B - La confiscation du pouvoir de l'assemblée
d'actionnaires par le conseil d'administration
La confiscation du pouvoir de l'assemblée
d'actionnaires par le conseil d'administration est le résultat de
l'absentéisme parfois excessif des actionnaires aux assemblées.
En effet, malgré un développement notable de l'information
organisée en leur faveur, ces derniers ne participent pas de
façon active à la vie sociale comme le voudrait l'affectio
societatis. Ils ne se sentent pas réellement impliqués dans
la marche des affaires sociales et n'ont pas une bonne mentalité
d'associés. Cette confiscation des pouvoirs s'effectue
fréquemment par le truchement des pouvoirs en blanc dont
bénéficient les dirigeants sociaux.
Dans les grandes sociétés, l'actionnaire qui ne
peut ou ne veut assister à l'assemblée ne connaît pas
d'autre actionnaire à qui donner procuration. C'est pourquoi les
sociétés demandent aux banques d'adresser à leurs clients,
moyennant commissions, une formule de procuration, signée par
l'actionnaire et renvoyée sans indication de nom de mandataire : c'est
la pratique des pouvoirs en blanc ou mandats en blanc189.
187 André TUNC, « L'effacement des organes
légaux de la société anonyme », D. 1952, p.
74.
188 Paris, 9 janvier 1942, D.
1952, p. 383.
189 Philippe MERLE, Droit commercial,
Sociétés commerciales, 12eme éd., Précis
Dalloz, Paris, 2008, n° 470, p. 563.
Cette pratique se traduit par la présence de quelques
dizaines ou centaines d'actionnaires aux assemblées190. Elle
peut entraîner des abus car elle renforce les pouvoirs des dirigeants qui
vont utiliser les voix des dizaines ou milliers d'actionnaires qui se
désintéressent de la vie sociale. Elle est un mode d'accaparement
des voix pour le conseil d'administration et rend illusoire l'omnipotence de
l'assemblée d'actionnaires. Autrement dit, le pouvoir de
l'assemblée est normalement confisqué par le conseil grâce
aux mandats qu'il reçoit et les dirigeants « sont en mesure de
conduire la société aussi aisément que le ferait un
entrepreneur individuel dans son entreprise »191.
Dès lors, c'est la direction qui fait la
majorité aux assemblées d'actionnaires, et le contrôle
capitaliste ne s'exerce plus véritablement192. Le pouvoir est
exercé sans partage par les dirigeants qui s'appuient sur une fraction
relativement élevée du capital pour diriger la
société. N'est-ce pas une insulte à la «
démocratie actionnariale »193. A cet effet, comme
l'écrivait M. Louis LOSS en 1961 : « Sans règlementation, le
mandat est une invitation ouverte à l'auto-perpétuation et
à l'irresponsabilité de la direction »194 et M.
D. E. MANGUELLE a justement relevé que « prenez n'importe lequel
d'entre nous, donnez-lui une parcelle de pouvoir et il deviendra suffisant,
arrogant, intolérant, jaloux de ses prérogatives qui ne souffrent
d'aucune délégation »195.
En pratique, ces pouvoirs sont utilisés par le
président qui les répartit entre les actionnaires présents
qui lui sont fidèles ; ce qui assure la stabilité de son pouvoir,
parfois même de manière abusive, en particulier en cas d'appel
public à l'épargne196. Ainsi l'assemblée se
trouve en marge de la gestion sociale. En conséquence, les
assemblées seraient donc une illustration de la théorie des trois
L : « litanie, liturgie, léthargie »197.
D'ailleurs, les pouvoirs en blanc remis aux dirigeants sociaux
qui les utilisent à leur guise pour orienter les décisions de
l'assemblée en leur faveur expliquent un chevauchement dans les
compétences de ces deux organes. Grâce à ces pouvoirs, les
dirigeants de la société deviennent « maîtres des
assemblées »198, car ils obtiennent plus facilement le
quorum. De plus, cela leur permet d'éviter les frais et retard d'une
seconde convocation199. Cet état des lieux consacre le
déclin de l'assemblée d'actionnaires et remet en cause la
théorie contractuelle de la société. Au total, il ne reste
que les bribes de la théorie démocratique200 de la
société anonyme. D'autres raisons rendent davantage le
contrôle interne collectif insuffisant.
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