DEUXIEME PARTIE LA SURVIVANCE DES DISCRIMINATIONS A
L'EGARD DES ETRANGERS RESSORTISSANTS DE LA COMMUNAUTE
L'intégration communautaire vise à assurer aux
populations des différents Etats membres un destin commun en consacrant
des droits qui leur sont reconnus à tous du seul fait de leur
appartenance à la Communauté. Le droit communautaire tend alors
vers ce qui peut être proche de la nationalité communautaire en ce
sens que tous les ressortissants communautaires bénéficient des
droits consacrés, où qu'ils se trouvent au sein de la
Communauté.
Cependant, les difficultés d'application de ce
principe, s'il était absolu, ont amené les concepteurs du droit
communautaire à reconnaître que du fait de la nature du cadre dans
lequel on se trouve, il est important de faire des restrictions à
l'application des droits reconnus dans un Etat donné par le droit
communautaire, aux étrangers, même ressortissants de la
Communauté. En effet, le droit communautaire ne reconnaît qu'un
certain nombre de prérogatives aux ressortissants communautaires, sans
égard à leur nationalité, mais n'a nullement la
prétention de créer une fédération d'Etats, et
encore moins un Etat fédéral.122 C'est ce qui explique
que « les frontières survivent, [et que] seul leur
franchissement se libéralise »123.
La conséquence de cet état de choses est que les
Etats conservent leur entière souveraineté et de ce fait, se
réservent une totale compétence en ce qui concerne certains
domaines soustraits du droit communautaire et qui par conséquent ne
peuvent pas être invoqués par les étrangers, même
ressortissants de la Communauté. C'est ainsi qu'il est admis que
certaines discriminations soient observées par les Etats membres
à l'encontre des étrangers ressortissants communautaires qui, sur
ce coup, prennent le statut d'étrangers simples ou étrangers
absolus en ce sens qu'ils sont traités au même titre que les non
ressortissants de la Communauté (chap. 1). Par ailleurs, compte tenu de
la conjoncture économique ambiante dans la sous région
couplée à la mauvaise volonté des Etats, certaines
discriminations sont le fait de ceux-ci qui prennent de manière
unilatérale des actes de nature à mettre à mal le principe
bien établi en droit communautaire de non entraves aux droits
consacrés et de non discrimination (chap. 2).
122 Cf. HREBLAY (V) : La libre circulation des personnes. Les
accords de Schengen, PUF, Politique d'aujourd'hui, p.72.
123 Ibid.
CHAPITRE I LES DISCRIMINATIONS AUTORISEES
Ce chapitre traite de toutes les discriminations
observées à l'encontre des étrangers ressortissants
communautaires et qui sont reconnues ou autorisées par le
législateur communautaire. Celles-ci s'expliquent par le fait que
l'état actuel du droit communautaire CEMAC ne vise pas une
nationalité communautaire qui commanderait une parfaite assimilation du
camerounais au gabonais, du congolais au tchadien, ou encore du centrafricain
à l'équato-guinéen. Ainsi, l'admission de ce traitement
différentiel permet de conserver un minimum d'intimité et de
souveraineté à chaque Etat membre, nécessaire pour son
fonctionnement idéal. Le législateur communautaire
européen a depuis admis l'existence de telles
discriminations.124 Son homologue de la CEMAC a vite fait
d'entériner cette position dont les explications peuvent être
liées les unes à la protection des Etats membres (section 1), et
les autres à la nature de certains emplois (section 2).
