Le contrôle de la société anonyme par les actionnaires( Télécharger le fichier original )par Jacques Derthal ALBAS Université de Lomé - DEA 2007 |
B- L'expertise de gestion : un moyen accru de contrôleLa réforme de l'OHADA renforce justement les droits des actionnaires. Cette réforme, qui vise à compléter l'information de ces derniers, se traduit par la possibilité qui leur est désormais accordée de demander l'expertise de gestion. C'est ce qui ressort de l'article 159 de l'AUSCGIE qui dispose qu'« un ou plusieurs associés représentant au moins le cinquième du capital social peuvent, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, demander au président de la juridiction compétente du siège social la désignation d'un ou de plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion ». Autrefois appelée expertise de minorité, l'expertise de gestion, comme le souligne le professeur H-D MODI KOKO BEBEY, est l'une des innovations les plus marquantes de la réforme du droit des sociétés commerciales en Afrique123. Elle désigne « une action par laquelle la minorité révèle son aptitude à intervenir en qualité d'organe social subsidiaire de contrôle »124. La consécration de l'expertise de gestion par le droit OHADA s'inscrit dans le mouvement d'harmonisation du droit des affaires en Afrique dont l'objectif est de garantir la sécurité juridique des activités dans le but d'encourager les investisseurs. C'est pourquoi il est de nos jours très difficile d'appliquer un texte qui ne garantit aucune information minimale aux actionnaires minoritaires, c'est-à-dire « des actionnaires qui ne font pas partie du groupe dirigeant »125. M. TIGER fera d'ailleurs observer que l'un des objectifs prioritaires de cette nouvelle législation est l'amélioration de l'information et la sécurité des acteurs sociaux126. Selon le professeur Y. GUYON, c'est une procédure dont « le but n'est pas de donner au demandeur une information générale » mais « qui tend seulement à faire toute la lumière sur une ou plusieurs opérations déterminées, à propos desquelles -mais à propos desquelles seulement-, le demandeur aura des renseignements aussi complets et aussi précis que possible »127. Cette procédure sort du contexte traditionnel de l'information et s'intègre dans une procédure judiciaire. Il s'agit là, sans aucun scepticisme, d'un moyen de faire respecter les droits des actionnaires minoritaires par une action judiciaire128. Par surcroît, l'expertise de gestion permet à l'actionnaire qui souhaite être renseigné sur la gestion de la société d'obtenir le maximum d'informations sur des faits que les dirigeants ont tendance à dissimuler en s'abritant derrière le secret des affaires. 121 TPI de Yaoundé, Ord. Réf. n° 494/0, 06 février 2001, NDJEUDUI Thaddée contre Continental Business Machines S.A in AUSCGIE, p. 452. 122 Cass. com. 1er juillet 2008, D 2008, A J, Tome 2, p. 1994. 123 Henri-Désiré MODI KOKO BEBEY, « La réforme du droit des sociétés commerciales en Afrique », Rev. soc avril-juin 2002, p. 255. 124 D. Schmidt, Les droits de la minorité dans la société anonyme, SIREY 1970, n°283 cité par Dominique VIDAL, Manuel droit des sociétés, 5eme éd., LGDJ, Paris, 2006, n° 749, p. 376. 125 D. Schmidt, Les droits de la minorité dans la société par actions, These en droit, Strasbourg ,1970 cité par Raphael CONTIN et Henri HOVASSE, « L'expert de minorité dans les sociétés par actions », D.S 1971, p. 75. 126 M.P. TIGER, Le droit des affaires en Afrique, Que sais-je ? PUF, cité par Bérenger Yves MEUKE, « L'information des actionnaires minoritaires dans l'OHADA : réflexion sur l'expertise de gestion », http : // www.juriscope.org/ actu_juridiques/ doctrine/ OHADA/ Ohada_20.pdf.pp.1-13 127 Yves GUYON, « Expertise de gestion », Jurisclasseur des Sociétés 1985, fasc. 134-D, pp 1-13. 128 Alain FENEON, « Les droits des actionnaires minoritaires dans les sociétés commerciales de l'espace OHADA », Revue Penant, 2002 cité par Bérenger Yves MEUKE.B, ibid., p. 3. Cette institution traduit évidemment une « mutation fondamentale de la fonction de l'information économique dans l'entreprise »129. Elle limite les conséquences d'une gestion désastreuse et permet de lutter contre les dirigeants qui se montrent rétifs à la transparence, pour des raisons d'inégale valeur130. Elle peut en effet permettre la découverte de faits nouveaux et l'utilisation des mesures appropriées. Elle est donc une mesure d'information et donc de transparence131. Contrairement au droit français132, le législateur de l'OHADA prévoit qu'un actionnaire ou un groupe d'actionnaires