La condition juridique des étrangers en zone CEMAC. Contribution au diagnostic de l'intégration personnelle en Zone CEMAC( Télécharger le fichier original )par Eric- Adol GATSI TAZO Université de Dschang Cameroun - Diplôme d'études approfondies 2009 |
INTRODUCTIONe vaste mouvement de régionalisation progressive des Etats
qui se forment en Communautés remarqué à travers le monde
entier n'a pas épargné l'Afrique1. En effet, ce
mouvement initié ~ que les spécialistes n'hésitent pas à parler d'un foisonnement et d'un enchevêtrement des institutions sous-régionales africaines. Le « Africa must unite » de KWAME NKRUMAH2 lancé au lendemain des indépendances des Etats africains va en effet impulser cette volonté de s'unir des peuples africains et va trouver un écho singulièrement favorable puisqu'à défaut d'adopter une unification globale et entière du continent, les ténors du mouvement ont plutôt souscrit à une volonté prudente et mesurée marquée par une unification par étapes du continent dont les groupements sous-régionaux seraient les fondements. C'est ainsi que furent créées diverses institutions avec pour base les différentes régions et sous régions3. Cette idée de faire de la proximité géographique l'élément de regroupement ne manque pas d'intérêt car il s'agit de bâtir les communautés ayant les mêmes sources historiques, et fondées sur les mêmes espaces géographiques, l'objectif étant de faire prévaloir l'idée d'une appartenance commune. C'est ce qui a donc présidé à la création de la région Afrique Centrale car dans cette partie du continent, tous les ingrédients étaient réunis pour créer une communauté intégrative. Il s'agit ici des éléments comme le passé colonial et l'héritage colonial communs qui ont sans aucun doute favorisé la création de l'UDEAC4 entre les Etats de cette partie du continent que sont le Cameroun, le Congo, le Gabon, la RCA, le Tchad et la Guinée Equatoriale qui y fera 1 On a assisté en effet à une prolifération d'organisations régionales et sous-régionales dans le monde, avec comme les principales, en Europe l'Union Européenne (U.E) et l'Espace Economique Européen (EEE) ; en Asie l'Association of South Asian Nations (ASEAN), la South Asian Association for Regional Cooperation (SAARC), l'Asian Pacific Economic Cooperation (APEC) ; en Amérique le Marché Commun d'Amérique Centrale (MCAC), l'Association Latino-américaine d'Intégration (ALADI) et l'Accord de Libre Echanges NordAméricain (ALENA), et en Afrique le Common Market for Eastern and Southern Africa (COMESA), l'Union du Maghreb Arabe (UMA), la South African Development Community (SADC), la South African Custums Union (SACU), la Intergovernmental Authority for Development (IGAD), la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et la Communauté Economique et Monétaire des Etats de l'Afrique Centrale (CEMAC). 2 NKRUMAH (k) : L'Afrique doit s'unir, Paris Présences Africaines, 1994. 3 Voir notes de bas de page n° 1. 4 L'UDEAC, Union Douanière et Economique des Etats de l'Afrique Centrale est créée par un traité de Brazzaville signé le 8 décembre 1964 et est entrée en vigueur le 1er juin 1966 son entrée quelques années plus tard. L'UDEAC se fixe comme objectifs l'établissement graduel d'un marché commun en Afrique Centrale, l'élimination des entraves au commerce inter-états, le renforcement de l'unité des économies en présence et la participation, par la constitution d'un groupement sous-régional, à la création d'un véritable marché commun en Afrique Centrale. Pourtant, si lors des deux premières décennies de son existence l'Union enregistre un succès plus ou moins visible, l'on ne peut manquer de reconnaître que la troisième décennie est plutôt marquée par une crise économique généralisée qui oblige les Etats à mettre plus l'accent sur leurs économies nationales à travers les PAS imposés par le FMI, principal bailleur de fonds des Etats de l'UDEAC qui se verra ainsi enfouie au fond d'un gouffre, si bien que son échec est considéré comme indubitable. Les Etats parties, conscients de cet état de choses et désireux de continuer avec ce mouvement déjà entamé vont redoubler d'efforts pour sortir de l'impasse. C'est ainsi qu'au terme de plusieurs négociations, un projet de réformes5 à trois volets consacrait la mise en place de la CEMAC6 qui remplace l'UDEAC, avec comme volonté pour les Etats signataires de « passer d'une situation de coopération qui existe déjà entre eux, à une situation d'union susceptible de parachever le processus d'intégration économique et monétaire ». 