Annexe 2 : Entretien avec Jean-Jérôme Bertolus
(éditorialiste économique à i<Télé,
ancien responsable du service Médias de La Tribune)
-Avez-vous l'impression que les chroniqueurs deviennent une
identité à part, autonome, qui ne serait plus là du fait
de son origine de presse écrite ?
Oui, tout à fait, la télévision, il y a
la forme et le fond. Il y a dix-vingt ans, il y avait des émissions
littéraires comme celle de Bernard Pivot, mais pas de chroniqueurs. En
une dizaine d'années il y a eu l'arrivée des talk-shows. La
télé s'est demandée ce qui marchait. Le fond, mais surtout
la forme. Les journalistes culture deviennent des marques commerciales. On veut
qu'ils fassent leur show. Le libraire le plus invité de la
télé sera donc Gérard Collard, reconnaissable avec sa
crête à l'iroquoise. Les journalistes culture, on veut qu'ils
« fassent la blague ». Ariel Wizman, très bon sur le fond,
fait aussi la blague sur la forme, car il a compris ce qu'était le
média télé : vous passez à la télé,
vingt secondes après votre passage on vous dira « tu as
été vachement bon, vachement souriant, vachement bien
habillé ». La télé c'est un média d'images.
Ça veut dire que l'image, il faut la remplir.
-Comment définiriez-vous le rôle de chroniqueur
culturel aujourd'hui ?
Vous êtes une marque et vous devez parler d'une marque.
En littérature, ce seront les prix et le nouveau BHL. Christophe
Ono-dit-Bio, par exemple, ne parlera jamais d'un truc qui n'est pas dans le top
20 de L'Express ou du Point. En presse écrite, c'est plus large. Les
marques sont mises en scènes par le réal, le producteur mais vous
aussi si vous êtes une marque, vous allez demander à être
mis en scène. Une marque c'est du storytelling. Une marque, ça
vous raconte une histoire. Les chroniqueurs culturels sont comme les yaourts.
On achète Danone, pour l'histoire derrière que la marque raconte
depuis des années. Quand Guillon s'attaque à la nouvelle
équipe d'Inter, ça part bien sûr d'un vrai sentiment, mais
c'est aussi un positionnement commercial. Ça continue à faire
vivre la marque Guillon, et d'une certaine manière la marque Inter.
-Beaucoup de chroniqueurs viennent d'autres mondes que le
journalisme. Notamment ceux que l'on appelle les « chroniqueurs-snipers
» tel qu' Eric Naulleau. Que pensez-vous de cette tendance ? Naulleau
et Zemmour, c'est des marques. Une marque commerciale, ça a une certaine
neutralité, il ne faut pas que ça choque. Si on applique le
concept de marque commerciale à un journaliste, qu'il soit pour, qu'il
soit contre, qu'il soit dans le sourire comme PPDA, qu'il soit dans
l'agressivité comme Naulleau, si on considère tout ça du
point de vue des marques, ça veut dire en fait qu'elles s'annulent. On
peut être dans la critique, on peut être dans la complaisance,
à partir du moment où
l'on respecte le principe premier de la télé qui
veut qu'on soit une marque, dans quelque registre que l'on soit, on est
tellement fédérateur qu'au final, ça revient au
même.
-La marque du chroniqueur culturel ne réside-t-elle pas
dans une niche ?
Il n'y a jamais de chroniqueur qui parle de tout. Quand vous
êtes chroniqueur culturel, vous êtes dans une case. Il y a une
dizaine de chroniqueurs culturels en France seulement.
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