CHAPITRE I LA PRUDENTE CONSECRATION DES LIBERTES DE
CIRCULATION, D'ETABLISSEMENT ET DE PRESTATION DE SERVICES
Le traité instituant l'UDEAC consacrait
déjà le principe de la libre circulation des facteurs de
production au sein de l'Union, même s'il est resté très
évasif sur les précisions juridiques du concept. En effet,
à ce sujet, ledit Traité renvoyait purement et simplement aux
dispositions de la Convention sur la libre circulation des personnes et le
droit d'établissement signée par les Etats dans le cadre de
l'Union Africaine et Malgache, qui elle, n'était qu'une organisation
politique non durable regroupant les anciennes colonies françaises
d'Afrique.19 La Convention commune de Brazzaville20
marque une volonté politique de la part des Etats de conférer aux
ressortissants de l'Union la possibilité de se mouvoir sur toute son
étendue. Cependant, comme signalé plus haut, il ne s'agit que
d'une consécration qui ne tient en compte que les productifs, à
savoir, les touristes, hommes d'affaires, travailleurs et professionnels
indépendants.21
La CEMAC va continuer dans la même lancée et va
conférer la possibilité de se déplacer sans entraves dans
la Communauté à une catégorie bien
déterminée de personnes, d'où sa volonté est
qualifiée de prudente (section 1). Le législateur communautaire
considère en outre que le libre établissement ainsi que la libre
prestation des services constituent les corollaires de la libre circulation des
personnes22 (section 2). Il y a donc une nette évolution par
rapport à la Convention UDEAC précitée puisque celle-ci ne
prévoyait pas la libre prestation des services.
Section 1 : LA LIBERTE DE CIRCULATION
C'est l'aspect le plus saillant et sans doute le plus
important de tout processus d'intégration. En effet, la doctrine estime,
non sans raison, que la libre circulation des ressortissants d'une
Communauté intégrative marque bien souvent le pas propulseur qui
ouvre la voie à toutes les autres libertés
communautaires.23 C'est dire toute l'importance qui est
attachée à cette liberté à laquelle le
législateur communautaire a voulu rester fidèle. L'article 27
alinéa (a) de la Convention régissant l'UEAC fixe les tenants et
les aboutissants de cette
19 Cf GNIMPIEBA TONNANG (E) : La libre circulation
des personnes et des services en Afrique Centrale : entre consécrations
théoriques et hésitations politiques » in Juridis
Périodique N° 71 Juillet-Août-Septembre 2007, p.87.
20 Il s'agit de la Convention Commune sur la libre
circulation des personnes et le droit d'établissement dans l'Union
Douanière et Economique des Etats de l'Afrique Centrale signée
à Brazzaville le 22 décembre 1972.
21 Article 2 Convention précitée.
22 Ces trois notions sont traitées dans un seul
et même article, à savoir l'article 27 de la Convention
régissant l'UEAC.
23 HREBLAY (V) : La libre circulation des
personnes. Les accords de Schengen PUF Politique d'aujourd'hui,, 1997,
page 11.
liberté, et comme nous l'avons dit plus haut ne l'accorde
qu'aux seuls agents économiques (para. 1). Par ailleurs, de nombreux
droits sont rattachés à cette liberté de circulation
(para. 2).
Para. 1 : LE CARACTERE RESTRICTIF : LA LIBRE CIRCULATION DES
SEULS AGENTS ECONOMIQUES
Prévue à l'article 2 alinéa (c) au titre
des objectifs de l'Union Economique, la libre circulation est
échelonnée dans sa réalisation par les articles 4 et 5 qui
prévoient successivement son initiation au cours de la première
étape de cinq ans et son accomplissement à l'issue d'une
période de dix ans à compter de l'entrée en vigueur de la
Convention sur l'Union Economique. Elle est ensuite précisée
à l'article 13 comme condition de réalisation du Marché
Commun et n'est finalement vraiment traitée qu'à l'article 27.
Cet article est sans équivoque en ce sens qu'il ne parle de la libre
circulation que « des travailleurs ou de la main d'oeuvre ».
C'est dire que le législateur n'a voulu étendre cette
liberté qu'aux seuls agents économiques, contrairement à
ce qui a cours dans l'Union Européenne où la seule condition
exigée pour bénéficier de la libre circulation des
personnes est d'être ressortissant de l'Union.24 Seuls sont
donc bénéficiaires de la libre circulation en zone CEMAC les
travailleurs et la main d'oeuvre, et toute la difficulté réside
alors dans la définition de la notion de travailleur.
La tâche est d'autant plus ardue que les textes
communautaires ne donnent aucune définition à cette notion. Et
pour en cerner les contours, on doit recourir à celle donnée par
les textes nationaux en matière de travail, et aussi à celle
offerte par le droit communautaire européen à laquelle le droit
CEMAC devrait, en la matière, s'inspirer.
