3) « Personal branding » et «
reterritorialisation » de la marque
Ce surdéveloppement de la marque des chroniqueurs
télévisés doit aussi être analysé sous le
prisme d'une des grandes tendances d'Internet : le « personal branding
». Fin 2009, on pouvait lire dans Le Monde l'un des seuls
articles de presse écrite ayant analysé cette tendance lourde qui
fait que de plus en plus de journalistes créent leur propre média
sur Internet, autour de leur propre identité. Une marque-internet en
somme. Voici ce qu'écrit Xavier Ternisien, son auteur :
« L'essor du journalisme multimédia a conduit les
éditeurs à mettre en avant le concept de marque de presse : dans
la jungle de l'information sur Internet, le titre d'un magazine ou d'un
quotidien, qui se décline sur plusieurs supports, devient un gage de
sérieux et de crédibilité pour l'internaute en mal de
repères.
Mais Internet, en tant que formidable outil de diffusion de
l'information - et aussi d'autopromotion -, pourrait bien contribuer à
transformer les grandes signatures de la presse en marques susceptibles de se
vendre toutes seules, sans le secours d'un support connu. »79
Dès lors, le rapport beaucoup plus proche avec les marques
de chroniqueurs télévisés devient évident. Dans un
article de la journaliste de Télérama, Emmanuelle
Anizon, on pouvait lire :
« Ce n'est pas nouveau : PPDA n'a jamais fait autre chose
que de décliner sa marque, tout comme ces journalistes chroniqueurs qui
squattent les plateaux télé et les studios radio. Mais la crise
économique alliée à l'explosion du Net transforme le
personal
79 TERNISIEN Xavier, « Les journalistes vont-ils
devenir des marques grâce à internet ? » in Le
Monde, 26 septembre 2009.
branding en un système
généralisé : "Il n'y a pas si longtemps, un
étudiant envoyait son CV, tapait à la porte des rédactions
pour obtenir un stage, proposer un sujet. Aujourd'hui, il a
intérêt à se construire un nom sur son blog, Facebook,
Twitter... avant même sa sortie de l'école", confirme Christophe
Deloire, directeur du Centre de formation des journalistes. »80
Mais l'erreur serait de limiter cette tendance aux apprentis
journalistes. L'analyse de Christophe Deloire vaut aussi pour tous les
journalistes et chroniqueurs télévisés. Eric Naulleau, par
exemple, envoie toutes les semaines sur Facebook le planning des
émissions Starmag à tous les membres de son groupe
« La vie est trop courte pour lire de mauvais livres ».
Autre chroniqueur de l'émission de TPS, Patrick Fabre,
fait vivre en temps réel l'enregistrement des émissions
grâce à son compte facebook :
82
Une bonne synthèse de cette idée de l'influence
réelle du fonctionnement des marques Internet sur les marques
télévisées est donnée par David Réguer :
« Le journaliste existe de plus en plus par
lui-même,
80 ANIZON Emmanuelle, « Journaliste à
louer » in Télérama, n°3135, 13 février 2010.
81 Programme de la semaine Starmag, envoyé par
Eric Naulleau, par inbox sur Facebook, le 8 novembre 2009
82 Pseudo Facebook du chroniqueur (Starmag) Patrick
Fabre du 21 juin 2010
indépendamment du support pour lequel il travaille.
Internet lui donne progressivement une valeur marchande propre, à tel
point qu'il pourrait à son tour basculer et devenir une marque
déclinable sur divers médias traditionnels et sociaux, mais aussi
monnayable au travers d'associations d'autres marques, d'opérations ou
de transactions. Une petite révolution culturelle, initiée par
les blogueurs. Les journalistes leur emboîtent le pas de la
"self-promotion", avec l'atout parfois supplémentaire d'être
déjà reconnu dans [les médias traditionnels]. »83
Le chroniqueur connu pour sa marque télévisuelle
et la faisant vivre sur internet afin de le retrouver à la
télévision : la boucle de la marque du chroniqueur est d'une
certaine manière bouclée dans la mesure où les trois temps
de la marque s'auto-entretiennent dans ce qu'on pourrait appeler un «
cercle vertueux »84 pour reprendre l'expression de
l'économiste John Maynard Keynes.
83
www.lepost.fr/article/2009/09/28/1716895_les-journalistes-sont-des-marques-en-devenir-bientot-people.html
84 KEYNES John Maynard, Les conséquences
économiques de la paix, nrf, Paris, 1919.
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