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Le caractère illicite des charges face à  la notion d'acte anormal de gestion étude comparée entre la France et le Canada

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par Jamie-Ann Martin
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 professionnel en droit européen et international des affaires 2008
  

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INTRODUCTION

Peu nombreuses sont les études de droit comparé en matière fiscale. Pourtant, nous savons que la nature des règles fiscales adoptées dans un pays exerce une grande influence sur le rendement économique de ses entreprises. Au-delà des avantages fiscaux, l'interprétation des lois fiscales, la doctrine et la jurisprudence sont les éléments qui distinguent le système fiscal d'un pays. La France et le Canada (à l'exception du Québec) possèdent une tradition juridique différente. Ils sont de grands partenaires commerciaux mais se font aussi la lutte pour se voir octroyer des marchés à l'échelle mondiale. Compte tenu de ces considérations, il nous a semblé intéressant de comparer le traitement fiscal des charges illicites, plus spécifiquement celui des pots-de-vin.

En France, la déductibilité des dépenses illicites sous l'égide de l'intérêt social, clé de voûte de la théorie de l'acte anormal de gestion, est une réalité qui, si elle nous laisse perplexe, nous entraîne vers un débat. Èmerge alors un conflit délicat, mettant en opposition des principes de toute première importance en droit fiscal : le principe de non immixtion de l'Administration fiscale et la liberté de gestion des entreprises se voient confrontés à l'obligation de gestion efficace, à la morale des affaires et à une imposition qui est d'ordre public et qui doit respecter les articles 38 et 39 du Code général des impôts (C.G.I.). C'est au croisement de ces principes qu'apparaît la notion d'acte anormal de gestion en droit fiscal français. On ne retrouve pas, en droit fiscal canadien, une théorie comparable à celle de l'acte anormal de gestion. En tant que construction jurisprudentielle du Conseil d'État, la théorie de l'acte anormal de gestion n'en est pas moins basée sur des textes légaux. Aux termes de l'art. 38, al.1er du C.G.I., le bénéfice imposable s'entend « du bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises ». Le même article, dans son 2e alinéa, le définit comme « la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt ». Quant à l'article 39.1 dudit code, il dispose que « le bénéfice net est établi sous déduction de toutes les charges ». C'est sur ces textes que s'est fondé le Conseil d'État pour dégager la théorie de l'acte anormal de gestion.

Au Canada, l'article 9 (1) de la Loi sur l'impôt et le revenu (L.I.R.)1(*) sert de point de départ dans l'analyse de la déductibilité des dépenses. De l'avis du juge Jacobucci de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Symex2(*), « il est maintenant généralement reconnu que c'est le par. 9 (1) qui autorise la déduction des dépenses d'entreprise puisque le concept de bénéfice au par. 9 (1) est en soit un résultat net qui présuppose des déductions de dépenses d'entreprise ». De son côté, l'article 18 (1) L.I.R., ne joue qu'un rôle limitatif par rapport à l'admissibilité de certaines dépenses. Cet article prévoit qu'aucune déduction n'est permise lors du calcul du revenu à l'égard d'une charge sauf dans la mesure où elle a été effectuée dans le but de tirer ou de produire un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Le coeur de la polémique réside en effet, d'une manière très générale, dans la définition du bénéfice imposable : que peut-on considérer comme « charges » déductibles du bénéfice brut ? Dans un arrêt du 1er juillet 1983, le Conseil d'État affirme que :

Pour l'application des dispositions de l'art. 38 du C.G.I. [...] seuls peuvent ne pas être pris en compte les actes ou opérations qui ont été réalisés à des fins autres que celles de satisfaire les besoins ou, de manière générale, servir les intérêts de l'entreprise et qui, dans ces conditions, ne peuvent pas être regardés comme relevant d'une gestion normale de celle-ci [...]3(*).