7 C'est dire si les Etats signataires témoignaient d'une volonté de rompre avec les blocages enregistrés pendant la défunte UDEAC et se proposaient de repartir sur de nouvelles bases institutionnelles et organisationnelles seules susceptibles de garantir le dynamisme de la Communauté.8 En effet, la structure organisationnelle de la CEMAC est assez révélatrice de la détermination des Etats, car elle comprend quatre institutions dont deux exclusivement consacrées à l'intégration communautaire. Il s'agit de l'UEAC, institution d'intégration économique et l'UMAC, institution d'intégration monétaire9 chargées chacune de réaliser l'intégration dans son domaine. 5 Le Projet Régional de Réformes (PRR) fut adopté par les Etats parties de l'UDEAC à Yaoundé au Cameroun en décembre 1991. 6 La CEMAC voit le jour le 18 mars 1996 à N'Djamena au Tchad lors d'un sommet tenu entre les Chefs d'Etat de l'UDEAC. 7 Article 1er in fine du traité instituant la CEMAC. 8 Voir dans ce sens NJEUFACK (R) : « Le renouveau du cadre institutionnel décisionnel au sein de la CEMAC : vers une Communauté plus dynamique ? » in Annales de la Faculté des Sciences juridiques et Politiques de l'Université de Dschang Tome 8 2004, pp 163 et suivants. 9 L'UEAC, Union Economique d'Afrique Centrale, et l' UMAC, Union Monétaire d'Afrique Centrale sont prévues par le Traité instituant la CEMAC, mais font l'objet de conventions particulières les régissant signées toutes les deux le 5 juillet 1996 à Libreville au Gabon. Le nouvel élan impulsé par le nouveau législateur et la volonté des Etats parties sont à quelques égards révélateurs de l'objet du présent thème. En effet, cet objet est constitué par l'étude du degré d'intégration en zone CEMAC. Il est question de fonder cette étude sur le niveau de la volonté des Etats membres et l'ampleur de la détermination du législateur communautaire, qui constituent le baromètre de l'intégration en zone CEMAC. Il importe dès lors de définir le terme intégration. Le lexique des termes juridiques10 entend par là « la fusion de certaines compétences étatiques dans un organe super étatique ou supranational ». La définition fournie par la doctrine est similaire puisqu'elle le définit comme « le résultat d'un processus au terme duquel les Etats initialement indépendants et souverains sont partiellement ou totalement soumis à une autorité politique commune », 11 ou encore « un processus par lequel un groupe de Nations arrivent à prendre des décisions qui lient tous les Etats membres au moyen d'institutions collectives plutôt que nationales ». 12 Il s'agit plus prosaïquement d'un processus qui vise le transfert de certaines compétences par les Etats membres d'une institution à un organe juridiquement supérieur à ceux-ci. La CEMAC prévoit donc une intégration complète basée sur les deux institutions précitées, intégration qui devra aboutir à la création d'un grand Marché Commun. Si les textes communautaires de la CEMAC ne donnent pas une définition précise à la notion de marché commun, on peut se référer à celle donnée par la jurisprudence communautaire européenne qui la définit comme « l'élimination de toutes les entraves aux échanges intracommunautaires en vue de la fusion des marchés nationaux dans un marché unique réalisant les conditions aussi proches que possible de celles d'un véritable marché ». 