B- L'exécution des décisions judiciaires
sur le territoire des autres Etats
Rappelons d'entrée de jeu que l'exécution des
décisions judiciaires d'un Etat membre sur le territoire d'un autre Etat
membre en matière pénale ne rentre pas dans le cadre de notre
démonstration car elle concerne surtout l'exécution des peines
prononcées par une juridiction nationale dans les établissements
pénitenciers d'un autre Etat membre. Dans cet ordre d'idées, elle
ne confère pas de droits au profit d'un ressortissant étranger
car l'exécution des peines profite au premier chef au ministère
public et à la société entière. C'est dire que nous
nous limiterons aux décisions rendues en matières civile et
commerciale car leur seule exécution sur le territoire des autres Etats
membres est susceptible de leur conférer des droits dont l'exercice est
souvent hypothéqué par l'existence des frontières
étatiques.
117 Voir infra, section 1, chap.1 deuxième partie.
Ceci étant, il faut reconnaître que le
législateur européen a depuis le traité de Rome
posé les bases d'un tel droit lorsqu'il disposait : « les Etats
membres de la Communauté sont convenus d'assurer en faveur de leurs
ressortissants la simplification des formalités auxquelles est
subordonnée l'exécution des décisions judiciaires
».118 C'est donc sur cette base que la Convention de
Lugano a finalement consacré et posé les modalités
d'exercice de ce droit reconnu aux étrangers ressortissants
communautaires.119 Le législateur CEMAC ne s'est pas fait
prier pour se conformer à ce mouvement, lui qui a consacré ce
principe à travers les articles 14 et 15 de l'Accord de
coopération judiciaire précité. L'article 15
reconnaît en effet qu' « une décision
déclarée exécutoire sur le territoire d'un Etat partie
peut donner lieu à exécution forcée sur les biens du
débiteur dans les conditions prévues par les textes en vigueur de
l'Etat requis ». C'est dire que toute personne en faveur de qui une
décision de justice a été rendue et octroie un droit en
indemnisation contre une personne dont les biens se trouvent sur le territoire
d'un autre Etat, peut obtenir exécution forcée sur ces biens.
C'est une mesure qui concourt ne fois de plus à protéger les
droits des étrangers à travers une sécurisation des
ceux-ci, puisque l'exécution leur permettra de rentrer en possession de
leur dû dès lors que les conditions seront réunies.
S'agissant des conditions, on dira qu'elles sont les
mêmes qu'en matière de reconnaissance, à savoir
relativement à la compétence de la juridiction qui a rendu la
décision, la conformité à la jurisprudence de l'Etat
requis, le caractère définitif de la décision, l'exigence
d'un procès équitable et la conformité à l'ordre
public de l'Etat requis. Il faut donc noter que les mêmes
difficultés et remarques sont à noter.
Par ailleurs, l'in fine de l'article 15
précise que l'exécution forcée sur les biens du
débiteur est faite dans les conditions prévues par les textes en
vigueur de l'Etat requis. A ce sujet, aucune inquiétude quant à
la diversité possible des régimes d'exécution
forcée dans les Etats membres car le travail d'harmonisation juridique
opéré par l'OHADA plaide en faveur d'une unité de
régime dans tous les pays de la CEMAC. Précisément, en
matière d'exécution forcée, l'Acte Uniforme sur les
procédures simplifiées et les voies d'exécution
entré en vigueur le 10 juillet 1998 régit la matière dans
tous les pays de la CEMAC.
Pour ce qui est de la procédure, la décision est
déclarée exécutoire par « le président de
la juridiction du lieu d'exécution et qui aurait compétence
ratione materiae pour connaître
118 Article 220 alinéa 4 du Traité de Rome du 25
mars 1957.
119 L'article 31 de la Convention de Lugano pose « les
décisions rendues dans un Etat contractant et qui sont
exécutoires sont mises à exécution dans un autre Etat
contractant après y avoir été déclarées
exécutoires sur requête de toute partie intéressée
».
ce litige »120. Il doit être
saisi sur requête accompagnée, sous peine d'irrecevabilité,
des pièces suivantes : une copie de la décision avec toute les
conditions nécessaires pour l'authentifier, l'original de l'exploit de
signification de la décision ou de tout acte en tenant lieu, le
certificat du greffier dont émane la décision témoignant
que la décision est passée en force de chose jugée, et, le
cas échéant (en cas de décision par défaut), une
copie conforme par le greffier de la convocation ou de la citation de la partie
faisant défaut avec les preuves que cette convocation lui a
été signifiée en temps utile .121 Cette
dernière mesure vise notamment à s'assurer que le procès a
été équitable.
Enfin, c'est le lieu de dire que l'article 18 étend
cette exécution sur le territoire de l'Etat requis aux sentences
arbitrales lorsque les conditions sont réunies, toute chose qui concourt
à conforter la position des non nationaux au sein de la
Communauté.
En guise de conclusion, nous dirons que les secteurs de
l'enseignement, la recherche, la formation professionnelle, ainsi que le
domaine judiciaire constituent des secteurs où la législation
communautaire fait preuve des avancées réelles et
indéniables de l'intégration personnelle en CEMAC. La
consécration des droits et libertés au profit de tout
ressortissant communautaire, quel que soit le territoire de l'Etat dans lequel
il se trouve témoigne de sa volonté d'étendre la garantie
des ressortissants communautaires en dehors des libertés traditionnelles
de circulation, d'établissement et de prestation de service. Cependant,
il faut atténuer quelque peu le mérite de ces
consécrations, notamment en ce qui concerne le domaine judiciaire
puisque les avantages reconnus en la matière trouvent leur origine dans
l'Accord de coopération judiciaire entre les Etats de la CEMAC, texte
non encore entré en vigueur, faute de ratification de l'ensemble des
Etats membres. C'est dire qu'en toutes ces matières, les droits
nationaux, ou le cas échéant, les conventions bilatérales
continuent de les régir, en attendant que le texte communautaire entre
en vigueur. Malgré cela, on a toutes les raisons de rester optimiste car
le plus dur a déjà été fait et il ne reste plus
qu'à sensibiliser les Etats sur la nécessité d'une telle
ratification qui ne serait que bénéfique pour les
intérêts des ressortissants communautaires et au droit
communautaire en général. D'ailleurs, en pratique les Etats font
appel à cet Accord et l'évoquent pour réclamer certains
droits à l'égard des autres Etats. C'est donc dire que
malgré le fait qu'il n'est pas encore entré en vigueur, c'est un
texte qui produit déjà quelques effets.
120 Article 16 de l'Accord de coopération judiciaire
précité.
121 Article 17 de l'Accord de coopération judiciaire
précité.
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