Apéritif et sociabilité. Etude de la consommation ritualisée et traditionnelle de l'alcool( Télécharger le fichier original )par Anaà¯s Gayot Université d'Aix-en-Provence - Master 1 d'anthropologie sociale et culturelle 2007 |
C - La problématique du seuilDe manière conventionnelle, se retrouver pour boire l'apéritif ne signifie pas que l'on va s'enivrer. Au contraire, l'ivresse n'est pas le but recherché et l'apéritif est surtout un prétexte à la sociabilité qui se maintient grâce à la sobriété. L'émergence des apéritifs non alcoolisés "Mister cocktail" atteste cette réalité. La question du seuil est une notion pleine d'intérêt pour notre sujet. Elle s'exprime à deux niveaux distincts : d'une part à travers sa place dans un espace temps donné et d'autre part sur les effets encourus par l'absorption d'alcool. a- Une frontière symboliqueLa littérature sur le boire fait souvent référence à cette question du seuil, en évoquant l'action d'intermédiaire de la boisson alcoolisée. Cette dernière, nous dit Carmen Bernand, permet à "l'étranger de franchir le seuil qui le sépare de son amphitryon"217(*). L'apéritif en tant que pratique donnant lieu à la suggestion à boire joue un rôle d'autant plus symbolique qu'il introduit la rencontre. L'alcool permet ainsi de se rapprocher, de faire connaissance, d'entrer en relation. L'étrangeté et l'intimité se côtoient, la frontière est levée par l'échange du geste de boire. L'apéritif invite à dépasser cette frontière, comme l'on peut franchir la porte d'un lieu. Celui du café encore plus qu'ailleurs, nous fait passer dans une autre réalité et répond à des étapes soulignées par la boisson. De plus, le fait de boire à un moment précis de la journée, avant midi et avant le couché du soleil accentue le sentiment de franchir une frontière autant relationnelle que spatiotemporelle. b- Entre mesure et démesureUn second point, d'une autre envergure, est à mettre en lumière. La question du seuil se réfère également à l'état d'ébriété dans lequel peut éventuellement s'adonner le groupe de buveur. La mesure et la démesure sont des comportements à adopter plus ou moins strictement selon le contexte. L'apéritif, en soi, est plutôt un moment de détente propice à la communication et à l'échange relationnel nécessitant une retenue appropriée. L'excès d'alcool engendré par une consommation collective provoque des conduites démesurées, explique Véronique Nahoum-Grappe. Ces situations sont alors programmées par le groupe dans certaines occasions qui se répètent et auxquelles le sujet ne peut que difficilement échapper218(*). La maîtrise de soi reste, néanmoins, l'attitude conventionnelle à adopter. Le risque d'ivresse se joue sur un fil et l'enjeu est de ne pas dépasser la limite définie implicitement par la société, par les règles de la sociabilité. Pour Antoine Furetière "le seuil de la démesure se situe au troisième coup"219(*) auquel cas les "dégâts" commencent. Pourtant, allusionne Emmanuel Kant, "la frontière de la maîtrise de soi" peut facilement être franchie puisque la rencontre conviviale sollicite la satisfaction commune induisant, quand il s'agit d'une invitation, que l'hôte reparte "pleinement satisfait"220(*).
L'apéritif répond à des normes plus ou moins souples et non formelles. Il se situe dans un espace temps précis qui implique une attitude à tenir. Encadré par des horaires, par des lieux et par des activités (le travail et le repas), il n'est pas conforme de dépasser un certain seuil au risque d'être en décalage avec la société. Le thème de l'apéritif pourrait, on le voit, être étudié dans des directions multiples. À travers les spécificités régionales, une recherche sur les comportements pourrait établir des types de personnalités culturelles propres aux coutumes locales. Quant au concept de don, l'accent est mis sur l'aspect relationnel suggéré par une coutume ancestrale du boire. En revanche, on se focalisera, par le biais de l'étude du seuil, sur les limites de la pratique régies par des lois sociales. La liste des perspectives d'études pourrait être longue car la bibliographie survole de nombreux points. Cette partie montre la double facette d'une pratique sociale et culturelle dont l'objet principal est l'alcool. La bibliographie propre à l'apéritif propose des informations touchant régulièrement les dérives de l'alcool. Cet état de fait constitue une limite à notre recherche dont l'objectif était d'analyser les objets légitimes de l'alcoolisation. La bibliographie propose également des ouvertures innombrables qui, là aussi, ne permettent pas une étude entièrement approfondie de l'apéritif. Cette réalité nous enferme, mais permet des objectifs de terrains très variés. * 217 _ BERNAND, Carmen. 2000. Op. Cit., p. 41. * 218 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1990. Op. Cit., p. 112. * 219 _ FURETIÈRE, Antoine. 1960. Le dictionnaire universel. Paris. Cité par NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1989 b. « "Boire un coup..."», Terrain, n°13, (Boire). * 220 _ KANT, Emmanuel. 1979. Op. Cit., p. 49. |
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