13 Allant dans le même sens, le législateur européen entend par marché commun un espace « caractérisé par l'abolition entre les Etats membres des obstacles à la libre circulation des marchandises, des services, des personnes et des capitaux ».14 C'est ayant cela à l'esprit que la CEMAC veut bâtir un espace intégré en consacrant les deux types d'intégration qui peuvent exister en matière économique, à savoir l'intégration réelle et l'intégration personnelle, encouragée en cela par la communauté des destins des populations des pays membres. 10 Lexique des termes juridiques, Dalloz 2002. 11 KOVAR (R) : « L'ordre communautaire des Communautés Européennes » in Jurisclasseur de droit international N°2, 1979, p.4. 12 LINDEN BERG cité par SOLE-NGAKOUTOU dans « Les tentatives d'intégration économique en Afrique Centrale : du projet BOGANDA à la CEEAC », Mémoire IRIC Yaoundé 1993, p.15. 13 CJCE 5 mai 1982, Schull, aff. 15/81 rec. pl. 409. 14 Article 14 du Traité de Maastricht Par la première, nous entendons l'intégration conçue sous le prisme de la libre circulation des marchandises, des biens et des capitaux. Par la seconde, à savoir l'intégration personnelle, il est question d'assurer à tous les ressortissants des pays membres de la CEMAC, en tant que ressortissants de cet espace, une condition aisée sur toute l'étendue du territoire CEMAC, c'est-à-dire un bien-être certain dans tous les pays qui constituent cet espace.15 Le défi de la CEMAC sur cet angle n'est donc pas des moindres car il faut assurer à l'étranger ressortissant de la zone CEMAC une aisance certaine où qu'il se trouve sur le territoire de la Communauté à travers une consécration directe des privilèges, mais aussi, plus complexe, à travers une harmonisation des législations et des politiques nationales des Etats parties dans les matières visées.16 La notion d'étranger, terme central de ce travail, mérite d'être précisée. En effet, si ce mot désigne généralement un individu qui a une nationalité autre que celle d'un pays donné, ou qui n'en a pas du tout17, la nature de notre cadre d'étude commande que la définition de l'étranger renferme une petite spécificité ou une précision en raison de la nature du droit communautaire dans lequel nous évoluons. Ainsi, l'étranger au sens de ce travail désigne toute personne, ressortissant de la CEMC, n'ayant pas la nationalité d'un Etat membre donné dans lequel il se trouve, ou désire se rendre. Il ne s'agit donc pas des étrangers penitur extranei, c'est-à-dire des étrangers absolus, mais, plus simplement, des étrangers communautaires, entendus comme des ressortissants CEMAC se rendant ou résidant dans un Etat membre autre que le leur. C'est dire que notre recherche se fixe pour cadre non seulement la zone CEMAC c'est-à-dire l'ensemble du territoire CEMAC couvert par les territoires des six pays la constituant, à savoir le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale, la RCA et le Tchad, mais aussi le droit CEMAC entendu comme la législation communautaire décrétée par 15 Le territoire de la CEMAC couvre quelque 2715344 km2 et la Communauté a une population évaluée à environ 30 millions d'habitants. 16 Le préambule de la Convention régissant l'UEAC affirme « la nécessité de favoriser le développement économique des Etats grâce à l'harmonisation de leurs législations et la mise en oeuvre des politiques communes ». 17 Lexique des termes juridiques, Dalloz, 2002. La définition donnée par les textes nationaux des six Etats de la CEMAC se réfère à celle-ci. V. loi N°97/012 du 10 janvier 1997 fixant les conditions d'entrée, de séjour et de sortie des étrangers au Cameroun ; loi N°23-96 du 06 juin 1996 fixant les conditions d'entrée, de séjour et de sortie des étrangers au Congo ; loi N°5/86 fixant le régime d'admission et de séjour des étrangers en République gabonaise ; loi du 13 mai 2011 portant réglementation de la nationalité équato-guinéenne ; loi N°60/79 du 27 janvier 1960 relative au séjour des étrangers sur le territoire de la RCA et le décret N°211 du 4 décembre 1961 fixant les conditions d'admission et de séjour des étrangers sur le territoire de la République du Tchad et leurs modifications subséquentes. les instances communautaires et les droits nationaux en ce qui