur M. VITA, chef de bloc agricole I de la Compagnie précitée, recevra la notification de la résiliation de son contrat de travail pour perte de confiance. En effet, à la fin de la campagne 2010 en date du 21 octobre, une partie des saisonniers agricoles du Bloc I de la Compagnie précitée déclenchaient une grève qui a paralysé des activités de la société pendant environ 4 jours et causant un dommage à l'avion de la Compagnie au moment où son Administrateur Délégué voulait décoller pour Kinshasa. Tenant à démanteler les mains noires de cette grève et pour une question de transparence afin de ne pas apparaître juge et partie, la Compagnie a confié l'enquête à un service spécialisé de l'Etat congolais. Il s'est avéré par la suite que Sieur M. VITA été parmi les complices de ladite grève, raison pour laquelle la Compagnie s'est décidée de le licencier avec préavis parce que celle-ci ne pouvait plus se permettre de lui faire confiance, soutient-elle. Pour le demandeur, Sieur M. VITA, il y a violation de statut des Cadres de direction de la Compagnie, violation du code du travail et de plusieurs principes de droit. Par ailleurs, il soutient aussi qu'on ne peut jamais sanctionnés sur base des rumeurs et des soupçons. Conformément au statut des Cadres sus évoqué, Sieur M. VITA attendait paisiblement et sereinement sa retraite afin de bénéficier de tous les avantages y afférents, à obtenir de son employeur au courant de l'année 2011. Ayant considéré que ce licenciement était abusif, irrégulier et sans motif valable, sieur M. VITA a sollicité d'être rétabli dans ses droits en lui traitant comme retraité et en lui accordant tous les avantages y afférents. La tentative de conciliation ayant échoué, l'inspecteur du travail a adressé le procès-verbal de non-conciliation numéro 22/004/ILT/DC/MB.NG/01_R.1055/2011 du 10/03/2011 grâce auquel le demandeur a saisi le Tribunal de Grande Instance de Cataractes/Mbanza-Ngungu en vue d'obtenir réparation du préjudice subi à la suite de la rupture abusive de son contrat de travail. Pour la Compagnie SUCRIERE, partie défenderesse, c'était une surprise dont il n'y avait pas à contester le contenu d'un rapport officiel. Elle n'avait aussi pas à demander des explications aux personnes citées parce que la confiance en eux pour la société était ébranlée. C'est ainsi qu'elle avait prise l'initiative, en vertu du code du travail, de résilier le contrat de travail de Sieur M. VITA au vu du rapport officiel. La défenderesse a aussi soutenu qu'elle avait bien suivi la réclamation formulée par la défense de Monsieur M. VITA sollicitant une réparation à l'amiable et la commutation du licenciement avec préavis de celui-ci en pension. Telle n'était pas la position de la Compagnie. Celle-ci soutient que si elle avait été sévère, c'est sans préavis qu'elle serait séparée de cet agent, et, par conséquent, elle n'a donc aucunement accepté la conciliation. La défenderesse a estimé que le licenciement est intervenu à la suite de la perte de confiance qu'elle avait envers son employé et ce, pour des faits sus cités et repris dans la lettre de licenciement. Elle a ajouté que ce n'est pas avec une demande d'explications qui comme par un coup de bâton magique, rétablirait la confiance perdue. Se fondant sur l'article 7 de la convention internationale 158 du 22/06/1982 portant Cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur qui dispose : « un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à la conduite ou à son travail avant qu'on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées à moins que l'on ne puisse pas raisonnablement attendre de l'employeur qu'il lui offre cette possibilité » ; la défenderesse a soutenu qu'elle avait passer outre la demande d'explication. La défenderesse soutient encore que comme Monsieur M. VITA avait servi l'entreprise pendant longtemps, il sera équitable et humanitaire de lui payer une indemnité de préavis proportionnellement aux 36 ans que l'intéressé a presté en son sein. En l'espèce, le tribunal a trouvé les moyens du demandeur non fondé. En effet, il est inexact, note le tribunal, d'affirmer que les prescrits du statut des Cadres précité aient été violé lorsque l'on sait que les normes internationales ont toujours prévalence sur les autres sources de droit. Dans le cas sous examen, le licenciement du demandeur a été à la suite de perte de confiance que la défenderesse avait vis-à-vis de son employé qui n'avait mené aucune action dissuasive pour empêcher toutes les grèves qui s'organisaient au bloc I dont il avait la supervision, lesquelles grèves ont endommagé l'avion de la défenderesse. Ainsi, le tribunal a considéré de bon droit que la défenderesse résilie le contrat de travail du demandeur pour perte de confiance. Le tribunal a fait observé que le licenciement intervenu entre parties étant régulier, les autres chefs de demande de Sieur M. VITA relatif à la condamnation de l'assignée à la somme de 50.000 $ US pour rétablissement de ses droits, 56.000 $ US à titre des dommages-intérêts pour résiliation sans motifs valable du contrat à durée indéterminée, 150.000 $ US à titre des dommages-intérêts confondus et l'application de l'article 21 du code procédure civile ne sont plus fondés. PAR CE MOTIFS, Vu le code de l'organisation et de la compétente judiciaire ; Vu le code procédure civile ; Vu le code civil livre III ; Vu l'article 7 de la convention internationale 158 du 02 juin 1982 portant cessation de la relation du travail à l'initiative de l'employeur ; Vu les autres textes légaux afférents à la cause ; Le tribunal statuant publiquement et contradictoirement à l'égard des parties litigantes et par rejet de toutes conclusion contraires en surabondantes des parties ; Le Ministère public entendu en son avis écrit ; Reçoit l'action mue par le demandeur MUMANGA VITA mais la dit non fondée pour sa raison susdite ; En conséquence, l'en déboute ; Constate que le licenciement intervenu entre parties est régulier ; Reçoit l'action reconventionnelle postulée par la défenderesse, la Compagnie SURIERE DE KWILU-NGONGO, SARL mais la dit également non fondée comme démontré supra ; Délaisse au demandeur et à la défenderesse, respectivement les 7/8 et 1/8 des frais d'instance. Ainsi jugé et prononcé par le Tribunal de Grande Instance de MBANZA-NGUNGU à son audience publique de ce vendredi 13 janvier 2012 à laquelle a siégé le Magistrat A. NZEDI, président de chambre, avec le concours de E. MUKUAMBELE, Officier du Ministère public et l'assistance de Monsieur A. BAKETIMINA, Greffier du siège. * 144 Lire utilement l'article 1er de l'Ordonnance de l'Administrateur Général au Congo du 14 mai 1886 des principes à suivre dans les décisions judiciaires. * 145 Axel de THIEUX et Imre KOVALOVSZKY, Précis de méthodologie juridique, sources documentaire du droit, Bruxelles, 1995, p. 313. * 146 Idem, p. 312. * 147 Axel de THIEUX et Imre KOVALOVSZKY, Op. cit., p. 313. |
|