Paragraphe II : Les conséquences de
l'absentéisme des actionnaires
Les conséquences de l'absentéisme des
actionnaires aux assemblées sont de deux ordres. Il s'agit d'une part de
l'effacement de l'assemblée d'actionnaires en tant qu'organe de
contrôle (A) et, d'autre part, de la confiscation de ses
pouvoirs par le conseil d'administration (B).
180 Hervé CHASSERY, « Les attributions du
conseil de surveillance », RTDcom 1976, p. 451.
181 Ibid.
182 M. VIGREUX, « Les
droits de l'actionnaire dans les sociétés anonymes,
théorie et réalité », Paris, 1953 cité par
Hervé CHASSERY, ibid., p. 451.
183 Paul LE CANNU, ibid.,
n° 782.
184 Georges RIPERT
cité par Hervé CHASSERY, ibid., p. 451.
185 Yves GUYON, Droit des
Affaires, Droit Commercial Général et Sociétés,
Tome 1, 12eme éd., Economica, Paris, 2003, n° 289, p.
291.
186 André TUNC, ibid.,
p. 74.
A - L'effacement de l'assemblée d'actionnaires en
tant qu'organe de contrôle
L'effacement de l'assemblée peut entraîner la
confiscation de son pouvoir par le conseil d'administration. Cet effacement est
l'une des conséquences majeures de l'absentéisme des actionnaires
aux réunions et la résultante d'un transfert des pouvoirs de
l'assemblée d'actionnaires aux mains des dirigeants. Cette
assemblée ne joue plus son rôle traditionnel qui consiste à
contrôler la gestion des affaires sociales. La plupart de ses
prérogatives lui sont presque retirées. Cet état de fait
inverse le modèle du pouvoir étant donné que ce sont les
dirigeants qui prennent les décisions touchant la substance de la
société. Ces propos sont renchéris par le professeur A.
TUNC qui estime que « l'assemblée générale est
aujourd'hui, dans la plupart des sociétés, et notamment dans
toutes les grandes sociétés, l'organe le plus inefficace
»187.
L'effacement de l'assemblée d'actionnaires en tant que
véritable organe de contrôle a attiré l'attention de la
jurisprudence. Il a été mis en lumière dans un arrêt
de la cour d'appel de Paris rendu le 9 janvier 1942 dans l'affaire du Bon
Marché188.
Les faits se résument de la façon suivante : le
conseiller financier, publicitaire et commercial de cette entreprise et le
président de son conseil d'administration ont pu, grâce à
l'inertie prolongée des autres administrateurs et aux mandats qu'ils
recevaient en blanc des actionnaires, jouir d'une entière maîtrise
sur la marche et la vie de la société. En deux ans, alors que la
société réalisait normalement un bénéfice de
40 millions, ils lui firent subir une perte de 168 millions ; après
avoir obtenu 500 millions de l'épargne publique et mobilisé 430
millions de réserves, ils durent déposer son bilan. Sans
décrire tous leurs agissements, on peut relever qu'ils achetèrent
des meubles fabriqués par le conseiller financier pour un montant de 52
millions et les revendirent avec une perte de 27 millions, à laquelle
s'ajoutent notamment les dépenses de publicité et le financement
à concurrence de 34 millions, d'une société chargée
d'écouler ces meubles ; qu'ils achetèrent des chaussures,
fabriquées par une société ou le conseiller financier
était directeur adjoint et le président du conseil,
administrateur, et les revendirent avec une perte de 18 millions ; qu'ils
donnèrent, à concurrence de 50 millions, la garantie du Bon
Marché à une société qui, à partir d'une
certaine date, fonctionna essentiellement au profit des fabriques de meubles et
de chaussures dans lesquelles était intéressé le
conseiller financier ; puis que, sans aucune autorisation, ils vendirent 50
millions du portefeuille du Bon Marché pour honorer leur signature ;
qu'enfin, sans que le conseil d'administration ne soit au courant de ces
manoeuvres, ils installèrent dans les locaux du Bon Marché une
société à responsabilité limitée
formée entre l'ami du conseiller financier et une société
dont il était président directeur général, et y
engagèrent plus de 200 millions pour les résultats toujours
déficitaires. En rémunération de cette activité,
ils se firent remettre du Bon Marché, l'un 22 millions et l'autre 17
millions, cette rémunération étant calculée sur le
chiffre d'affaires.
Plusieurs enseignements sont à tirer de cet
arrêt. En l'espèce, deux hommes ont ignoré la loi.
Autrement dit, ils ont agi sans que leurs collègues du conseil
d'administration, les commissaires aux comptes et surtout les actionnaires ne
se soient rendus compte de la gestion catastrophique des affaires sociales. Par
conséquent, cet arrêt confirme l'effacement de l'assemblée
d'actionnaires comme organe de contrôle de l'activité sociale.
Cette situation entraîne ainsi la confiscation de ses pouvoirs par la
direction.
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