Para. 2 : LA RECONNAISSANCE ET L'EXECUTION DES DECISIONS
JUDICIAIRES AU PROFIT D'UN RESSORTISSANT COMMUNAUTAIRE SUR LE
TERRITOIRE D'UN ETAT MEMBRE
Le souci du législateur de reconnaître au profit
de tout ressortissant communautaire une condition comparable à celle des
nationaux de tous les pays de la CEMAC dans leurs pays respectifs l'a
amené à consacrer le principe de la reconnaissance et de
l'exécution des décisions de justice rendues en faveur d'un
ressortissant communautaire sur le territoire d'un autre Etat que celui
où la décision a été rendue. Cette mesure
répond à ce que les auteurs ont appelé le principe nouveau
de la « libre circulation des jugements »109 qui
désigne le passage libre des décisions de justice à
travers les frontières. Si cette libre circulation marque davantage
l'idée d'une coopération judiciaire entre Etats de la CEMAC, nul
doute par ailleurs qu'elle concourt fortement à garantir aux
étrangers une condition aisée au sein de la Communauté en
ceci qu'elle leur permet de faire exécuter une décision de
justice rendue en leur faveur dans un Etat étranger membre de la CEMAC,
à travers la sécurité de leurs droits qu'elle leur apporte
et la simplification des formalités. Ceci dit, il importe de se pencher
successivement sur la reconnaissance (A) et l'exécution (B).
A- La reconnaissance des décisions judiciaires
Elle est déduite de l'article 14 de l'Accord
précité qui dispose qu'en matière civile et commerciale,
les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les tribunaux de
l'un des Etats membres ont de plein droit autorité de la chose
jugée sur les territoires des autres Etats membres. Plusieurs
conséquences y sont attachées :
refuser. Une fois l'assistance judiciaire octroyée,
elle peut être retirée s'il y a survenance des ressources
suffisantes ou découverte du caractère frauduleux de la
déclaration du bénéficiaire.
109 VOYAME (J) : « Traits caractéristiques et
principe de la Convention de Lugano » ; et PATOCCHI (PM) : « La
reconnaissance et l'exécution des jugements étrangers selon la
Convention de Lugano » in L'espace judiciaire européen.
La Convention de Lugano du 16 septembre 1988, respectivement pp. 24 et
92
> d'abord, peu importe la nature et la dénomination
de la décision ; qu'elle soit un arrêt, un jugement, un
ordonnance, elle est reconnue sur le territoire des autres Etats membres
dès lors qu'elle émane d'une juridiction ;
> ensuite, peu importe que la décision soit
contentieuse ou gracieuse. C'est dire que les décisions rendues à
la suite de contestation entre deux parties tout comme celles rendues par le
juge en raison de son pouvoir d'imperium peuvent également être
reconnues sur le territoire des autres Etats membres ;
> enfin, la reconnaissance est de plein droit,
c'est-à-dire que comme le dit la convention
de Lugano,110 sans qu'il soit besoin d'introduire une
procédure particulière. L'étranger
est donc exempté de toute procédure
ultérieure qui le mettrait certainement dans une
position de faiblesse car différente de celle des
ressortissants de l'Etat où la décision
doit être reconnue. Par cette mesure, le législateur
assimile l'étranger au national.
Par rapport à l'étranger au pays où la
reconnaissance est invoquée, celle-ci entraîne des effets
considérables. La doctrine reconnaît qu'à cet effet,
« la décision étrangère reconnue déploie
en principe dans l'Etat requis les mêmes effets qu'elle a dans l'Etat
d'origine ».111 C'est dire que la décision a
autorité de la chose jugée sur le territoire de l'Etat requis. On
peut alors accorder à cette autorité de la chose jugée un
effet positif et un effet négatif.112
L'effet positif consiste en ce que la décision reconnue
sur le territoire de l'Etat requis peut être prise en
considération pour lui faire produire certains effets. On pourra par
exemple se baser sur ces décisions dans l'Etat requis pour
décider de la réhabilitation ou de l'amnistie en faveur des
intéressés. En conséquence, ceux-ci peuvent «
s'en prévaloir auprès de tout intéressé, personne
privée, autorité administrative ou juridiction de l'Etat
où la reconnaissance est invoquée »113.
L'effet négatif rattaché à
l'autorité de la chose jugée d'une décision sur le
territoire d'un Etat étranger est une application du principe «
non bis in idem » qui interdit alors que les faits sanctionnés
par une décision prise dans un Etat membre ne puissent faire l'objet de
nouvelles poursuites dans tout autre Etat membre. Le ressortissant
communautaire se trouve ainsi dans une situation comparable à celle dans
laquelle il se trouve quand il est dans son pays d'origine. En effet,
l'autorité de la chose jugée dessaisit le juge national
relativement à
110 Article 26 alinéa 1 de la Convention de Lugano.
111 PATOCCHI (PM) :Op. cit., p.116.
112 NGAPA (T) : « La coopération judiciaire
pénale dans la zone CEMAC », Mémoire DEA FSJP de
l'Université de Dschang, année académique 2005/2006,
p.83.
