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La condition juridique des étrangers en zone CEMAC. Contribution au diagnostic de l'intégration personnelle en Zone CEMAC

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par Eric- Adol GATSI TAZO
Université de Dschang Cameroun - Diplôme d'études approfondies  2009
  

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B- Restrictions liées à la théorie des circonstances exceptionnelles

La théorie des circonstances exceptionnelles est une exception à l'application du droit tout court en ce sens qu'en pareilles circonstances, le droit commun est remplacé par un droit spécial et dérogatoire adopté pour y faire face. C'est pourquoi en tant que motif dérogatoire du droit communautaire en général, cela ne surprend guère. En effet, le texte communautaire qui le consacre a une portée générale qui couvre toutes les dispositions relatives à l'Union Economique, c'est-à-dire la réalisation du Marché Commun dans son ensemble.137

En ce qui nous concerne, on dira que dans ces conditions, l'Etat considéré pourrait valablement ignorer les droits consacrés en faveur des ressortissants communautaires sur son territoire, par exemple en y refusant l'accès ou à travers les reconduites aux frontières, ou encore par des discriminations objectives orchestrées à leur encontre et ceci, même à travers une législation particulière spécialement discriminatoire à leur égard. Il importe dès lors de s'appesantir sur la nature que doivent revêtir les circonstances (1) avant de voir quelle réaction est prévue pour y faire face (2).

1- La nature des circonstances

Il s'agit en quelque sorte de la définition de la notion des circonstances exceptionnelles. De manière générale les circonstances exceptionnelles désignent la survenance des conditions de nature à gêner le fonctionnement harmonieux des institutions étatiques par leur extrême gravité, si bien que le recours à des règles spéciales soit considéré comme inévitable. C'est dire l'extrême gravité dont doivent faire preuve les circonstances dont il s'agit. Il faut dire qu'en la matière, les textes nationaux sont compétents pour désigner telle ou telle autre situation comme circonstance exceptionnelle. Cependant, le législateur communautaire a donné une idée sur la question lorsqu'il parle de « troubles intérieurs graves affectant l'ordre public, [et de] guerre ou tension internationale grave constituant une menace de guerre ».138 C`est dire que pour que les libertés communautaires soient bafouées par un Etat sur la base de cet article, la situation doit revêtir l'une de ces caractéristiques :

137 Article 81 para.1 de la Convention régissant l'UEAC.

138 Article 81 in fine de la Convention régissant l'UEAC.

Primo, il faut qu'il y ait des troubles intérieurs graves affectant l'ordre public. A ce sujet, il faut dire que l'ordre public dont il est question ici est le même qu'en matière de réserve d'ordre public. Mais leur point de différence est constitué par l'origine du trouble : alors que pour la réserve d'ordre public, le trouble ou le risque du trouble vient des étrangers à l'égard de qui la réserve est évoquée, dans le cas de l'article 81, le trouble dont il s'agit a pour origine les faits intérieurs à l'Etat qui l'invoque. Plus schématiquement, on dira qu'en matière de réserve d'ordre public, il s'agit d'un risque pour l'ordre public, alors que l'article 81 traite d'un trouble déjà présent. Il peut alors s'agir des circonstances comme des manifestations avec violences entre gouvernants et gouvernés, ou encore entre les tribus d'un pays.

Secundo, ces mesures peuvent aussi être prises en cas de guerre ou de tension internationale pouvant entraîner la guerre. L'hypothèse ici prend donc en compte le caractère international de la situation qui peut être soit une guerre déjà ouverte, soit une tension pouvant y aboutir. La situation doit alors impliquer un Etat membre avec un quelconque autre Etat, ou ne même pas l'impliquer, mais dont il peut légitimement craindre les conséquences.

