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Chroniqueur culturel à  la télévision : un journalisme de marque

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par Benjamin Walter
CELSA - Paris IV Sorbonne - Master 1 Journalisme 2010
  

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CONCLUSION

Les chroniqueurs culturels à la télévision sont des marques comme les autres. Au départ, ils sont choisis pour incarner l' « identité » d'une émission en la personnalisant :

« Dans le cadre des émissions de télévision, le terme identité désigne les éléments qui soumettent une émission en particulier au principe d'individualisation, les éléments qui lui permettent de se distinguer des autres ».85

Une fois labellisée par son émission de télévision, la marque d'un chroniqueur devient omniprésente et n'a plus besoin de son émission d'origine pour exister. Si les chroniqueurs Thierry Cheze et Eric Naulleau se sont fait connaître par leurs chroniques dans Ca balance à Paris, ils alternent dorénavant les différents plateaux sur leurs seul nom et leur seule image. En effet, la spécificité du chroniqueur télévisé, c'est de posséder une image, ce que n'a pas le chroniqueur en presse écrite, en radio ou sur internet. Et dans l'ère de la « surtélévision »86, l'image force le trait des émotions. A l'origine de cela, le format télévisuel, « comprimant à l'extrême » le discours :

« L'orateur n'a plus le temps de convaincre son auditoire. Au lieu de convaincre, il doit s'efforcer de séduire, c'est-à-dire de paraître plus et non d'être ».87

D'où cette assomption de Frédéric Taddéï, consistant à affirmer que les chroniqueurs sont la maladie de notre époque. Pire, ils constituent le reflet du triomphe de l'image sur le discours. Ce n'est pas pour rien que, comme nous l'avons souligné tout au long de ces recherches, la plupart d'entre eux viennent de milieux autres que le journalisme pur. Être une marque, c'est avant tout être une image. Ou comme l'écrit Florence Aubenas, « passer à la télé est devenu une étape acceptée pour qui veut aujourd'hui exister »88.

85 BRACHET Camille, Peut-on penser à la télévision, la culture sur un plateau, coll. INA, Paris, 2010, p 56.

86 « La surtélévision, c'est quoi ? » in Médialogues, Radio Suisse Romande, émission du 29 septembre 2009.

87 COTTERET Jean-Marie, La magie du discours : Précis de rhétorique audiovisuelle, Michalon, Paris, 2000, p 16.

88 AUBENAS Florence et BENASAYAG Miguel, La fabrication de l'information : les journalistes et l'idéologie de la communication, La découverte, Paris, 1999, pp 9-10.

Pour un chroniqueur, exercer sa marque est en cela doublement paradoxal. Si une marque multiplie ses apparitions sur les plateaux, sur le fond elle restera figée dans une seule et même case, dans un rôle unique : le méchant/le gentil ou le branché/le ringard. Quitte à parfois tomber dans la caricature d'elle-même afin de répondre aux attentes de son public, transformé en clients. Le paradoxe est identique dans sa forme : la marque est là pour parler du buzz, tout en souhaitant en créer un. D'où une recherche effrénée de l'événement là où il n'y en a pas. Le risque étant de se limiter à une série de phrases-choc aussi réductrices qu'erronées.

Les chroniqueurs sont les créatures de Frankenstein de cette télévision qui leur a laissé de plus en plus de pouvoir et de temps de parole. En déléguant, les présentateurs et animateurs n'ont fait qu'accélérer la fragmentation de l'espace télévisuel. Les chroniqueurs-marques naissent donc tiraillés entre deux tendances : porter l'identité de l'émission et exporter leur propre marque. Interchangeables et presque toutes parisiennes, les marques se retrouvent dans un cercle incestueux et officient un jeu de rôles amenant à une « starification » d'eux-même. Et à un appauvrissement du discours. Le grand tournant de la néo-télévision depuis une dizaine d'années réside dans le fait que les marques de chroniqueurs sont devenues plus importantes que celles des artistes invités dans les émissions culturelles.

« Les journalistes devenaient les nouveaux auteurs, et les écrivains qui souhaitaient encore être des auteurs devaient passer par les journalistes, ou devenir leurs propres journalistes »89

Les marques télévisuelles de chroniqueurs font face à un avenir incertain. Toutes les marques étant interchangeables on débouche alors sur un phénomène de goulot d'étranglement. Pour l'élite des marques de chroniqueurs, la sélection naturelle est perçue comme le remède à ces maux. C'est le constat de Christophe Ono-dit-Bio : « Des marques vont survivre, se développer, d'autres, comme des produits mal ciblés, vont se perdre ». Une fois de plus, l'analyse est économique et prouve que la carrière d'un chroniqueur est avant tout de l'ordre du marketing.

Mais pour quel discours ? C'est là que le bât blesse. La vraie et la seule question qui compte est
finalement celle de la direction axiologique à donner à sa marque, quel rôle prendre ? Certes, nous
venons de voir que le système médiatique avait intégré en lui sa propre opposition en créant des

89 DELEUZE Gilles, « A propos des nouveaux philosophes », in revue bimestrielle Minuit, n°24, mai 1977.

marques « anti-système ». Mais alors, pourquoi ne pas prendre le problème dans l'autre sens et ne pas se demander si en fait le système égocentrique de la marque, en tant qu'identité définissant un individu associé à une pensée, ne serait aussi pas un bon moyen de remettre en cause la direction que prennent la plupart des marques de chroniqueurs aujourd'hui. N'est-il pas utile qu'un chroniqueur culturel remette en cause l'actualité chaude d'une oeuvre afin de la critiquer avec plus de recul ? Même s'il se place dans le rôle du « sniper » de service, comme Eric Naulleau dans l'émission On n'est pas couché.

Car le vrai débat idéologique au coeur de la marque d'un chroniqueur culturel aujourd'hui oppose un système de promotion systématique à un système de critique argumentée d'une oeuvre. Le pari de cette décennie pour les marques étant de se trouver une place là même où l'on sait bien qu'un chroniqueur-promoteur peut toujours être remplacé par une simple interview. Alors, pourquoi ne pas jouer la carte de l'anti-système au sein-même du système et proposer un discours critique en plein coeur d'émissions promotionnelles ?

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault