Chroniqueur culturel à la télévision : un journalisme de marque( Télécharger le fichier original )par Benjamin Walter CELSA - Paris IV Sorbonne - Master 1 Journalisme 2010 |
II LE TEMPS DE LA SCENOGRAPHIELorsque arrive le temps de la diégèse de l'émission, celui dans lequel la marque se retrouve immergée au coeur de l'événement, le chroniqueur joue sur trois terrains de l'ordre de la représentation. Celui du supermarché, celui du club, et celui du théâtre. C'est là qu'interviennent les « qualités subjectives » de la marque définies par Georges Lewi34 : « tout ce qui donne une perception de la marque et la distingue de ses voisines ». Car, si les marques de chroniqueurs se retrouvent ensemble, c'est pour mieux se démarquer les unes des autres, afin de se construire une identité. En cela, une marque se définit négativement. Avec, dans tous les cas, la primauté du jeu, de la mise en scène, du factice, « de la réalité mise en scène là où il n'y a qu'un plateau de télé, soit un non-lieu, un topos » selon les mots de Patrick Tudoret35. Une télévision qu'il qualifie de « surtélévision ». 1) Le plateau télévisé comme supermarché des marquesa. La vitrine des marquesLe lieu où se retrouvent toutes les marques est par définition le supermarché. Le client est attiré par ses produits en vitrine et y entre afin d'acheter l'un d'entre eux. C'est à peu près le même mécanisme qui se produit avec les marques de chroniqueurs. Une fois que chaque chroniqueur a été placé sur le plateau, autour de la table, mais surtout après qu'il ait pu faire ses armes et se construire une image, une identité, un label, au fil des émissions précédentes, « le packaging doit permettre au consommateur de reconnaître une marque au premier coup d'oeil, sans même avoir besoin de lire son nom »36. Il n'a désormais plus besoin de parler, mais de paraître et de laisser libre cours à l'inconscient de chaque téléspectateur. Cette fonction visuelle de la marque, à la fois première et subjective, c'est le « logotype » défini par Georges Lewi : « Le logotype est le premier signe visuel de la 34 LEWI Georges, La marque, Vuibert, 2003, p 25. 35 « La surtélévision, c'est quoi ? » in Médialogues, Radio Suisse Romande, émission du 29 septembre 2009. 36 « Analyser le marché », Guide de travaux pratiques de l'Office de la Formation professionnelle et de la Promotion du Travail du Maroc. marque. Il est caractérisé par sa typographie, sa couleur et son graphisme. Il permet d'identifier et de caractériser une marque. Souvent, la seule vue du logotype d'une marque permet de la situer dans son univers de référence »37 Jean-Jérôme Bertolus tisse la métaphore du chroniqueur avec l'image du produit de supermarché le plus banal qui existe, le yaourt : « Une marque c'est du storytelling. Une marque, ça vous raconte une histoire. Les chroniqueurs culturels sont comme les yaourts. On achète Danone, pour l'histoire derrière que la marque raconte depuis des années » La marque du chroniqueur s'apparente donc au pot de yaourt original de Danone qui, sur sa simple photographie dans son pot de verre, nous renvoie à toute une histoire, celle de la fabrication artisanale du produit. Georges Lewi, lui, théorise la « saga » de la marque, ravivée dans notre esprit grâce à une seule image. Dans son article sur la machine promotionnelle qu'est le Grand journal38, la journaliste de Télérama Isabelle Poitte écrit : « Qu'importe puisque tout est noyé dans les paillettes. Les chroniqueurs maison ne sont même pas obligés de poser des questions, il leur suffit d'être là, béats de contentement : Mouloud, le fan de rap, a serré la main de Jay-Z, Ariane a plaisanté avec Jude Law, Elise a souri à Martin Scorsese. On est heureux pour eux »39 C'est pour cette raison que le Grand journal ouvre ses pauses
publicitaires par des « coming-next » 37 LEWI Georges, La marque, Vuibert, 2003, p 26. 38 Emission quotidienne diffusée sur Canal + à 19h05 et présentée par Michel Denisot. 39 POITTE Isabelle, « Le grand journal ? Météo, promo, dodo » in Télérama n°3143, 8 avril 2010. 40 « logotype » s'imprime dans nos têtes : Cette non-nécessité de développer sa chronique entraîne par conséquent un appauvrissement du fond et, tout en cabotinant, délivre un enchaînement d'à peu-près et de clichés que certains sites continuent à relever de façon hebdomadaire. C'est le cas, notamment, du blog « New Wave Hooker » qui par exemple, à propos de la chronique d'Ariel Wizman sur le nouvel album de Depech Mode, avait intitulé son papier « Faut-il brûler les chroniqueurs musicaux en France ? »41. Mais ce qui est notable dans cet inter-générique du Grand journal, c'est la façon dont chaque chroniqueur porte devant lui le visage d'un autre camarade. Preuve de l'aspect interchangeable des chroniqueurs-marques mis en vitrine de l'émission télévisée. Pour reprendre Saussure42, chacun est le « signifiant » de cet air du temps. 40 Le Grand journal (Canal +) : générique de mi-émission, saison 2009-2010 41 http://www.newwavehooker.com/2009/04/faut-t-il-executer-les-chroniqueurs.html 42 SAUSSURE (de) Ferdinand, Cours de linguistique générale, éd. Payot, 1995. |
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