Ainsi, en France comme au Canada les entreprises pourront, dans une certaine mesure, déterminer elles-mêmes l'assiette de l'impôt qu'elles sont tenues d'acquitter. La liberté de gestion est plus largement animée par les principes du droit commercial : la liberté de choix dans la forme sociétaire, dans les techniques de production, dans les investissements (etc.). Tout cela relève du pouvoir de direction du chef d'entreprise, qu'il doit être en mesure d'exercer en fonction de certaines contingences et contraintes fiscales. Un « droit à l'erreur » lui est donc accordé, et l'Administration ne pourra retenir contre lui une mauvaise gestion. Un arrêt significatif du Conseil d'État du 7 juillet 1958 l'a officiellement affirmé, jugeant que « le contribuable n'est jamais tenu de tirer des affaires qu'il traite le maximum de profit que les circonstances lui auraient permis de réaliser »4(*). Au Canada, de manière générale, peu importe qu'il s'agisse d'une entreprise provinciale ou fédérale, les tribunaux sont réticents à intervenir dans les affaires de cette dernière. Les erreurs de jugement, si absurdes et ridicules qu'elles soient sont rarement sanctionnées5(*). Il faut faire démonstration d'une faute lourde se rapprochant de la fraude pour que la responsabilité des administrateurs soit engagée6(*). Pour être sanctionné, les administrateurs ne doivent pas seulement poser une faute de gestion qui s'avère néfaste pour l'entreprise mais connaître à l'avance les conséquences défavorables de leur geste. Il a été établit par l'arrêt Stubart7(*) que « sauf disposition contraire, le contribuable à le droit d'organiser ses affaires dans le seul but de se trouver dans une situation favorable sur le plan fiscal ». De fait, rien n'empêche le contribuable ou l'entreprise d'optimiser sa situation sur le plan fiscal à condition de respecter le droit mis en place.

Au regard de la déductibilité des dépenses, en France comme au Canada, le problème est de savoir si l'Administration fiscale est fondée à déterminer que certaines opérations ne lui sont pas opposables car elle estime qu'elles n'auraient pas dû être réalisées par l'entreprise. À l'occasion des contrôles fiscaux qu'elle mène, l'Administration fiscale française a fréquemment recours à la théorie de l'acte anormal de gestion pour fonder ses redressements. L'acte anormal de gestion est l'acte qui met une dépense à la charge de l'entreprise ou qui prive cette dernière d'une recette sans que l'acte soit justifié par l'intérêt social. Comme en conclu le commissaire du Gouvernement M. Racine : « En droit fiscal, l'acte anormal de gestion est un acte ou une opération qui se traduit par une écriture comptable affectant le bénéfice imposable que l'Administration entend écarter comme étrangère ou contraire aux intérêts de l'entreprise »8(*).

L'élément substantiel de l'acte anormal de gestion est l'intérêt social de la société - et non des actionnaires. Est également employé le terme de l'intérêt direct de l'exploitation commercial de l'entreprise. Lorsqu'une dépense est effectuée par l'entreprise, il s'agit de se poser la question de savoir si cette dépense a été effectuée dans l'intérêt de cette dernière en opposition par exemple, avec l'intérêt du dirigeant ou d'une tiers personne. Au Canada, cette question se pose différemment. Effectivement, il s'agit de savoir si la dépense a été effectuée dans le but de produire un revenu. Ce sont là deux approches différentes qui induisent une logique distincte quant à l'opération de redressement fiscal. Qu'en est-il des dépenses illicites effectuées dans l'intérêt de l'entreprise ou dans le but de produire un revenu ? Par exemple, le versement de pots-de-vin est un acte illicite qui peut-être tout à fait favorable à la gestion, mais il heurte des principes légaux ou moraux fondamentaux.

À cet égard, une décision rendue par le Tribunal administratif de Lyon datant du 17 juin 1997 concernant des honoraires versés à un bureau d'étude énonce que :

Considérant (...) que le versement de ces honoraires était une condition imposée par les municipalités pour l'obtention de marchés publics (...) que, dès lors, et alors même que ces pratiques constitueraient des infractions aux lois et règlements en vigueur, les charges correspondantes engagées dans l'intérêt de la société ont le caractère de charges déductibles9(*).

D'une part, cette jurisprudence semble difficile à justifier car, s'agissant de pots-de-vin locaux, il ne peut être fait référence au contexte de « guerre économique » qui avait été avancé lors de la discussion de la loi de finance rectificative pour 199710(*) afin de maintenir la déductibilité des bakchichs internationaux. D'autre part, cette affaire soulève une question ancienne et délicate qui sera l'objet de ce travail, à savoir, si le caractère illicite des dépenses supportées par les entreprises est de nature à influer sur leur déductibilité.

À prime abord, nous serions tenter de croire que le dirigeant d'une société qui déduit des dépenses de nature illicite (par exemple, un pot-de-vin) commet une faute pour laquelle il doit être sanctionné. Ceci est vrai en matière de droit pénal. Effectivement, des infractions sont prévues à cet effet : délits de corruption et de trafic d'influence d'une part, abus de biens sociaux d'autre part. Mais du point de vu fiscal, les juges français semblent fermer les yeux sur la déduction de ces dépenses illicites. S'agit-il d'une incohérence du droit interne français ? Plutôt, cela ne découlerait-il pas d'une certaine logique à savoir que, toutes dépenses devant être déclarées, il apparaît naturel que le juge fiscal n'ait pas à se prononcer sur le caractère licite ou illicite de celles-ci mais seulement sur le fait qu'elles aient été effectuées ou non dans l'intérêt de la société ? Au Canada, deux récents articles de la Loi sur l'impôt et le revenu figurant sous le chapeau de l'article 67 L.I.R. sur la restriction générale relative aux dépenses semblent être clairs à propos de la déductibilité de ce type de dépense.

D'une part, l'article 67.5 L.I.R. porte expressément sur la non déductibilité des paiements illégaux tandis que l'article 67.6 L.I.R. se penche sur la non déductibilité des amendes et pénalités. L'article 67.5 L.I.R. a la particularité de faire référence au Code criminel. L'énumération d'une série d'infractions y paraît, dont celle de versement de commission secrète. Le législateur est donc intervenu de façon spécifique. Ce n'est pas le cas en France : non seulement le législateur n'est pas intervenu de façon spécifique quant à la non déductibilité des dépenses illicites, mais la jurisprudence constante du Conseil d'État confirme le fait que ces dernières ne sont pas par essence non déductibles dès lors qu'elles sont conformes à l'intérêt social11(*). Certes, certaines conditions devront être remplies afin que l'entreprise bénéficie de la déduction. En ce qui a trait au versement de pots-de-vin, la justification de la réalité du service rendu par l'intermédiaire s'avère difficile car aucune trace écrite ne permet d'établir la nature exacte de l'intervention. Mais, dans le même temps, le contribuable pourra toujours laisser à l'Administration le fardeau de prouver que la dépense découle d'un acte anormal de gestion.

En ce qui concerne l'article 67.6 L.I.R. portant sur la non déductibilité des amendes et pénalités, il met un terme à l'interprétation faite par les juges de la Cour suprême dans l'affaire British Colombia Ltd. c. Canada (1999). S'appuyant sur le texte de la Loi de l'impôt sur le revenu, la Cour conclut que le seul critère applicable consiste à déterminer si la dépense a été encourue dans le but de tirer un revenu et que, dans un tel cas, à moins d'une disposition expresse à l'effet contraire, la dépense doit être déductible, le rôle des tribunaux n'étant pas de créer des distinctions là où la loi est silencieuse. Dans cette affaire, la Cour a déterminé sur la base de la preuve versée au dossier que la décision du contribuable d'outrepasser son quota en était une purement commerciale, prise effectivement dans le but de gagner un revenu, et puisque aucune disposition expresse n'empêchait sa déduction, cette dépense devait être déductible. Les juges ne pouvaient être plus explicite : il fallait qu'une loi soit adoptée afin que puisse être interdite la déductibilité de certaines charges. En France, nonobstant le principe général de déductibilité, la déductibilité de certaines charges est toutefois expressément exclue par les dispositions du 2 de l'article 39 du C.G.I.. Ceci dit, d'autres cas d'absence de déductibilité des sanctions et pénalités s'ajoutent à cette liste fixée par le législateur au même article, s'agissant des infractions qui correspondent à des faits ne relevant pas de la gestion commerciale normale de l'entreprise. La Direction générale des impôts (D.G.I.) évalue à environ 20 millions d'euros le surcroît annuel de recettes fiscales qui serait engendré par l'interdiction de déduire certaines sanctions et pénalités des bénéfices soumis à l'impôt12(*). Cette remarque à caractère économique ne viendrait-elle pas renforcer l'argument selon lequel, de manière générale, la déduction de ces dépenses devrait être refusée car elle compromettrait l'effet dissuasif recherché et ferait reposer sur l'ensemble des contribuables le fardeau que devrait supporter seul le fautif ?

Bien entendu, l'intérêt social ne peut servir de critère à la déductibilité de toutes les dépenses effectuées par l'entreprise. La notion est utilisée pour apprécier, non pas la régularité de l'acte de gestion, mais son opportunité. L'entreprise qui se voit reprocher un acte anormal de gestion ne commet pas une fraude fiscale à proprement parler puisque ladite théorie repose sur une construction jurisprudentielle. De surcroît, l'acte anormal de gestion ignore l'intention frauduleuse du dirigeant. Celle-ci ne sera pas prise en compte à moins que cet acte soit également constitutif du délit de fraude fiscale. De façon générale, la procédure de répression des abus de droit a pour objet de permettre à l'Administration fiscale d'aller au-delà de l'apparence juridique qu'un contribuable aurait pu conférer à une opération, et d'appréhender sa véritable portée.

Or, lorsque le dirigeant déduit des dépenses illicites du bénéfice réalisé par l'entreprise, il ne dissimule aucun fait, il est probablement même de bonne foi. La question se pose donc de savoir à partir de quand un acte devient anormal ? Cette question est profondément pertinente puisque l'Administration fiscale peut invoquer l'abus de droit13(*). Lorsque l'Administration fiscale entend utiliser cette procédure, elle doit établir que les actes en cause revêtaient un caractère fictif ou pouvaient être regardés comme ayant pour seul but d'éluder les impositions dont était passible l'opération réelle14(*). Au Canada, la fraude fiscale est également punie et la procédure de sanction semble bien cadenassée avec l'ajout de l'article 245 L.I.R. portant sur l'évitement fiscal. Le contribuable et l'entreprise n'ont plus droit à l'erreur.

Au Canada, avant l'entrée en vigueur de l'article 67.5 L.I.R., la déductibilité des dépenses illicites telles que les pots-de-vin ou les bakchichs a déjà été acceptée par l'Agence du revenu du Canada (A.R.C.) sous certaines conditions : que le nom du bénéficiaire soit divulgué et que la dépense soit effectuée pour produire un revenu, le montant devant être raisonnable dans les circonstances15(*). Aujourd'hui, la situation semble avoir évoluée. Pour ces raisons et malgré le fait que la théorie de l'acte anormal de gestion, pilier du droit fiscal français, soit inconnue en droit fiscal canadien, il nous paraît enrichissant de juxtaposer ces deux systèmes afin de suivre l'évolution parallèle d'une réalité fiscale à l'intérieur de deux systèmes juridiques différents.

* 1 9. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

* 2 Symex c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, p. 722.

* 3 CE 1er juill. 1983, RJF 1983, n° 10, p. 519.

* 4 CE 7 juillet 1958, n° 35.977, 7· s.-s., DF 1958, n° 44, com. 938, Dupont 1958, p. 575.

* 5 LACASSE (N.). Droit de l'entreprise. Les éditions Narval, 5e éd., 2003, p. 217.

* 6 Turquand c. Marshall, [1869] L.R. Ch. App. 376.

* 7 Stubart Investments Limited c. La Reine [1984] 1 R.C.S. 536.

* 8 CE 27 juill. 1984, RJF 10/84, p. 562. Conclusions de Monsieur le commissaire du Gouvernement Racine

* 9 TA Lyon 17 juin 1997, n° 88-11914 et 88-11915, 4e ch., Sté Rémoise de nettoiement RJF 12/97 n° 1108, confirmé par CAA Lyon 10 avril 2003 n° 97-02550, 2e ch., Sté Rémoise de nettoiement.

* 10 Loi de finances rectificative pour 1997 (n° 97-1239 du 29 décembre 1997), parue au JO n° 302 du 30 décembre 1997.

* 11 CE 11 juill. 1983, RJF 1983, n° 10, p. 519.

* 12 La suppression de la déduction de certaines sanctions et pénalités [En ligne]. Consulté sur Internet : http://www.senat.fr (15.08.2008).

* 13 Article L 64 du Livre de procédures fiscales.

* 14 CE 10 juin 1981, RJF 9/81 n° 787 Cass. Com. 18 avril 1988, RJF 2/89 n°250.

* 15 Circulaire d'information 76-4R du 27 juin 1977.

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