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Le caractère illicite des charges face à  la notion d'acte anormal de gestion étude comparée entre la France et le Canada

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par Jamie-Ann Martin
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 professionnel en droit européen et international des affaires 2008
  

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a) Le versement de pots-de-vin, un délit de corruption

La corruption est universelle et elle se pratique tant du côté de l'offre que de la demande. Malgré le fait qu'il est reconnu que la corruption présente une menace à la règle de droit, à la démocratie et aux droits de la personne, qu'elle mine la saine gestion des affaires publiques et privées, qu'elle freine le développement économique, il ne lui est attribuée toutefois pas de définition unique. La plus courante, celle de la Banque mondiale (BIRD), énonce que la corruption est « l'abus d'une charge publique en vue d'obtenir un avantage privé ». Par conséquent, cette définition laisse entendre que la corruption est un problème relevant surtout du domaine public. En revanche, la définition donnée récemment par le Conseil de l'Europe en élargit la portée au secteur privé :

La corruption (...) comprend les commissions occultes et tous autres agissements qui impliquent des personnes investies de fonctions publiques ou privées, qui auront violé indépendant ou d'une autre relation de ce genre, en vue d'obtenir des avantages illicites de quelque nature que ce soit, pour eux-mêmes ou pour autrui108(*).

Ainsi, la corruption englobe un ensemble d'activités illicites (malversation, fraude, extorsion) qui sont, par définition, assujetties aux lois - efficaces ou non -, auxquelles s'ajoutent des activités (favoritisme, trafic d'influence, etc.) qui, elles, sont mal ou aucunement définies par la loi.

Tout d'abord, la corruption se caractérise par le fait que les deux parties en cause y prennent part. Car, si l'une d'entre elles est dissuadée d'agir, le marché ne se conclura pas. Le versement de pots-de-vin s'apparente à la corruption sauf que, dans ce cas, c'est le représentant public ou qui est à l'origine de l'échange et demande de l'argent ou d'autres rétributions du public pour remplir ou ne pas remplir ses fonctions officielles. Au Canada, la corruption et les pots-de-vin relèvent du même article du Code criminel (article 121 ) et il est parfois difficile de les distinguer..

Ensuite, le Code criminel de certains pays (c'est le cas pour la France, au Canada les termes directe et indirecte étant employés) distingue la corruption « active » de la corruption « passive ». La première implique d'offrir ou de chercher à obtenir de l'argent, une garantie ou un avantage en contrepartie de services rendus. La corruption est « passive » lorsque quelqu'un reçoit un cadeau, argent, garantie ou avantage pour lequel il accepte d'abuser de sa charge en vue d'avantager la personne qui est à l'origine de la tractation. La corruption « active » est sanctionnée en ces termes par l'article 433-1 du Code pénal français :

Est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende le fait, par quiconque, de proposer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques à une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif (...), qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat.

En fait, ce texte ne concerne pas que le corrupteur actif, il vise également le dirigeant de société obligé de passer à la caisse, puisqu'est puni des mêmes peines le fait de céder à l'une des personnes susvisées. La corruption « passive » ne sanctionne certes que la personne corrompue mais le dirigeant d'entreprise risque d'être poursuivi pour complicité.

Cela est connu, le secteur privé n'est pas moins concerné par le phénomène de la corruption, ainsi que l'ont notamment souligné les Etats membres de l'Union européenne, dans une décision-cadre du 22 juillet 2003109(*) aux termes de laquelle il est rappelé que la corruption introduit une distorsion de la concurrence et représente un obstacle à un sain développement économique. Cette décision-cadre prévoit notamment d'ériger en infraction pénale les actes de corruption active et passive effectués délibérément dans le cadre des activités professionnelles et de permettre la mise en cause de la responsabilité des personnes morales. La France a donc été conduite à adapter son droit interne en créant une infraction générale de corruption dans le secteur privé, introduite dans le Code pénal par la loi n° 2005-750 du 4 juillet 2005 portant sur diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice. Malheureusement, il n'existe pas au Canada une telle disposition. Néanmoins, le dirigeant d'entreprise qui verse un pot-de-vin pourra faire l'objet d'accusation pour l'infraction de versement de commissions secrètes paraissant à l'article 426 (1) du Code criminel.

