CHAPITRE II DISCRIMINATIONS DU FAIT UNILATERAL DES
ETATS
L'application des libertés reconnues aux ressortissants
communautaires où qu'ils se trouvent sur le territoire de la
Communauté peut faire l'objet de sérieuses limites. Pourtant, si
les limites que nous venons d'étudier trouvent leur origine dans la
protection des Etats d'une part et dans le souci de leur témoigner la
reconnaissance de leur souveraineté dans certaines matières
d'autre part, il demeure que d'autres limites à la reconnaissance
inconditionnelle d'une condition confortable de l'étranger en zone CEMAC
peuvent trouver leur origine dans des comportements unilatéraux des
Etats membres de la Communauté. A travers ces comportements, ceux-ci,
par diverses manigances parviennent à imposer des discriminations
à l'encontre des étrangers en général, et ceux
ressortissants de la Communauté en particulier. Le fait est que
l'intégration en général et précisément
l'intégration humaine ne va pas sans entraîner les
mécontents dans toute communauté intégrative puisque
l'ouverture des frontières est susceptible de fragiliser le tissu social
de certains pays. C'est dire que les causes de pareilles discriminations sont
nombreuses et leurs manifestations très visibles (section 1). La
situation n'est pourtant pas irrémédiablement compromise car des
mécanismes ont été mis sur pied pour combattre le non
respect des prescriptions communautaires, auxquels il faut ajouter les
perspectives possibles (section 2).
Section 1 : LES CAUSES ET MANIFESTATIONS DES
DISCRIMINATIONS DU FAIT DES ETATS
Les discriminations orchestrées par les Etats membres
de la Communauté à l'égard des étrangers
ressortissants communautaires se traduisent par divers traitements
préférentiels à l'avantage des nationaux, ou par des actes
de nature à léser les ressortissants des autres pays membres.
Mais il s'agit là des manifestations (para.2) qui se situent
chronologiquement après les causes (para. 1) que nous devons
étudier au préalable.
Para. 1 : LES CAUSES DES DISCRIMINATIONS DU FAIT DES ETATS
En un mot, les obstacles étatiques à la
reconnaissance au profit des étrangers ressortissants communautaires
d'une situation comparable à celle des nationaux, trouvent leur origine
dans l'expression des égoïsmes étatiques. En effet, on a
beau chanter les avantages de l'intégration personnelle, les Etats
trouvent qu'il leur est nécessaire, voire vital d'instituer des
comportements discriminatoires à l'endroit de tout étranger, soit
pour des motifs économiques
(A), soit pour des motifs sécuritaires (B)148.
Il faut tout de même souligner ici que ces causes du reste sont les
mêmes qu'on peut invoquer pour les obstacles à
l'intégration en général.
A- Les motifs économiques
Le premier motif économique qu'on peut avancer pour
expliquer le refus de reconnaissance des Etats membres au profit de tous les
ressortissants communautaires des avantages conférés aux
nationaux réside dans la crise de leadership qui existe entre certains
Etats membres de l'Afrique Centrale.149 En effet, tous les pays ne
s'accordent pas sur le leadership naturel du Cameroun, et multiplient des actes
en vue de le déclasser et assurer seul le leadership de la sous
région. L'exemple de la Guinée Equatoriale est à cet
égard très édifiant car se basant sur son statut de
nouveau riche, elle multiplie des agissements dans le but de «
gérer son reclassement géostratégique international et sa
montée régionale dans un contexte de leadership et
d'hégémonie structurels et historiques du Cameroun
».150 Cette lutte pour le leadership est de l'avis de
certains auteurs151 une raison suffisamment lourde pour expliquer,
du moins en partie, les discriminations orchestrées en direction des
étrangers ressortissants communautaires.
Par ailleurs, le second motif économique est
constitué par le souci de protection de l'économie nationale et
par conséquent du tissu social. En effet, le droit communautaire
commande une libre circulation des travailleurs152 et ses
implications au nombre desquelles la non discrimination fondée sur la
nationalité en ce qui concerne l'accès et l'exercice de l'emploi.
Pourtant, la situation dans laquelle se trouve la quasi-totalité des
économies nationales des Etats de la CEMAC est de nature à les
pousser à une application restrictive des libertés
communautaires. L'extraversion des économies de la sous région,
la dévaluation du franc CFA de 1994, la mise sous ajustement structurel
ainsi que l'endettement des pays de la sous région sont autant de
facteurs qui rendent les économies des Etats de la CEMAC faibles
148 Il convient de noter ici que les détracteurs du droit
communautaire européen invoquent la fragilité du tissu
économique et les problèmes de sécurité pour
critiquer l'ouverture incontrôlée des frontières.
149 Il s'agit des Etats les plus riches de la Communauté.
On peut citer le Cameroun, le Gabon, la Guinée Equatoriale et dans une
certaine mesure le Congo.
150 CHOUALA (Y-A) : « La crise diplomatique de mars 2004
entre le Cameroun et la Guinée Equatoriale : fondements, enjeux et
perspectives » in POLIS, Revue camerounaise science
politique, vol.12, numéro spécial 2004/2005.
151 Ibid.
152 Voir supra première partie, chap.1, section 1.
et fragiles.153 La conséquence est que tous
ces pays souffrent d'un taux de chômage élevé et la
priorité devient de l'éradiquer, même au mépris des
libertés communautaires. Dans ces conditions, la
pénétration des étrangers même ressortissants de la
Communauté constitue un facteur susceptible d'entraver la volonté
de ces Etats de lutter contre le chômage de ses ressortissants. Une fois
de plus, la Guinée Equatoriale nous offre un exemple frappant. En effet,
lors de l'inauguration d'un champ pétrolier de ce pays en début
d'année 2008, la population a signifié son mécontentement
du fait que plusieurs personnes de nationalité étrangère,
et en l'occurrence les camerounais, occupent des postes d'importance dans les
sociétés pétrolières au détriment des
nationaux.154
Le pétrole semble donc être un motif d'obstacle
à l'intégration personnelle en CEMAC puisque l'existence
d'importants gisements de pétrole sur le territoire d'un Etat pousse
celui-ci à refermer davantage ses frontières aux ressortissants
d'autres pays membres, redoutant que les flux migratoires importants en
provenance de ces Etats ne constituent un obstacle à la jouissance de
ses biens au profit de sa population. Vue sous cet angle, cette
xénophobie est expliquée par le souci de protéger l'ordre
social, car « la forte poussée de l'immigration aiguise les
tensions sociales internes liées à l'accès à
l'emploi et à la jouissance par les nationaux des opportunités
offertes par l'exploitation pétrolière ».155
La présence massive des étrangers, fussent-ils ressortissants
communautaires, s'analyse donc en un danger pour l'équilibre social,
à côté de la menace sécuritaire qu'elle peut
causer.
|