La condition juridique des étrangers en zone CEMAC. Contribution au diagnostic de l'intégration personnelle en Zone CEMAC( Télécharger le fichier original )par Eric- Adol GATSI TAZO Université de Dschang Cameroun - Diplôme d'études approfondies 2009 |
B- Les motifs sécuritairesLes obstacles à l'intégration personnelle en CEMAC peuvent aussi trouver une origine tout aussi plausible dans les soucis sécuritaires présents au sein de la sous région et qui peuvent être avancés par les uns et les autres. Mentionnons qu'il ne s'agit pas ici de la sécurité au sens de la sécurité publique que nous avons étudiée largement au chapitre de la réserve d'ordre public. Ceci dit, ces motifs sécuritaires peuvent englober deux réalités. 153 MBARGA NYATTE (D) : « La dynamique intégrative en Afrique Centrale : perspectives et limites de la CEMAC » in Dynamique d'intégration régionale en Afrique Centrale. Intégration Afrique Centrale, Tome 1, PUY 2001. 154 Source Cameroun.info.net. 155 CHOUALA (Y-A) : Op. cit., p.2. 1- Les instabilités politiques des différents Etats Tous les Etats de la CEMAC sont victimes des crises identitaires qui peuvent nuire à toute politique d'intégration en général et d'intégration personnelle en particulier. En effet, face à de pareilles crises, les Etats de la CEMAC, non encore politiquement solides intérieurement, peuvent négliger le processus d'intégration. A ce titre, les dispositions communautaires ont du mal à trouver une traduction sur le terrain puisque l'attention est détournée au profit des crises internes.156 Au Cameroun, le renouveau de la question fédérale se pose sans relâche, même si ces dernières années, cette question se pose de manière moins explicite. Tout compte fait, on a assisté à des vagues de manifestations en vue d'exiger l'instauration du fédéralisme, dont une première en février 1992 à divers endroits du pays, et une seconde en début janvier 2003 dans la seule partie anglophone du pays. Leur but étant unique : reconnaître la naissance de la République du Cameroun Occidental représentée par les deux provinces anglophones du Nord-Ouest et du Sud-ouest.157 Au Tchad, il faut souligner la récurrence des combats à divers endroits du pays opposants les forces gouvernementales et le Mouvement pour la Démocratie et la Justice du Tchad.158 La succession de ces combats dans le pays a encore été démontrée en début d'année 2008 avec la tentative de déstabilisation du régime en place. Au Congo, on a assisté à de nombreuses irruptions majeures de violence depuis 1993, qui ont eu plusieurs manifestations : luttes partisanes articulées par des rivalités personnelles entre leaders politiques, revendications politiques des identités ethno régionales, violences urbaines,159 couronnées par la (re)prise du pouvoir suprême de l'Etat par voie de coup d'Etat en 1997. Au Gabon, la violence remarquée est purement politique et se manifeste par des contestations de l'ordre politique existant et des soulèvements populaires de mécontentement.160 156 A titre de comparaison, les Etats de l'UE connaissent certes une insécurité perpétrée par les mouvements séparatistes, mais sont assez armés pour lutter contre les forces centrifuges d'une part et gérer les actions d'intégration d'autre part, chose difficile pour les Etats encore en quête d'identité nationale. 157 MBARGA NYATTE (D): Op. cit., pp. 363-364. 158 Ibid. 159 Ibid. 160 Ibid En RCA, les mutineries successives ont entraîné le pays dans un désordre où la violence sévit presque au quotidien. Ces violences ont été couronnées en mars 2003 par un coup d'Etat militaire qui a débouché sur la reprise violente du pouvoir. En Guinée Equatoriale, la mésentente s'analyse d'abord en une réclamation par certaines tribus, en l'occurrence les Bubis, de l'obtention de meilleurs droits dans la distribution des revenus pétroliers.161 Par ailleurs, on y a assisté aussi à des attaques non moins violentes telles que le coup d'Etat avorté de 1997 et des attaques violentes successives. Bien plus, le spectre d'un coup d'Etat armé y plane sans relâche, et un auteur de dire : « une évolution similaire [de la situation en Guinée Equatoriale] à celle que connaissent le Delta nigérian ou le Sud tchadien n'est pas exclue ».162 De manière générale, les revendications identitaires et le contrôle des espaces peuvent sérieusement nuire au processus d'intégration personnelle amorcé en zone CEMAC. La violence qui en résulte en effet est propre à instaurer un climat de non sérénité qui apparaît ainsi comme un frein à tout acte d'intégration entre les Etats en ce sens que ceux-ci détournent leur attention au profit des crises internes, tout en négligeant par là même le mouvement d'intégration entamé et qui doit être la priorité. Ainsi, le phénomène de coupeurs de route au Cameroun, en RCA et au Tchad, la multiplication des blocages particulièrement violents dans la sous région sont toutes choses qui concourent à décourager tout ressortissant de la Communauté désireux de se rendre sur les territoires de ces Etats dont la tiédeur des relations peut constituer, elle aussi, un obstacle au processus d'intégration personnelle. 