Section 2 : LA DIFFICILE RECHERCHE DES SOLUTIONS AUX
DISCRIMINATIONS ETATIQUES
L'idée ici est de montrer que l'application du droit
communautaire ne peut être efficace sans l'intervention des mesures
destinées à assurer son application effective. En effet, les
discriminations du fait des Etats sont pratiquement inévitables dans
toute communauté intégrative en raison de leurs
égoïsmes naturels, et il appartient dès lors au dispositif
communautaire de prévoir des mesures propres à faire face
à cela (para. 1). Par ailleurs, le dispositif communautaire en
matière de respect des droits des étrangers d'origine
communautaire présente des lacunes qu'il faut combler (para. 2).
Para. 1 : LA CJC , GARANT EFFICACE DES LIBERTES
COMMUNAUTAIRES ?
Il s'agit en fait de la Chambre judiciaire de la Cour de
Justice Communautaire qui se présente comme le protecteur des
libertés consacrées par le législateur communautaire. La
question se pose toutefois, au regard du dispositif communautaire, de savoir si
la protection de la Chambre judiciaire peut être effective et efficace.
La réponse doit être nuancée car le législateur a
tout de même prévu un contrôle juridictionnel des
activités de la Communauté en général (A),
même si celui-ci connaît de nombreuses limites (B).
A- Le contrôle juridictionnel des libertés
communautaires par la chambre judiciaire
Ce contrôle est déduit des compétences de
la Chambre Judiciaire de la CJC. En effet, la compétence de cette
chambre en matière de droits des ressortissants communautaires ressort
d'une lecture combinée de diverses dispositions éparses dans les
textes communautaires. Ainsi, la Chambre Judiciaire est compétente pour
assurer le respect des
droits dans la mise en oeuvre et l'application du droit
communautaire.184 S'il est vrai que ces dispositions ont
plutôt tendance à assurer la mise en oeuvre du droit communautaire
dans son ensemble, nul doute qu'elle vise, particulièrement en ce qui
nous concerne, le respect des libertés communautaires ; car la
conséquence est que la Chambre Judiciaire est compétente pour
connaître tous les cas où, par divers actes matériels ou
juridiques, les Etats membres entendent entraver à ces libertés
prévues par tout texte de la CEMAC.185 La Chambre judiciaire
se pose ainsi en gardienne de ces droits et veille à leur bon respect.
L'importance de ce contrôle juridictionnel des libertés
communautaires s'analyse à travers la saisine de la Cour (1) et ses
pouvoirs (2).
1- La saisine de la Cour
La large possibilité de saisir la Chambre Judiciaire
de la CJC constitue un gage de son efficacité en matière de
droits des ressortissants étrangers. En effet, l'article 14 de la
Convention régissant la CJC reconnaît un large droit de saisine de
cette chambre dès lors qu'il pose que celle-ci statue « sur
recours de tout Etat membre, de tout organe de la CEMAC, ou de toute personne
physique ou morale » justifiant d'un intérêt
légitime et certain de tous les cas de violation et de non respect des
dispositions du Traité et de ses textes subséquents. C'est une
mesure d'autant plus importante qu'elle donne la possibilité notamment
à toute personne physique victime d'un acte discriminatoire de la part
d'Etat membre d'accueil, d'obtenir la sanction de cet acte. En principe, la
nécessité d'un intérêt légitime ne devrait
pas être un obstacle car l'Etat congolais peut saisir la Chambre
Judiciaire pour un cas d'expulsion des gabonais au Tchad, tout Etat membre
ayant intérêt à ce que l'intégration personnelle se
développe sans embûche. La large ouverture du droit de saisine
jusqu'au simple citoyen s'analyse donc comme une mesure pouvant faciliter le
rôle de la Chambre car une saisine réduite ou politique aurait des
effets néfastes et limiterait les pouvoirs de la Chambre.
2- Les pouvoirs de la Chambre Judiciaire
C'est ici que la réelle efficacité de la Chambre
en matière de droits des ressortissants communautaires est le plus
appréciée car il faut savoir si de par les pouvoirs à elle
conférés, elle peut efficacement les protéger.
184 Article 5 alinéa 1 du Traité instituant la
CEMAC, 74 de la Convention régissant l'UEAC et 2 de la Convention
régissant la CJC.
185 Article 4 alinéa 1 Convention régissant la
CJC.
A cet effet, la première remarque est que la Convention
de la CJC dote les décisions rendues par la Cour de l'autorité de
la chose jugée et de la force exécutoire.186 Ce qui
veut dire qu'elles sont définitives et directement applicables à
l'égard de l'Etat défaillant sans qu'il soit nécessaire
d'engager une autre procédure à cet effet. C'est dire que
l'illégalité reconnue par la Cour d'un comportement
étatique discriminatoire à l'égard des autres
ressortissants communautaires doit entraîner la levée
immédiate ou sa sortie immédiate de l'ordre national, puisque,
poursuit le texte, « l'Etat membre dont l'acte a été
jugé non conforme au droit communautaire est tenu de prendre des mesures
nécessaires à l'exécution de la décision de la
Chambre judiciaire ».187 Cela implique, comme le souligne
un auteur, que « la constatation par la Cour qu'un Etat membre a
manqué à ses obligations communautaires implique pour les
autorités tant judiciaires qu'administratives de cet Etat, d'une part,
prohibition de plein droit d'appliquer la réglementation nationale
incompatible avec le droit communautaire et, d'autre part, l'obligation de
prendre toutes les dispositions pour faciliter la réalisation du plein
effet du droit communautaire ».188
Par ailleurs, en cas de saisine de la Chambre pour non respect
d'une liberté communautaire, elle peut ordonner le sursis à
exécution de l'acte ou du comportement querellé, par
dérogation au principe du recours non suspensif.189 C'est
dire qu'elle peut par exemple ordonner qu'il soit sursis à une
décision d'expulsion d'étrangers d'origine communautaire prise
par les autorités d'un Etat membre. Elle peut même, selon
l'article 24 de la Convention, prendre des mesures provisoires ou
conservatoires nécessaires pour sauvegarder les droits des
ressortissants communautaires se trouvant sur le territoire d'un Etat membre si
elle estime que de la prise de ces mesures dépend le respect de ces
libertés. Ces mesures permettent d'éviter que des actes
notoirement illégaux ne soient appliqués et que leur annulation
future ne soit pas suivie d'effet. Il s'agit d'éviter que des dommages
irréparables ou difficilement réparables ne se produisent.
Enfin, la compétence en matière
d'interprétation des articles 5 du Traité CEMAC et 17 et suivants
de la Convention régissant la CJC, notamment à travers son droit
d'auto saisine de l'article 19 de la Convention régissant la CJC,
constitue aussi une garantie du respect des libertés communautaires en
ce sens que son interprétation contribue à mettre fin aux
appréhensions erronées des Etats membres susceptibles de
restreindre ou d'éliminer les droits
186 Article 5 de la Convention régissant la CJC.
187 Article 16 alinéa 1 de la Convention régissant
la CJC.
188 BERGERES (M-C) : Contentieux communautaire,
3ème édition mise à jour, PUF 1998, p.203.
189 Article 23 de la Convention régissant la CJC.
consacrés.190 Ces interprétations
s'imposent donc aux Etats qui, en pratique, font montre d'entêtement en
raison de l'absence de contrainte.
|