Section 2 : L'ELIMINATION DES DISCRIMINATIONS DANS LE
DOMAINE JUDICIAIRE
C'est l'une des grandes avancées dans la condition des
étrangers ressortissants communautaires en zone CEMAC. En effet, le
législateur communautaire a fixé comme objectif de
conférer à tout ressortissant de la Communauté un
bien-être en ce qui concerne le domaine judiciaire. Et cette
volonté constatée du législateur CEMAC est encore plus
significative lorsqu'on sait que l'intégration judiciaire n'est pas l'un
des objectifs prioritaires de la Communauté, ceux-ci étant
constitués pour l'essentiel par le Marché Commun
(économique et monétaire). Pourtant, la consécration de
cette non discrimination dans le
96 Constat effectué à l'issue des
travaux du Comité de Suivi et d'Evaluation de la libre circulation des
personnes en zone CEMAC en date du 26 janvier 2008.
domaine judiciaire témoigne de la volonté non
contestable des responsables de la CEMAC de construire une intégration
complète, étendue à tous les secteurs de la vie
communautaire.
Le seul pan judiciaire jusqu'ici consacré par les
textes communautaires de la CEMAC était constitué par l'existence
d'une Cour de justice communautaire97 et la reconnaissance des
juridictions nationales comme juridictions de droit commun de la
Communauté.98 Mais ces dispositions n'étaient pas dans
le but de conférer en elles-mêmes une condition confortable des
étrangers d'origine communautaire dans le domaine judiciaire. Conscients
du vide existant, les Etats membres de la CEMAC ont, au cours de la 5eme
Conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement qui s'est tenue à
Brazzaville au Congo, en date du 23 janvier 2004, adopté l'Accord de
coopération judiciaire entre les Etats membres de la CEMAC.99
Cet accord vise à faciliter la collaboration entre les Etats en ce qui
concerne le domaine judiciaire et à travers cela l'amélioration
de la situation des ressortissants communautaires sur le territoire des Etats
membres autres que les leurs. C'est en ce sens que l'Accord consacre un libre
accès aux juridictions nationales à tous les ressortissants de la
communauté (para. 1) et assure une exécution des décisions
de justice rendues en faveur d'un ressortissant sur le territoire d'un Etat
étranger (para. 2).
Para. 1 : UN LIBRE ET FACILE ACCES AUX JURIDICTIONS
NATIONALES
Il faut d'ores et déjà signaler que
l'accès aux juridictions nationales est ici pris au sens large.
L'idée est ici d'assimiler l'étranger ressortissant d'un Etat
membre de la Communauté qui se retrouve sur le territoire d'un Etat
membre à tout national de celui-ci. Il y a en la matière une
interdiction de discrimination fondée sur la nationalité, ce qui
est une solution louable en matière judiciaire au sein de la
Communauté. Cette interdiction de discrimination est remarquable
à deux niveaux différents : à l'accès aux tribunaux
stricto sensu (A), et au bénéfice de l'assistance
judiciaire (B).
97 Prévue par l'article 2 du Traité
instituant la CEMAC du 16 mars 1996 au titre des institutions de la
Communauté et faisant l'objet d'une convention propre
désignée Convention régissant la Cour de justice de la
CEMAC.
98 Reconnaissance déduite des articles 4 et 17
de la Convention régissant la Cour de justice de la CEMAC.
99 Ce même jour, un autre accord a
été adopté, à savoir l'Accord d'extradition entre
les Etats membres de la CEMA.
A- L'accès aux juridictions nationales par les
étrangers ressortissants communautaires
Cet accès peut être vu en deux temps : d'abord
l'accès par les justiciables, et ensuite l'accès par les
avocats.