2- Les tensions entre les Etats membres Les relations tendues entre les différents Etats membres de la CEMAC constituent également un motif de non application des libertés communautaires. Le fait est que ce climat de tension entre les Etats crée une méfiance et une xénophobie entre leurs différents peuples si bien que l'un répugne à voir les ressortissants de l'autre sur son territoire. Au sein de la CEMAC, une approche historique nous fait découvrir que si les relations entre tous ces pays de la CEMAC ne sont pas toujours au beau fixe, les véritables tensions observées ont toujours mis en cause la Guinée Equatoriale avec l'un de ses voisins. 161 ROITMAN (J) et ROSO (G) : « Guinée Equatoriale : être « off shore » pour rester national » in Politique Africaine N°81 mars 2001. 162 Ibid, p.14. Les tensions entre la Guinée Equatoriale et ses voisins163 durent depuis la période coloniale,164 mais elles ont persisté jusqu'aujourd'hui et constituent de nos jours un frein sérieux à l'intégration personnelle. Bien plus, ces tensions couvrent des aspects et des sujets aussi variés que les problèmes frontaliers ou territoriaux, les problèmes géostratégiques et les enjeux économico politiques de leurs relations. D'abord, avec le Gabon, la Guinée Equatoriale se dispute les parcelles territoriales et maritimes relativement à leurs frontières communes. Mais c'est à propos des îles situées au large de leurs côtes que les problèmes frontaliers entre ces deux Etats se sont le plus manifestés, notamment concernant les îles équato-guinéennes de Banié, Cocotiers, et Conga qui ont été annexées par le Gabon, ce qui lui permettait de bénéficier d'une zone économique exclusive (ZEE) importante et d'une large ouverture sur la mer.165 Par ailleurs, ces îles étant très riches en pétrole, le Gabon a vite fait d'y installer manu militari sa souveraineté, et même si un accord d'exploitation commune des ressources de cette île a été signé entre les deux parties, le Gabon n'a pas l'intention de restituer de si tôt la souveraineté équato-guinéenne sur ces îles.166 Ensuite, c'est avec le Cameroun que la Guinée Equatoriale va avoir de plus graves tensions, moins en ce qui concerne les frontières maritimes ou terrestres que pour ce qui est des problèmes stratégiques et économiques. En effet, l'alliance de la Guinée Equatoriale avec le Nigeria va réveiller les craintes du Cameroun qui soupçonne celle-là de vouloir mettre son territoire à la disposition de celui-ci pour perpétrer des actes d'agression au Cameroun. Le Cameroun qui en réaction fera construire une base militaire à Olam-Zé au Sud du pays sera accusé par la Guinée Equatoriale d'abriter sur son sol des dissidents équato-guinéens qui préparent une attaque armée contre le régime en place.167 Plus récemment encore, en 2004, la Guinée Equatoriale accusait le Cameroun d'accepter sur son territoire des putschistes qui ont 163 Principalement entre le Cameroun et le Gabon, ses voisins les plus proches et avec lesquels elle entretient les relations les plus intenses. 164 Le Cameroun et le Gabon voulant l'un l'annexer complètement et l'autre d'agrandir son territoire à son détriment. Voir KOUFAN MENKENE (J) : « Un exemple de blocage du processus d'intégration en Afrique Centrale : la persistance des facteurs conflictuels entre la Guinée Equatoriale et ses voisins francophones depuis 1979 » in Dynamiques d'intégration régionale en Afrique Centrale. Intégration Afrique Centrale, Tome 1, PUY 2001. 165 Ibid., pp.331 à 335. 166 Ibid., pp.338 et 339. 167 Ibid., pp.334 et 335. l'intention d'amorcer un coup d'Etat, ce qui serait susceptible de « déstabiliser non seulement la Guinée Equatoriale, mais aussi toute la sous région d'Afrique Centrale ».168 Par ailleurs, une autre cause de xénophobie pouvant naître entre le Cameroun et la Guinée Equatoriale réside dans l'implication de celle-ci dans le procès opposant celui-là au Nigeria à propos de la presqu'île de Bakassi. En effet, en prenant fait et cause en faveur du Nigeria, la Guinée Equatoriale a lésé un pays avec qui elle partage le même espace économique, mais aussi a attisé les tensions désormais latentes qui existent entre eux.169 Enfin, l'autre cause de la froideur des relations entre ces deux pays est constituée par « l'investissement des camerounais dans les activités criminelles »170 en Guinée Equatoriale, ou ce que certains ont appelé la « feymania des camerounais »171 qui exaspère les populations autochtones.172En effet, d'après les sources judiciaires et policières,173 les gabonais sont outrés par le taux très élevé de criminalité observé chez les équato-guinéens et les camerounais. D'après ces sources les ressortissants de ces deux pays sont respectivement responsables de 16% et de 14% de crimes et délits commis au Gabon. Au demeurant, ces différentes discordes observables entre les pays de la Communauté ont assurément une influence plus que négative sur la volonté du législateur d'assimiler les étrangers d'origine communautaire aux nationaux. En effet, la conséquence de pareilles situations est que le processus d'intégration est mis en veilleuse à la faveur des disputes, les responsables des pays sacrifiant les libertés communautaires à l'égard des ressortissants des pays avec lesquels ils sont en délicatesse, ce qui instaure une xénophobie entraînant des manifestations diverses. |
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