113 ISAAC (G) : Droit communautaire
Général, 4ème édition, MASSON Droit
Sciences Economiques, 1995, p.310.
l'affaire concernée. Le principe de la reconnaissance
mutuelle des décisions de justice commande que l'autorité de la
chose jugée dessaisisse les juges de tous les Etats membres si bien que
l'intéressé ne puisse être condamné sur le
territoire des autres Etats pour les mêmes faits.114
Il faut signaler tout de même que même si
l'autorité de la chose jugée est « de plein droit
», l'article 14 de l'Accord précité ne l'accorde que
pour autant que certaines conditions aient été satisfaites :
- La décision doit émaner d'une juridiction
compétente selon la législation de
l'Etat partie sur lequel elle a été
rendue.115 En guise de comparaison, la convention de Lugano n'exige
pas une telle condition.116 Il s'agit pour nous d'une condition
superflue puisque la décision évoquée ne peut être
rendue qu'en respect et en conformité des textes de procédure en
vigueur dans le pays dont elle émane. En plus cette condition est
pratiquement inapplicable puisque le pays dans lequel la décision est
invoquée n'a ni qualité, ni pouvoir pour se pencher sur un
éventuel vice de compétence soulevé devant elle contre la
décision évoquée et aucun tribunal supra étatique
n'est investi d'une telle compétence. Peut-être peut-on envisager,
pour régler cette situation, que le tribunal qui se trouverait dans une
telle situation sursoie à statuer et saisisse la juridiction normalement
compétente pour connaître d'une question de compétence dans
le pays où la décision a été rendue. Dans ce cas,
la décision de cette juridiction conditionnerait l'issue de la
procédure enclenchée devant le juge de l'Etat requis qui,
à ce moment et seulement à ce moment, pourra décider
d'accorder les effets de droit à la décision incriminée.
Le vice de compétence deviendrait alors pour lui une question
préjudicielle.
114 L'article 1305 du Code Civil demande à cet effet
une triple identité liée à l'objet, la cause et les
parties : « il faut que la chose jugée soit la même, que la
demande soit fondée sur la même chose, que la demande soit entre
les mêmes parties et formée par elles en la même
qualité ».
115 V. pour le Cameroun, l'ordonnance N°72/4 du 26
août 1972 et ses modifications subséquentes en ce qui concerne la
compétence des tribunaux de droit commun, et pour ce qui est des
juridictions l'ordonnance N°72/5 de la même date portant
organisation judiciaire militaire modifiée par la loi N°98/007 du
14 avril 1998 pour le tribunal militaire, la loi N°90/060 du 19
décembre 1990 pour la Cour de sûreté de l'Etat,
l'ordonnance N°72/7 du 26 août 1972 modifiée par la loi
N°84/1 du 14 janvier 1984 pour la Haute Cour de Justice et l'ordonnance
N°72/6 de la même date portant organisation de la Cour Suprême
modifiée par divers textes subséquents pour la Cour Suprême
; pour le Congo la loi N°022/92 du 20 août 1992 portant organisation
du pouvoir judiciaire au Congo ; pour le Gabon la loi N°7/94 du 16
septembre 1994 portant organisation de la justice, et la loi organique
N°9/94 du 16 septembre 1994 fixant organisation, compétence et
fonctionnement de la Cour judiciaire, des Cour d'appel et des tribunaux de
première instance du Gabon ; pour la RCA la loi N°60/183 du 23
janvier 1960 fixant l'organisation des tribunaux en RCA ; pour le Tchad, la loi
N°004/PR/98 portant organisation judiciaire au Tchad et toutes leurs
modifications subséquentes.
116 Article 28 alinéa 4 de la Convention de Lugano.
- La décision ne doit pas être contraire à la
jurisprudence des juridictions de
l'Etat où elle est invoquée. L'objectif ici est
d'éviter une contradiction dans le droit positif de l'Etat requis.
Là aussi il peut y avoir difficulté d'application dans le cas
où la jurisprudence n'est pas constante. Dans ce cas, il appartiendrait
à l'autorité saisie, qu'elle soit judiciaire ou pas de trancher
à la faveur de ses propres opinions.
- La décision doit être passée en force de
chose jugée, c'est-à-dire qu'elle ne doit
plus être susceptible d'aucun recours dans l'Etat dans
lequel elle a été rendue. L'objectif est d'éviter qu'un
effet reconnu à une décision devienne caduc et contradictoire
après une annulation éventuelle de la décision.
- Le procès à l'issue duquel la décision a
été rendue doit avoir offert aux parties
les conditions d'un procès équitable, notamment
en ce qui concerne les droits de la défense. Le problème qui est
susceptible de se poser ici est celui de déterminer qui est
compétent pour apprécier si un procès a offert toutes les
garanties d'un procès équitable. Le texte semble laisser libre
cours à l'autorité devant laquelle la décision est
invoquée d'apprécier. Dans ce cas, on est en droit de douter
qu'une telle condition soit souvent vérifiée, car elle pourrait
mettre à mal les relations diplomatiques entre le pays qui a rendu la
décision et le pays où celle-ci est invoquée et qui refuse
de la reconnaître pour défaut de procès
équitable.
- La décision ne doit pas être contraire à
l'ordre public de l'Etat où la reconnaissance est invoquée. Ceci
rentre dans le cadre plus large de ce qui est convenu d'être
appelé la réserve d'ordre public.117
Les mêmes conditions sont requises pour
l'exécution.
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