B- La compétence étatique en
matière d'ordre public
L'ordre public communautaire est constitué par les
ordres publics nationaux. En d'autres termes, si la réserve d'ordre
public est consacrée par les textes communautaires, il s'agit d'une
notion qui interpelle les Etats membres pris isolément. Ceci
entraîne le fait qu'en matière de réserve d'ordre public,
la compétence est presque entièrement reconnue aux Etats membres.
Il pourrait en réalité difficilement en être autrement car
« les impératifs de l'ordre public varient en fonction des
conditions sociologiques ».130 C'est dire qu'en la
matière, le noyau dur de la souveraineté étatique reste
intact quant au contenu à donner à la notion car «
l'Etat reste le seul compétent pour qualifier tel ou tel
intérêt comme étant fondamental
».131Ainsi par exemple, la notion d'ordre public
étant subjective, un Etat peut décider d'ériger en valeurs
d'ordre public les valeurs comme son patrimoine culturel, les valeurs morales,
les principes d'ordre éthique ou philosophique, selon sa convenance,
alors que de telles valeurs n'entrent pas dans l'ordre public d'un autre ; la
conséquence étant qu'une valeur faisant partie de l'ordre public
dans un Etat donné peut ne pas l'être dans l'autre. Il est
dès lors possible qu'on soit en présence d'une diversité
d'ordres publics au sein de la Communauté si bien qu'un encadrement
communautaire de la notion devient alors nécessaire.
C- L'encadrement nécessaire du contenu de la
notion d'ordre public
L'encadrement dont il est question ici a pour but
d'insérer la notion d'ordre public dans des limites communautaires
reconnues de tous en vue de fixer une délimitation communautaire des
contours de l'ordre public. Il s'agit d'éviter une dilution excessive de
cette notion qui apparaît être une boîte vide à
l'intérieur de laquelle les Etats membres peuvent tout mettre, et par ce
fait même porter un sérieux coup aux libertés
consacrées par le législateur communautaire. Le risque qu'il
convient d'éviter ici est de laisser une trop grande liberté aux
Etats membres pour la définition du contenu de l'ordre public, ceux-ci
pouvant profiter de la brèche offerte pour invoquer cette réserve
de façon intempestive et excessive qui pourrait nuire aux droits
consacrés en faveur des étrangers ressortissants communautaires.
La
129 MARTIN (D) : Op. cit., p.54.
130 Propos de l'avocat général dans l'affaire
Bonsignore CJCE 26 février 1975, Aff. 67/74, Rec. 1975 p.297.
131 KARYDIS (G) : « L'ordre public dans l'ordre juridique
communautaire : un concept à contenu variable », in Revue
Trimestrielle de Droit Européen (RTDE) N°1 janvier - mars
2002, p.4.
délimitation dont il est question ici doit
procéder par l'application d'une conception « communautaire
» et restrictive de la notion seule apte à garantir sa
véritable fonction. Le juge européen l'a d'ailleurs vite reconnu,
lui qui reconnaît en la matière « aux autorités
nationales compétentes une marge d'appréciation dans les limites
imposées par le traité ».132 Le droit
positif CEMAC devrait suivre cet exemple.
Dans cette optique, nous suggérons un encadrement qui
doit prendre en compte la caractéristique que doit présenter le
danger menaçant l'ordre public et à ce propos, deux
éléments sont à signaler :
- il faut que l'intérêt susceptible d'être
atteint soit un intérêt fondamental de la
société.133 C'est dire qu'un simple
intérêt banal ne peut justifier la prise d'une mesure
discriminatoire à l'encontre d'un étranger ;
- il faut ensuite que soit appliqué le principe de
proportionnalité à l'exception
d'ordre public national. Selon ce principe, les mesures
étatiques doivent être appropriées, adéquates et ne
doivent pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire
pour sauvegarder l'ordre public. Il est question d'éviter les mesures
extrêmement graves prises exclusivement dans le but de se
débarrasser d'un individu en raison de sa nationalité, alors
même que le risque encouru, ou ce qui lui et reproché n'exige pas
la prise d'une mesure d'une telle gravité.
On retiendra alors que la notion de réserve d'ordre
public étant une notion assez vague, il importe de lui conférer
une application tenue et encadrée afin qu'elle ne soit pas
considérée comme le tombeau des libertés communautaires.
Une telle vigilance est aussi souhaitable en matière de mesure de
sauvegarde.
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