b. L'apposition du label « chroniqueur »
Mais, paradoxalement, si la sélection du chroniqueur
qui deviendra marque s'effectue selon le signifiant qu'est « l'air du
temps », celui-ci sera par la suite utilisé par l'émission
télévisée selon un modèle de
référent, un socle pour ne pas se perdre dans les tendances
actuelles. Le chroniqueur devient donc un label, non en tant que
spécialiste d'un sujet mais en tant que « personnalité forte
»19 pour Christophe Ono-dit-Bio.
17 Le Grand journal (Canal +) :
générique de mi-émission, saison 2009-2010
18 Ibid
19 Cf annexe 1, entretien avec Christophe Ono-dit-Bio,
pp 41-42.
Le mot « label » est un anglicisme apparaissant en
France en 1900 grâce aux travaux de Paul de Rousiers qui, analysant la
vie des prolétaires américains définit le terme ainsi :
« Le label, ou étiquette, est une marque
apposée par les syndicats ouvriers sur les marchandises
fabriquées dans les ateliers et usines où on reconnaît leur
existence ».20
Dans cette définition originelle et pragmatique du
label, il y a donc l'idée que le label est une marque dès lors
qu'elle est apposée. Un chroniqueur ne deviendra donc chroniqueur que si
son émission choisit de lui apposer un label. Et si la
télévision crée des labels, c'est en réaction
à la tendance du flux médiatico-culturel. La marque du
chroniqueur devient une sorte de point d'ancrage, de référent
culturel pour tous les téléspectateurs, transformés
dès lors en clients de la marque du chroniqueur. Christophe Ono-dit-Bio
le résume ainsi :
« La télé c'est une forme de nomadisme
éditorial. On a besoin de repères, on aime bien identifier une
parole donnée, un personnage pour se repérer dans une masse de
produits culturels [...] Je me définis comme un missionnaire de la
culture. J'occupe mon temps de parole à expliquer une oeuvre qui
décode l'époque. Je le fais de manière très
pédagogique, j'ai été prof de lettres. Je viens avec mon
projecteur pour éclairer un aspect. Ça recoupe ma mission du
Point : être une sorte de casque bleu de la sphère culturelle.
»21
C'est ce que Georges Lewi nomme la « marque-caution
»22, dont la force est sa « signalétique »
:
« elle donne un crédit aux produits [...], c'est
un gage de garantie, presque un contrat ». Ce contrat, c'est la solution
au paradoxe posé plus haut : si la marque-chroniqueur doit se conformer
avec l'air du temps, elle en est aussi un guide. Le chroniqueur en tant que
marque s'inscrit alors dans ce que
20 ROUSIERS (de) Paul, La vie américaine :
l'éducation et la société, Firmin-Didot et cie,
Paris, 1900, p312.
21 Cf annexe 1, entretien avec Christophe Ono-dit-Bio,
pp 41-42.
22 LEWI Georges, La marque, Vuibert, 2003, pp
68-69.
Lewi nomme un « double branding »23 : «
une marque-produit innovante et une marque-caution rassurante ».
Reste alors à savoir si le discours de cette marque
nouvelle va changer par rapport à celui d'origine du chroniqueur ou si,
au contraire, il n'y aura qu'un transfert vers la sphère
télévisée d'un discours similaire. C'est là toute
la question de l'identité propre revendiquée par le chroniqueur
qui se pose, derrière le label apposé par l'émission.
23 LEWI Georges, La marque, Vuibert, 2003, pp
68-69.
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