concerne la mise en application de la législation communautaire. Par ailleurs, l'objet du sujet étant constitué par le souci du bien-être des étrangers ressortissants communautaires dans les pays de la Communauté, sont exclus de son objet les sujétions imposées aux ressortissants communautaires sur le territoire de tous les Etats membres par le droit communautaire (comme c'est le cas en matière d'exécution des peines de justice prononcées par un tribunal étatique sur un autre territoire étatique, ou encore de coopération judiciaire pénale en matière de lutte contre la criminalité ). Sont également exclues les dispositions relatives aux catégories faisant l'objet de conventions internationales particulières auxquelles ont adhéré les Etats membres de la CEMAC à l'instar des réfugiés, tout comme les dispositions relatives à la condition des étrangers au sens du DIP. L'intérêt suscité par ce travail est perceptible à plus d'un titre. En effet, il est question d'apporter notre contribution au diagnostic du degré d'intégration communautaire en zone CEMAC car la réussite du mouvement d'intégration au sein de la Communauté ne peut se passer de la reconnaissance préalable d'une condition aisée de tous les ressortissants communautaires quelle qu'en soit la nationalité et quel que soit le lieu où ils se trouvent, l'intégration personnelle conditionnant bien souvent l'intégration réelle. Par ailleurs l'intérêt de ce sujet est également perceptible en ce sens qu'elle implique une comparaison avec les modèles réussis d'intégration communautaire qui pourraient nous fournir des perspectives et des leçons à tirer. Dès lors, la problématique qui se dégage de cette étude est constituée par la question de savoir si l'étranger ressortissant de la CEMAC bénéficie d'une condition confortable dans les pays de la Communauté. En d'autres termes, la CEMAC et les Etats qui la composent sont-ils déterminés à assurer l'intégration personnelle de la Communauté en garantissant à l'étranger ressortissant de la Communauté, sur l'ensemble des territoires des Etats membres une situation comparable à celle des nationaux ? En zone CEMAC, les étrangers communautaires sont-ils également traités que les nationaux ? Il est alors question pour nous de déterminer si le ressortissant communautaire est, partout au sein de la Communauté, chez lui et si en l'état actuel de l'intégration personnelle, on est proche d'une nationalité communautaire. A cet effet, l'observation à priori du mouvement d'intégration personnelle en zone CEMAC montre une certaine lenteur et un retard dans la volonté des acteurs du processus. Ces questions obligent également à reconnaître que ce processus est témoin d'une évolution à vitesse variable selon qu'on se trouve dans l'un ou dans l'autre pays membre de la Communauté. Pour y parvenir, deux approches méthodologiques s'imposent à nous car il faudra combiner l'approche analytique qui nous permettra de passer au peigne fin et de décrypter les dispositions communautaires qui traitent de la situation des étrangers ressortissants communautaires en zone CEMAC, et l'approche comparative qui nous permettra de procéder à la confrontation des législations nationales en ce qui concerne l'application des normes communautaires, mais aussi à la comparaison du degré d'intégration personnelle avec les autres expériences d'intégration communautaire qui peuvent nous servir d'exemple ou de référence. La question de la condition des étrangers en zone CEMAC est donc une préoccupation capitale pour parachever le processus d'intégration en Afrique Centrale. Le législateur communautaire l'a compris, lui qui a pris des actes témoignant de ses efforts de reconnaissance à l'étranger communautaire une condition confortable (première partie). Cependant, des motifs de protection des Etats ainsi que les réticences de ceux-ci à l'application du droit communautaire amènent à observer une survivance des discriminations à l'encontre de ces étrangers (deuxième partie). |
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