Para. 2 : EXCEPTIONS FONDEES SUR L'ADOPTION DES MESURES DE
SAUVEGARDE ET SUR LA THEORIE DES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES
La mise en veilleuse des libertés communautaires peut
également être imposée à un Etat membre par
l'existence des difficultés qui rendent cette restriction souhaitable et
même indispensable. A l'étude, ces difficultés peuvent
être à la fois économiques (A) et politiques (B).
132 CJCE, Aff. 41/74 Van Duyn, 4 décembre 1974, Rec. 1975,
p.1351.
133 CJCE, Aff. 30/77, Bouchereau, 27 octobre 1977, Rec. 1977,
p.1999.
A- L'adoption des mesures de sauvegarde
La restriction fondée sur l'adoption des mesures de
sauvegarde est une possibilité offerte par l'article 22 de la Convention
régissant l'UEAC. Elle constitue une restriction à l'exercice des
libertés consacrées en ce sens qu'un Etat membre peut l'invoquer
pour déclarer ces libertés momentanément
inopérantes sur son territoire. Il faut reconnaître que ces
dispositions sur l'adoption des mesures de sauvegarde trouvent un champ
d'application plus favorable dans le cadre de la libre circulation des biens et
marchandises qui constituent l'intégration réelle.134
Mais force est de reconnaître qu'elle peut également intervenir au
chapitre des restrictions aux libertés communautaires et de
l'intégration personnelle voulue par les textes. Ceci est d'autant plus
vrai que le texte parle de « dérogations aux règles
générales de l'Union Economique ». Or, nous savons que
l'Union Economique de l'Afrique Centrale (UEAC), à travers la convention
la régissant traite certes de la libre circulation des biens et
marchandises, c'est-à-dire de l'intégration réelle, mais
aussi - et surtout, peut-on dire- de l'intégration personnelle et
à travers elle de la reconnaissance à l'étranger
ressortissant communautaire d'une condition confortable sur le territoire de
tous les Etats membres. C'est dire par exemple que l'article 22 peut être
invoqué pour faire obstacle à la libre circulation, ou encore au
droit de séjourner, ou au droit d'accéder sans discrimination
à un emploi salarié. L'hypothèse envisageable est celle
d'un Etat qui fait face à un problème de chômage excessif
de ses ressortissants et qui peut dès lors faire obstacle à
l'arrivée massive des étrangers sur son sol sur la base de cet
article, afin de résoudre le problème d'emploi qui se
pose135. Vu sous cet angle, la restriction des libertés
communautaires en vue de l'adoption des mesures de sauvegarde est une mesure
non dénuée de bon sens, mais qui suppose remplies un certain
nombre de conditions et fait l'objet d'un encadrement strict.
1- Conditions à l'adoption des mesures de
sauvegarde
Stricto sensu, une seule condition est requise :
l'existence des difficultés graves dans un ou plusieurs secteurs de la
vie économique de l'Etat qui l'invoque. C'est dire que pour que
l'adoption de telles mesures soit permise, il faut que l'Etat requérant
produise la preuve qu'il fait face ou qu'il rencontre des difficultés
importantes dans un domaine quelconque de son
134 Prévues aux articles 2 alinéa (c) et 13
alinéa (a) de la Convention régissant l'UEAC.
135 Notons que les partis politiques reconnus comme de
l'extrême droite européenne ont souvent invoqué ce motif
pour réclamer la mise entre parenthèses des libertés
communautaires. D'autres vont même plus loin et revendiquent la sortie de
l'Euro avec tous ses corollaires, notamment la fermeture des frontières
nationales au marché de l'emploi.
économie. A notre sens, ces difficultés peuvent
être constituées par exemple par l'existence d'un taux de
chômage surélevé, à condition que le problème
évoqué soit suffisamment grave et nécessite qu'une mesure
soit prise. Il faut donc exclure du champ d'application de cet article de
simples difficultés passagères dénuées d'un niveau
de gravité élevé. Cette précision en vaut la peine
car elle a pour but d'éviter qu'un Etat membre ne prenne pour alibi une
quelconque difficulté pour faire obstacle à l'application des
libertés communautaires sur son territoire. Les mêmes raisons
commandent l'encadrement strict dont cette mesure fait l'objet.
2- L'encadrement de l'adoption des mesures de
sauvegarde
L'encadrement témoigne ici de la rigueur qui entoure
cette mesure. En effet, le législateur communautaire n'entend pas faire
de cette mesure une porte ouverte aux dérogations de fait des Etats aux
dispositions communautaires. C'est pourquoi il a encadré cette mesure
à deux niveaux :
- en premier lieu, la mesure doit être autorisée par
le Conseil des Ministres. Cette
formalité interdit aux Etats d'adopter des mesures de
sauvegarde de façon unilatérale sans que aucune autorisation
explicite ne leur soit été accordée par le Conseil des
Ministres qui, au préalable, doit avoir été saisi par
l'Etat requérant à cet effet. C'est donc au Conseil des Ministres
qu'il revient l'appréciation car il doit juger et dire si en
l'espèce les conditions sont de nature à exiger une mesure de
sauvegarde. En plus, le texte précise que le Conseil des Ministres
statue en la matière à la majorité qualifiée.
- ensuite, la mesure prise, si elle est autorisée, doit
intervenir dans une durée
limitée. C'est quasiment évident car une
réserve prise sans délimitation temporelle aboutirait purement et
simplement à une négation du droit communautaire de la part de
l'Etat requérant. Cette précision est toutefois importante en
ceci qu'elle empêche les Etats de prendre de telles mesures sans y
adjoindre une limitation temporelle. En l'absence de précision textuelle
sur la durée, nous pouvons dire qu'à notre sens, il doit s'agir
d'une durée raisonnable qui permettra à l'Etat de faire face
à la difficulté qu'elle rencontre, sans pour autant renoncer
totalement à l'application des libertés communautaires.
A cela, il faut ajouter que le Conseil des Ministres, statuant
à la même majorité, « peut décider que
l'Etat concerné doit modifier, suspendre ou supprimer lesdites mesures
de sauvegarde et/ou de protection »136 selon que les
circonstances qui ont présidé à leur prise soient
atténues, ou tout simplement aient disparu. Dans cette dernière
hypothèse, la mesure
136 Article 22 para.3 de la Convention régissant
l'UEAC.
disparaît et les ressortissants communautaires
retrouvent leurs droits conférés par les textes communautaires,
lesquelles ne peuvent plus être mises à l'épreuve que par
l'existence des circonstances exceptionnelles.
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