D'abord, la lecture combinée des dispositions des codes
de travail nationaux des Etats membres de la CEMAC25 permet de
considérer comme travailleur (ou salarié) toute personne physique
qui exerce une activité économique, que celle-ci découle
ou non de l'exécution d'un contrat de travail, le tout étant que
l'activité concernée « soit économique,
c'est-à-dire
24 Le propos mérite d'être
tempéré puisque l'état actuel de la libre circulation des
personnes en UE n'est que le résultat d'un travail progressif. En effet,
à une période du processus d'intégration en UE, on a
vécu un moment où seuls les travailleurs
bénéficiaient de l'application effective du principe de la libre
circulation des personnes énoncé par l'article 3 alinéa
(c) du traité instituant la Communauté Européenne.
Confère article 48 traité CE.
25 Il s'agit des articles 23 alinéa 1 de la
loi N°92/007 du 14 août 1992 portant Code de travail de la
République du Cameroun, 3 de la loi N°038/PR/96 du 11
décembre 1996 portant code de travail de la République du Tchad,
5 de la loi N°45/75 du 9 mai 1975 portant Code de travail du Congo, 16 de
la loi N°17/92 du 22 septembre 1992 portant Code de travail de la RCA et 4
de la loi N°17/92 du 17 janvier 1992 portant Code de travail du Gabon.
s'effectue contre rémunération
».26 C'est dire que pour tous les codes de travail
nationaux des Etats membres, le mode d'exercice de l'activité importe
finalement peu. Si cette définition de la notion de travailleur
donnée par les différents textes nationaux est assez
satisfaisante, il demeure que le risque reste dans ces Etats une dilution de la
notion. Il faut alors que cette notion ait une signification communautaire.
Pourtant, en instituant la libre circulation des travailleurs,
l'article 27 précité a bien voulu donner à la notion de
« travailleur » une portée communautaire. Il est
alors important qu'une définition précise de la notion soit
donnée de façon à avoir une ampleur communautaire, et de
ce fait éviter que chaque Etat membre ne donne au terme une
définition qui pourrait avoir pour effet de modifier son contenu et par
voie de conséquence de réduire le nombre de
bénéficiaires de cette liberté. A cet effet, on peut se
référer à la définition donnée par le juge
européen dans l'affaire Lawrie-Blum.27 Le juge
européen considère dans cette affaire qu'est un travailleur
« celui qui travaille sous la direction d'une autre personne et
obtient en contrepartie une rémunération ». Le droit
positif CEMAC a un intérêt certain à se conformer à
cette précision afin de ne tenir compte lors de la définition de
la notion de travailleur, que des trois critères retenus dans l'affaire
Lawrie-Blum, à savoir l'effectivité de l'activité (A), le
lien de subordination (B), et la rémunération (C).
A- La réalité et l'effectivité de
l'activité
La notion de travailleur ne doit concerner que ceux qui
exercent des « activités réelles et effectives, à
l'exclusion des activités tellement réduites qu'elles se
présentent comme purement marginales et accessoires
»28. Ainsi, sont couvertes les personnes qui
exercent une activité salariée à temps partiel, que les
ressources tirées de cette activité leur soient suffisantes ou
qu'elles soient obligées de les compléter par d'autres revenus
provenant d'autres sources. C'est dire que la faible productivité de
l'activité concernée ne peut concourir à priver à
la personne qui l'exerce la qualité de travailleur et du droit de libre
circulation.29
A signaler que la jurisprudence européenne ne
considère en revanche pas comme activités réelles et
effectives celles qui ne constituent qu'un moyen de réinsertion et de
rééducation qui permet à l'intéressé de
retrouver, à l'échéance, toutes ses capacités
physiques
26 MBENDANG EBONGUE (J) : Droit du travail et de la
prévoyance sociale, Cours polycopié de Licence Université
de Yaoundé II-Soa 1995/1996, p.14, cité par GNIMPIEBA TONNANG (E)
in article op. cit.
27 CJCE, aff. 66/85 Lawrie-Blum 3 juillet 1986
Rec.2121.
28 MARTIN (D) : La libre circulation des personnes
dans l'Union Européenne, Bruylant Bruxelles 1995, p.35.
29 Ibid
ou morales, même si ladite activité est
rémunérée.30 Une telle position nous semble
adéquate et transposable en zone CEMAC, surtout qu'au terme de cette
activité transitoire, l'intéressé peut parfaitement se
retrouver dans une catégorie lui permettant de bénéficier
de la libre circulation, à savoir qu'il peut décrocher un travail
ou se retrouver dans la situation d'un chercheur d'emploi.31
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