Section 1 : LES DISCRIMINATIONS TENANT A LA PROTECTION
DES ETATS MEMBRES
La protection ici est établie contre tout
étranger ressortissant communautaire ou tout droit consacré en sa
faveur qui, exercé, serait de nature à porter atteinte à
une valeur protégée de l'Etat en cause, que cette valeur
protégée relève du domaine social, économique,
sécuritaire ou même culturel. Leur justification est tirée
du fait que l'application du droit communautaire peut entraîner certains
problèmes liés au déplacement intra régional des
flux migratoires. Il s'agit de l'insécurité qui peut surgir par
exemple de la libération totale des frontières. Il devient alors
nécessaire que « chaque Etat conserve sa souveraineté
indispensable pour assurer la sécurité sur son territoire
»,125 même s'il faut pour cela mettre en veilleuse
l'application de certains principes communautaires capitaux. C'est sans doute
ce qui a commandé que le législateur communautaire consacre la
libre circulation des travailleurs d'origine communautaire « sous
réserve des limitations pour les questions d'ordre public, de
sécurité publique et de santé publique
»126 (para. 1), et institue d'autre part des
dérogations liées à l'adoption des mesures de sauvegarde
et les circonstances exceptionnelles (para. 2).
124 A travers ses différentes législations
successives, du Traité de Rome au Traité de Maastricht.
125 HREBLAY (V) : Op. cit.
126 Article 27, alinéa (a), para.3 in fine de la
Convention régissant l'UEAC.
Para. 1 : LA RESERVE D'ORDRE PUBLIC
La formule consacrée par le législateur
communautaire étant floue, il convient de l'éclaircir (A) avant
de préciser la compétence étatique en la matière
(B) et la nécessité d'un encadrement communautaire de la notion
(C).
A- La notion de réserve d' « ordre public,
de sécurité et de santé publique »
Le texte communautaire parle de réserve d' «
ordre public, de sécurité publique et de santé publique
», ce qui ne va pas sans poser de sérieux problèmes de
définition et d'interprétation des différentes notions de
part l'imprécision de leur contenu et leur caractère vaste.
La difficulté vient d'abord de ce que le triptyque
ordre, sécurité et santé publics entretiennent des
chevauchements qui peuvent amener à conclure à leur confusion, ou
au fait que l'un englobe les autres. En effet, les ordres juridiques des Etats
membres de la CEMAC, fortement inspirés par le droit administratif
français font tous de la sécurité publique un
élément de l'ordre public, à côté de la
tranquillité et de la salubrité publiques, ce qui pourrait faire
croire que ces notions renvoient toutes à la même
réalité. La doctrine estime d'ailleurs que « la notion
de sécurité publique se confond, au moins partiellement avec
celle d'ordre public »127 et la jurisprudence va dans le
même sens en déclarant que la formule consacrée par les
rédacteurs est redondante, avant de conclure à une certaine
identité des trois notions.128 Cette solution qui a par la
suite été largement approuvée autant en doctrine qu'en
jurisprudence est celle à laquelle nous souscrivons, ce d'autant plus
qu'on pourrait bien inclure la santé publique dans la notion de
salubrité publique en ceci que celle-ci vise à éviter tout
ce qui peut être une source d'insalubrité pouvant nuire à
la santé publique des populations. C'est dire qu'en parlant de
réserve d'ordre public, nous entendons y inclure la santé et la
sécurité publiques.
Quoi qu'il en soit, la réserve d'ordre public est un
motif bien souvent invoqué pour la restriction des droits et
libertés en droit interne et fait déjà, dans ce cadre,
couler beaucoup d'encre et de salive. En droit communautaire, elle revêt
une saveur particulière car elle permet aux Etats d'appliquer des
restrictions à l'application des libertés communautaires à
l'égard des étrangers, par exemple en leur interdisant
l'accès sur le territoire étatique ou en les y éloignant
de force, toute mesure qu'ils ne sauraient prendre à l'égard de
leurs
127 MARTIN (M) : La libre circulation des personnes dans
l'Union Européenne, op. cit., p.56.
128 La formule consacrée par le législateur CEMAC
est la même que celle utilisée par son homologue
européen.
ressortissants.129 La réserve d'ordre public
est donc une mesure qui interpelle au premier chef chaque Etat membre.
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