Quoi qu'il en soit, il doit s'agir d'une situation assez grave pour légitimer de telles discriminations. La compétence nationale en la matière qui donne à chaque Etat la possibilité de qualifier les situations pouvant entrer dans le cadre de l'article 81 ne doit pas beaucoup inquiéter car la théorie des circonstances exceptionnelles fait l'objet d'une conception quasi unanime de la part des Etats de la CEMAC, influencés comme ils sont par le droit français.139 En effet, se référant à ce droit français, la quasi-totalité des pays de la CEMAC140 conditionnent le recours à des mesures des circonstances exceptionnelles à l'existence d'une situation réellement exceptionnelle menaçant l'intégrité territoriale de l'Etat, ou à la survenance de troubles portant réellement atteinte à la sécurité publique. Et la jurisprudence précise qu'il faut à cela qu'il y ait une impossibilité pour l'Etat d'agir autrement que par des mesures spéciales, et que ces mesures prises soient adaptées et nécessaires au but poursuivi. C'est dire que les mesures doivent non seulement être proportionnelles, mais aussi ne durer qu'autant que dure la circonstance ayant commandé leur adoption. Toutes ces précautions visent à éviter une application fantaisiste des dispositions de l'article 81, ce qui constituerait un danger pour les libertés communautaires, et c'est la raison pour laquelle l'adoption de ces mesures par un Etat membre doit être suivie par une réaction des autres Etats membres.

139 L'article 16 de la constitution française de 1958 et la jurisprudence Heyriès (Conseil d'Etat, 28 juin 1918, GAJA N°37).

140 C'est le cas de l'article 9 de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996 modifiée le 14 avril 2008.

2- La réaction à l'adoption des mesures fondées sur les circonstances exceptionnelles

L'adoption des mesures fondées sur les circonstances exceptionnelles constituant une limite à l'application des droits communautaires, il est important que ces mesures soient retirées le plus tôt possible et pour cela, il faut que les circonstances qui ont présidé à leur prise disparaissent. C'est pour cette raison que le législateur communautaire prévoit qu'en pareilles circonstances, les Etats membres doivent se consulter « d'urgence en vue de prendre en commun les dispositions nécessaires pour éviter que le fonctionnement de l'Union Economique ne soit affecté par de telles mesures » et que les droits reconnus aux étrangers d'origine communautaire ne soient durablement enterrés. Cette recommandation est salutaire pour le droit communautaire en général et pour la condition des étrangers ressortissants communautaires car, précise le texte, la consultation des Etats membres doit se faire « d'urgence », c'est-à-dire de manière à limiter dans le temps les circonstances qui prévalent.

Cette réaction prompte des autres Etats membres peut être inscrite au chapitre de l'entraide qui doit caractériser les relations entre les Etats membres de la CEMAC, ceux-ci devant mutuellement se serrer les coudes lorsque l'un d'entre eux rencontre des difficultés. Ceci est presque naturel car dans le cadre d'une intégration communautaire qui entraîne une sorte de communauté de destin, « l'insécurité chez l'un des partenaires aura les effets chez tous les autres ».141 Il convient tout de même de souligner les insuffisances des mesures prônées par le texte communautaire puisqu'il ne précise ni qui a l'initiative de la réunion, ni quels organes étatiques doivent se réunir. Pour combler ce vide, nous suggérons que tout Etat témoignant d'un intérêt peut convoquer la réunion. Ainsi, l'Etat faisant face aux difficultés est le mieux en même de convoquer la réunion, mais il ne devrait pas seul avoir l'exclusivité de cette initiative, laquelle doit être reconnue également à tout Etat qui a de sérieuses raisons de craindre les conséquences de cette situation. Tous les Etats sont donc interpellés. Par ailleurs, il est raisonnable de penser que les ministres des affaires extérieures ou étrangères des Etats de la Communauté sont les plus indiqués pour se réunir.

Toutes ces discriminations doivent au demeurant faire l'objet de deux considérations : il s'agit d'abord des mesures salutaires qui tiennent compte des besoins de sécurité des Etats membres. Mais de l'autre côté, il faut que leur application soit restrictive, de peur de fournir à ces Etats un alibi facile pour faire exception à l'application des libertés communautaires. Si

141 HREBLAY (V) : La libre circulation des personnes. Les accords de Schengen, op. cit.

ces restrictions sont basées sur la protection des Etats, il y en a qui visent plutôt des emplois précis qui sont soustraits des libertés communautaires.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus