Le contrôle de la société anonyme par les actionnaires( Télécharger le fichier original )par Jacques Derthal ALBAS Université de Lomé - DEA 2007 |
Paragraphe II : Les risques du contrôle à l'égard des dirigeants sociauxPlusieurs risques pèsent sur les dirigeants sociaux lors de la mise en oeuvre du contrôle interne. Ils peuvent être révoqués (A) ou voir leur responsabilité être engagée par les actionnaires (B). A- La révocation des dirigeants sociauxLa révocation72 des dirigeants est prévue par l'AUSCGIE73. Elle nourrit un abondant contentieux74. En effet, considérée comme une séquelle de l'analyse qui voyait dans leurs fonctions un mandat75, la révocation des dirigeants relève de la compétence de l'assemblée d'actionnaires. La Cour d'appel d'Abidjan a récemment rappelé à ce sujet et conformément aux articles 546 et 551 de l'AUSCGIE que « l'organe compétent pour révoquer le président directeur général et son équipe dirigeante est l'assemblée générale (...) »76. Cette révocation ad nutum selon la formule latine qui veut dire « au moindre signe de la tête » reste d'ordre public77. La révocation est le résultat de la mise en oeuvre du contrôle de la gestion et des comptes sociaux, sanction à l'égard des dirigeants sociaux. La révocation ad nutum peut être prononcée à tout moment par la décision souveraine d'une seule personne ou de l'organisme habilité à cet effet. Seuls les dirigeants sociaux peuvent être révoqués à tout moment par décision de l'assemblée d'actionnaires. Cette révocation est possible même si elle n'a pas été inscrite à l'ordre du jour78, cela en vertu de la théorie des incidences79. A cet effet, le tribunal régional hors classe de Dakar a ainsi décidé qu' « (...) il n'est non plus utile de fixer dans l'ordre du jour le point sur la révocation du gérant, ce dernier peut être discuté dans les questions diverses »80. Cette 71 Paraphrase d'une formule celèbre au Burkina-Faso relative aux chercheurs (Des chercheurs qui cherchent, on en trouve ; des chercheurs qui trouvent, on en cherche) cite par Michel Filiga SAWADOGO in « commentaires de l'Acte uniforme portant procedures collectives » in Traite et Actes uniformes commentes et annotes, p. 811. 72 Le vocable revocation vient du verbe latin revocare qui signifie rappeler. Il designe le fait, pour une personne, de retirer les pouvoirs accordes a une autre. 73 Il s'agit de la revocation de l'administrateur a l'article 433 al.2 ; du PDG a l'article 469; du DG a l'article 492 ; de l'administrateur general a l'article 509 et de l'administrateur general adjoint a l'article 515 de l'AUSCGIE. 74 Sur la question voir en ce sens CA Paris, (3e Ch. Sect. A) 4 avr. 2006, Rev. soc juill-sept. 2006, p. 667 ; L. GODON, note sous CA Versailles, 5 juin 2003, Rev. soc 2004, p. 108 ; CA Paris, 21 nov. 1991, Sonatra c/ Bon : JCP 1992, ed. E, I, 145, n° 8, Obs. A. VIANDIER et J. J. CAUSSAIN ; CA Abidjan, arrêt n° 1247 du 28 nov. 2003, www.ohada.com (ohadata J-03-347). 75 Paul LE CANNU, op.cit, p. 386. 76 CA Abidjan, 23 oct. 2003, arrêt n° 1161. Ste ASH Internationale c/ Maurice Kacou ; www.ohada.com (ohadata J-03-317). 77 Dans un vieil arrêt du 30 avril 1878, la chambre civile de la Cour de cassation a precise que la revocation ad nutum est « une règle d'ordre public a laquelle il n'est pas permis de deroger, notamment par des clauses qui, en enlevant a la societe le droit absolu de revoquer ses mandataires, confèreraient aux tribunaux le pouvoir de contrôler les causes de revocation et d'allouer des dommages-interêts au mandataire revoque, a leur estime, sans motifs legitimes», D.P 1878, 1, 314 ; V. notamment Cass. civ. 9 janv. 1964, D. 1964, p. 519. 78 V. art. 522 al 2 de l'AUSCGIE. 79 Il s'agit de la theorie selon laquelle les actionnaires decident au cours d'une assemblee de demettre le dirigeant quand bien même cette resolution n'aurait pas ete inscrite a l'ordre du jour. 80 Trib. reg. hors classe de Dakar, jugement n° 327 du 19 fevr. 2003, Pèdre DIOP c/ Oumar SECK et BAG SARL ; www.ohada.com (ohadata. J-03-180). situation est aussi transposable dans les sociétés anonymes. Elle concerne tout dirigeant81. Les conventions qui lui portent atteinte sont formellement interdites. Il en est ainsi de l'interdiction d'une clause subordonnant la révocation du directeur général à l'attribution d'une fonction salariée au sein de la société82. En principe, aucune motivation ni indemnité n'est exigée et due à l'administrateur lors de cette révocation. Mais cette règle est protégée aujourd'hui par le principe du contradictoire qui atténue sa brutalité. Ce principe signifie que soient respectés les droits de la défense. Dans un arrêt rendu le 3 janvier 1996, la Cour de cassation française affirme solennellement que « la révocation d'un directeur général peut intervenir à tout moment et n'est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à la réputation ou à l'honneur du dirigeant révoqué ou si elle a été décidée brutalement sans respecter le principe de la contradiction »83. Ce principe signifie que le dirigeant puisse préparer sa défense et présenter ses observations. Il doit, par conséquent, être informé du projet de révocation et invité à se justifier. Certes, la mesure de ce droit reste à préciser : suffit-il qu'il soit informé de la volonté des actionnaires de le révoquer ou faut-il également lui communiquer les griefs ? La doctrine84 estime que l'évolution de la jurisprudence devrait logiquement conduire la Cour de cassation à consacrer cette obligation, qui seule semble correspondre à la philosophie du contradictoire. Si la révocation s'est réalisée dans les circonstances portant atteinte à l'honneur ou à la réputation des dirigeants sociaux ou encore si elle est entourée des circonstances injurieuses et vexatoires et sans possibilité de défense pour l'administrateur révoqué85, la théorie de l'abus de droit86 justifie la réparation du préjudice subi par le dirigeant ainsi « traîné dans la boue »87. En droit OHADA, il n'existe aucune décision en la matière. C'est pourquoi, la doctrine estime qu'il convient de ne pas s'empresser pour appliquer de facto le principe du contradictoire en cas de révocation ad nutum. La vigilance s'impose en la matière afin d'apprécier les évolutions convergentes ou divergentes du droit uniforme au regard des pratiques constatées en droit français88. Par surcroît, il faut remarquer que la plupart des dispositions de l'AUSCGIE sont d'ordre public. Toutefois, le principe du contradictoire étant un principe général de droit, il sied de le respecter. Mais la révocabilité n'est pas le seul risque auquel sont exposés les dirigeants sociaux. Ceux-ci peuvent voir leur responsabilité être engagée lors de ce contrôle. |
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