Para. 2 : LES MANIFESTATIONS DES DISCRIMINATIONS DU FAIT
DES ETATS
La conséquence de ces discriminations est que le
ressortissant communautaire n'est pas, partout au sein de la Communauté,
chez lui. Il y a une non application volontaire des textes consacrant les
libertés communautaires et par voie de conséquence une
distinction entre les nationaux et les étrangers d'origine
communautaire. Les discriminations sont donc
168 Propos du ministre équato-guinéen des affaires
étrangères de l'époque, rapportée par le journal La
Nouvelle Expression N°1239 2004, p. 4. Voir CHOUALA (Y-A), op. cit.,
p.8.
169 CHOUALA (Y-A) : Op. cit., p.5.
170 Ibid., p. 2.
171 Pour reprendre es termes de KOUFAN MENKENE (J) et TCHUDJING
(C) op. cit., p.337.
172 Il faut cependant dire que les avis sont partagés
à cet effet, certains croyant que l'accusation est faite à tort
et n'est qu'un prétexte pour perpétrer à leur égard
des discriminations de toutes sortes, et d'autres que cette accusation est
juste et décrit justement le comportement des camerounais à
l'étranger.
173 Citées par KOUFAN MENKENE (J) et TCHUDJING (C) dans
l'article précité, p.343.
générales et étendues à tous les
domaines où les libertés sont consacrées. Cependant, on
peut considérer que certaines discriminations sont, de part leur
importance, leur gravité ou leur récurrence, plus significatives
que les autres si bien qu'il est important qu'on s'y attarde. C'est le cas de
la non harmonisation des législations nationales (A) et de la
récurrence des expulsions massives (B).
A- L'absence d'harmonisation des législations
nationales
La reconnaissance au profit de l'étranger ressortissant
communautaire d'une condition confortable passe inévitablement par une
harmonisation des législations nationales dans les matières
où les droits sont consacrés, analysée comme la
réception par les droits nationaux des dispositions communautaires. Il
s'agit d'une exigence formelle de la Convention régissant l'UEAC qui
dispose en effet que la réussite de l'intégration personnelle en
CEMAC implique une « harmonisation préalable dans un
délai maximum de cinq ans des règles relatives à
l'immigration dans chaque Etat membre, des dispositions pertinentes des codes
de travail nationaux [et] des dispositions législatives et
réglementaires applicables aux régimes et organismes de
protection sociale ».174 Pourtant, plus de cinq ans
après l'entrée en vigueur de la Convention, le constat est amer
et symptomatique de la mauvaise volonté des Etats et de la situation des
étrangers en zone CEMAC. L'harmonisation couvre trois domaines
différents et aucun d'entre eux n'a fait l'objet d'une telle
procédure dans les Etats. Il faut tempérer le propos
néanmoins en précisant qu'en matière sociale, le processus
d'harmonisation est à un stade plus ou moins avancé avec
l'intervention des Conventions OCAM et CIPRES qui offrent aux Etats parties une
unité de régime en la matière et auxquelles tous les Etats
de la CEMAC ont souscrit175, tout comme dans les matières
régies par le droit OHADA.
En matière d'immigration, les législations
nationales continuent d'être aussi fermées les unes que les
autres. En effet, elles continuent à ne faire aucun distinguo entre
l'étranger ressortissant communautaire et l'étranger non
ressortissant, et soumettent à tous des modalités administratives
complexes pour l'entrée et la circulation sur les territoires
étatiques.176
La remarque est tout autant amère en matière de
travail des étrangers dans les pays de la sous région et la
discrimination est ici flagrante. En effet, la lecture combinée des
dispositions relatives au travail dans ces Etats fait ressortir diverses
discriminations à l'égard des étrangers, quels qu'ils
soient, et qui se manifestent notamment par l'exigence du visa
174 Articles 27 alinéa (a) para.1 de la Convention
régissant l'UEAC.
175 Voir supra, première partie, chap.1, section 1,
para.2.
176 Voir note n° 17
administratif, d'une autorisation d'emploi, d'une attestation
pour certaines professions, de la fixation d'un quota pour travailleurs
étrangers, et dans certains pays, de la non disponibilité
préalable d'un travailleur national pour l'emploi
visé.177 En réalité, ce qui est reproché
aux Etats de la CEMAC, c'est moins de fixer des conditions
supplémentaires pour l'emploi des étrangers,178 que de
ne faire aucune distinction en direction des étrangers d'origine
communautaire.
Par ailleurs, si le reproche avancé aux Etats de la
CEMAC l'est à raison de leur comportement négatif,
c'est-à-dire leur abstention à l'harmonisation voulue par le
législateur communautaire, on a aussi constaté un comportement
positif qui s'analyse comme une limite à l'harmonisation. Il s'agit de
l'attitude de la Guinée Equatoriale qui a, en fin avril 2008, rendues
publiques les nouvelles modalités à remplir pour l'obtention de
la carte de séjour pour les camerounais vivant sur son territoire ainsi
que ceux qui aspirent s'y rendre. Désormais, ils doivent
témoigner des conditions comme avoir une autorisation du Gouverneur, une
attestation d'ouverture de compte, un certificat de bon voisinage, une
déclaration sur l'honneur, un certificat d'imposition, un certificat de
bonne conduite, une attestation de non endettement, etc.,179 toute
chose qui vise à ralentir considérablement le processus
déjà fortement amorcé de l'intégration
personnelle.
Toutefois, même si toutes les mesures nationales ne
rentrent pas en droite ligne de l'harmonisation voulue par le
législateur, et par conséquent lui sont contraires, on peut
néanmoins penser que la primauté et l'effet direct du droit
communautaire constituent des solutions envisagées pour non seulement
obliger les Etats à se plier à la nouvelle donne
communautaire,180 mais aussi permettre aux ressortissants
communautaires de l'invoquer directement, en ignorance des textes nationaux
contraires, et par voie de conséquence éviter les gestes de
xénophobie tels que les expulsions massives.
177 Il s'agit des articles 27 de la loi N°92/007 du 14
août 1992 portant code de travail du Cameroun, 2 du décret
N°93/571/PM du 15 juillet 1993 fixant les conditions d'emploi des
travailleurs de nationalité étrangère pour certaines
professions au Cameroun ; 21 alinéa (a) para.3 de l'ordonnance
N°90/001 du 29 janvier 1990 créant le régime de la zone
franche au Cameroun ; 67 et 493 de la loi N°038/PR/96 du 11
décembre 1996 portant code de travail de la République du Tchad ;
33 alinéa 2 de la loi N°45/92 du 9 mai 1992 portant code de travail
de la République du Congo ; et 104 et 105 de la loi N°03/94 du 21
novembre 1994 portant code de travail de la République du Gabon.
178 Même si ces dispositions entrent en contradiction
avec les deux conventions de l'OIT qui ont été ratifiées
par la quasi-totalité des pays de la CEMAC, à savoir la
Convention N°111 adoptée le 4 juin 1958 portant prohibition des
discriminations en matière d'emploi et de profession ; et la Convention
N°143 adoptée le 4 juin 1975 portant promotion de
l'égalité des chances et de traitement des travailleurs
migrants.
179 Source Mutations du 20 juin 2008.
180 GNIMPIEBA TONNANG (E) : « La libre circulation des
personnes et des services en Afrique Centrale : entre consécrations
théoriques et hésitations politiques », op. cit., p.87.
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