Fait intéressant, en France, le secteur privé est défini aux articles 445-1 et 445-2 du Code pénal110(*) par opposition au secteur public. Ainsi, s'expose aux sanctions du délit de corruption dans le secteur privé, toute personne « qui, sans être dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, exerce, dans le cadre d'une activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une personne physique ou morale, ou un organisme quelconque ». Par ailleurs, les deux nouvelles incriminations des articles 445-1 et 445-2 du Code pénal reprennent la distinction traditionnelle entre corruption passive et corruption active. De même, un avantage offert par corruption se qualifie de « détournement » alors qu'on appelle « extorsion » un avantage exigé par le même moyen. En général, la personne qui soudoie est celle perçue comme la partie active et le fonctionnaire, la partie passive. En réalité, dans bien des circonstances, la situation est inversée. De plus, cette distinction entre corruption active et corruption passive, entre l'extorsion et le versement de pots-de-vin, est assez dénuée de sens puisque les tractations nécessitent de toute manière l'accord des deux parties. Il est donc plus utile de se demander si la personne qui a reçu un avantage en échange de paiement y avait légalement droit.

Dès lors, en ce qui a trait à la déductibilité des dépenses illicites, il ne s'agit plus de se positionner sur le terrain de l'intérêt social mais sur celui de la légalité. De cette façon, un acte effectué dans l'intérêt de la société ne devrait pas être illégale. Dans un arrêt du 27 octobre 1997, la Cour de cassation énonce que :

Quels que soient les avantages à court terme qu'elle procure, l'utilisation des fonds sociaux est contraire à l'intérêt de la société lorsqu'elle a pour seul objet la commission d'un délit et qu'elle expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales et porte nécessairement atteinte à son crédit et à sa réputation.111(*).

Par ailleurs, pour la Cour de cassation, « à moins qu'il ne soit justifié de leur utilisation dans le seul intérêt de la société » (ce qui n'est donc désormais pas le cas s'il s'agit de verser un pot-de-vin) « les fonds sociaux prélevés de manière occulte par les dirigeants l'ont été nécessairement dans leur intérêt personnel »112(*). Reste à voir si les juges continueront à combattre la corruption par l'infraction d'abus de biens sociaux ou si l'adoption du nouvel article 445-1 du Code pénal remettra les pendules à l'heure. Il apparaît inadéquat, dans un contexte de lutte contre la corruption, que l'Administration fiscale admette la déductibilité de dépenses illicites sous le couvert de la théorie de l'acte anormal de gestion.

En France, le droit pénal semble prendre les dispositions nécessaires pour combattre la corruption de manière plus efficace. Qu'en est-il du droit fiscal ? Pourquoi continue-t-il à admettre la déductibilité des dépenses illicites tel que les pots-de-vin ? Le combat contre la corruption est celui de tous les domaines du droit. En ce sens, un revirement de la jurisprudence du Conseil d'État est souhaitable. Par ailleurs, au Canada, l'interdiction de la déductibilité des paiements illégaux énoncée à l'article 67.5 L.I.R. ne prévient certes pas à lui seul la corruption. Toutefois, cet article de loi à comme avantage d'envoyer un signal cohérent aux dirigeants d'entreprises : ni le droit pénal ni le droit fiscal n'admet la déductibilité de pots-de-vin. De telle sorte que le contribuable canadien qui ne respecte pas l'article 67.5 L.I.R. risque de commettre un délit de fraude fiscale.

* 108Le Conseil de l'Europe. La corruption [En ligne]. Consulté sur Internet : http://www.coe.int/DefaultFR.asp (17.03.2008).

* 109 Décision-cadre 2003/586/JAI du Conseil de l'Union Européenne qui abroge l'action commune de l'Union Européenne du 22 décembre 1998 relative à la corruption dans le secteur privé.

* 110 Pour les articles du Code criminel mentionnés, cf. Annexes.

* 111 Cass. Crim., 27 oct. 1997, affaire Carignon n° 96-83.696.

* 112 Cass. Crim., 20 juin 1996, affaire Philippe n° 95-82.078.

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