1- Le libre accès des justiciables
étrangers dans les juridictions nationales
Il s'agit d'une prescription de l'article 5 de l'Accord de
coopération judiciaire précité qui assure aux
ressortissants de chaque Etat membre la possibilité de saisir les
juridictions de tout autre Etat membre dans les mêmes conditions que les
nationaux de cet Etat. Le texte est clair, puisqu'il est formulé en des
termes propres à éviter toute équivoque : « les
ressortissants de chacune des Hautes Parties contractantes auront, sur le
territoire des autres, un libre et facile accès auprès des
juridictions. ». En application de cette disposition, un gabonais
peut librement saisir une juridiction centrafricaine pour la défense de
ses droits sans que sa nationalité ne lui soit invoquée comme
obstacle, puisque, précise le texte, « il ne pourra, notamment
leur être imposé ni caution, ni dépôt sous quelque
dénomination que ce soit, à raison de leur qualité
d'étranger, soit du défaut de domicile ou de résidence
».100 C'est dire que cet accès ne doit pas
être conditionné par une quelconque exigence visant à
obliger ledit étranger à fournir une caution. Pourtant, on sait
que la tradition est d'imposer une caution à tout étranger qui
veut saisir une juridiction nationale, traditionnellement
dénommée `'caution judicatum solvi». C'est dire
à quel point cette disposition est importante au regard du processus
d'intégration humaine en zone CEMAC, ce qui concourt à renforcer
la solidarité entre les peuples des Etats parties et leur appartenance
à une même Communauté.101
Le législateur communautaire va plus loin en ne faisant
pas dépendre ces droits à la condition de domicile ou de
résidence. C'est dire que même si les ressortissants
étrangers n'ont ni domicile, ni résidence sur le territoire de
l'Etat dont ils saisissent la juridiction, l'accès ne peut leur
être refusé pour ce grief. Ceci est salutaire car
l'hypothèse est bien envisageable, celle des opérateurs
économiques qui ont des intérêts sur le territoire d'un
Etat membre sans pourtant y résider ou sans y être
domicilié. C'est donc un droit très large qui est reconnu
à tout ressortissant de la Communauté sur le territoire de tout
Etat membre.
Par ailleurs, ce libre accès est reconnu à tout
ressortissant étranger quelle que soit la nature de la juridiction
saisie puisque le texte parle de « juridictions tant administrative
que
100 Article 5 in fine de l'Accord de coopération
judiciaire précité.
101 Préambule du Traité instituant la CEMAC.
judiciaire », ce qui constitue une fois de plus
une avancée réelle sur la condition des étrangers au sein
de la Communauté. A titre comparatif, l'espace judiciaire
européen crée par la convention de Lugano102 est
limité en ce qui concerne son champ d'application matériel
puisqu'elle ne s'applique qu'en matière civile et commerciale, par
exclusion des affaires concernant les matières fiscales,
douanières ou administratives.103 Cette absence de
restriction témoigne du souci du législateur de donner à
cette liberté un domaine vaste de manière à permettre
à l'étranger concerné de défendre ses droits sur
tous les plans dans le pays d'accueil, ainsi que de se faire représenter
par un avocat de tout Etat membre.
2- L'accès libre des avocats
L'accord offre également la possibilité à
tout avocat d'un Etat membre de la CEMAC de plaider librement devant les
juridictions d'un autre Etat membre à l'occasion d'une affaire
déterminée y inscrite.104 C'est une innovation
formidable qui concourt à opérer un brassage des populations des
différents Etats membres, mais surtout à instaurer ou raffermir
la coopération judiciaire entre eux. Au regard des droits de l'homme,
c'est une mesure tout aussi importante qu'on peut d'ailleurs ranger dans le
principe général de droit du droit à un procès
équitable. En effet, chacun a le droit de choisir son avocat lors d'un
procès et l'institution de cette liberté vient tout simplement
garantir les droits des justiciables en éliminant toute discrimination
pouvant résulter soit de l'interdiction de tout avocat étranger,
soit de la fixation des modalités exigées en raison de la
qualité d'étranger de tout avocat ressortissant d'un autre pays
membre de la Communauté, discrimination pouvant déboucher sur la
violation du PGD sus évoqué.
Cependant, le législateur communautaire fait
dépendre l'exercice de cette liberté reconnue aux avocats
à la satisfaction de deux formalités :
> d'abord, les avocats dont il s'agit doivent être
inscrits au barreau de leur Etat d'origine;
> ensuite, ils doivent exercer selon la législation
de l'Etat d'accueil dès lors que le texte leur reconnaît cette
liberté à condition « pour eux de se conformer à
la législation de l'Etat où se trouve la juridiction saisie
».105 Il s'agit de la législation relative
à
102 Il s'agit de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988
entre quelques pays européens relative à la compétence
judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile
et commerciale.
103 Article 1er de la Convention de Lugano.
104 Article 6 de l'Accord de coopération judiciaire
précité.
105 L'in fine de l'article 6 de l'Accord de coopération
judiciaire précité.
l'organisation du procès, notamment l'ordre de passage
des parties et des avocats, le caractère inquisitoire ou accusatoire du
procès, bref toutes les règles relatives au fonctionnement de
l'audience et même au droit à l'assistance judiciaire.
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