n'a pas à préciser qu'il a épuisé toutes les voies d'information pour déclencher l'expertise de gestion133. Son souci est de privilégier le contrôle de la gestion sociale qui s'effectue par le biais de cette institution majeure du droit africain. De cette disposition découle une volonté affirmée du législateur de renforcer l'information des actionnaires car la détention de la fraction du capital exigée pour la demande de cette importante institution a été considérablement réduite. De plus, il est permis aux actionnaires minoritaires de se réunir afin de mettre en oeuvre ce mécanisme de contrôle surtout à un moment où la société traverse une crise. Ainsi l'expertise de gestion constitue un des nombreux volets de la protection des minoritaires134. Elle élargit le périmètre d'information des actionnaires minoritaires et rééquilibre les forces au sein de l'entreprise. Elle permet ensuite aux minoritaires de se renseigner sur la nature, la portée et les conséquences de questions susceptibles de leur porter préjudice et, par conséquent, d'exercer effectivement le contrôle des affaires sociales. Tel est le cas de conventions réglementées qui peuvent faire l'objet de l'expertise135. Ce mécanisme d'information et de contrôle permet de bien veiller sur la gestion sociale. La doctrine souhaite que les actionnaires fassent recours à la lettre recommandée avec accusé de réception afin de laisser une trace écrite de la question posée136. Cette procédure facilite l'information des actionnaires. Mais, il convient de souligner que l'expertise de gestion n'est pas un moyen pour faire procéder à un audit, car l'expert de gestion n'est pas un commissaire aux comptes. D'ailleurs, à la lecture de l'AUSCGIE, il semble que c'est le dernier mécanisme d'information et de contrôle aux mains de ces derniers137. Toutefois, les actionnaires peuvent éviter les pièges de l'article 160 de l'AUSCGIE et recourir au droit commun de la procédure civile, c'est-à-dire, à l'expertise de l'article 145 du nouveau code de procédure civile (NCPC) encore appelée expertise préventive ou référé probatoire138. Cette expertise peut être obtenue du président du tribunal avant tout procès. Bien plus, les actionnaires ne remplissant pas les conditions de l'expertise de gestion ou même ceux qui la remplissent peuvent y trouver un moyen de contrôle efficace139. Cependant, d'autres moyens légaux de contrôle permettent de renforcer davantage le contrôle interne individuel. SECTION II: LE RENFORCEMENT DU CONTROLE INTERNE
INDIVIDUEL PAR DES MOYENS DE Le renforcement du contrôle interne individuel est rendu
possible grâce aux moyens d'ordre financier et
comptable 129 Michel JEANTIN, « La loi du 1er mars 1984... », Dr. Soc, nov. 1984, p. 604 cité par MBAIHASRA Eric, L'expertise de gestion dans l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intéret économique, Mémoire de DEA-Droit Privé Fondamental, Université de Lomé, FDD, 2007, p. 47. 130 Paul LE CANNU, Droit des sociétés, Domat, Droit privé, Montchrestien, Paris, 2002, n° 877. 131 Yves REIHNARD, RTDcom janv-mars 1988, n° 6. 132 Mais contrairement a la procédure de l'AUSCGIE, la loi subordonne l'expertise de gestion dans la SA a une demande amiable d'information présentée au président du conseil d'administration ou du directoire. 133 Tribunal régional de Niamey, ordonnance de référé n° 245 du 22 oct. 2002, Abbas Hammoud C/ Jacques Claude Lacour et Dame Evelyne Dorothée Flambard, www.ohada.com (ohadata J-04-489) ; http:// www.juriscope.org / actu_juridiques/doctrine/OHADA_24.pdf 134 François ANOUKAHA et alii, Sociétés commerciales et GIE, Bruylant, Bruxelles, 2002, p. 161. 135 CA Paris, 20 mai. 1998 : Dr. sociétés 1998, n°127, obs. D. VIDAL cité par Paul LE CANNU, ibid., p. 531. 136 Alain VIANDIER, « Sociétés et loi NR E - Les réformes de la loi « nouvelles régulations économiques », éd. F. Lefebvre 2001, cité par Jean-Philippe DOM, « La protection des minoritaires », Rev. soc juil.-sept. 2001, p. 550. 137 Sur l'exhaustivité de la question, voir MBAIHASRA Eric, L'expertise de gestion dans l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intéret économique, Mémoire de DEA-Droit Privé Fondamental, Université de Lomé, FDD, 2007. 138 Trib. com. Paris, 2 mai 2002 : JCP E 2002, pan, p. 1220 cité par M. COZIAN et alii, Droit des sociétés, 17eme éd., LITEC, Paris, 2004, p. 300. 139 Yves GUYON, Droit des Affaires, Tome 1, Droit Commercial Général et Sociétés, 12eme éd., Economica, Paris, 2003, p. 490. comptable applicable à tous les commerçants, personnes physiques ou morales, qui postule l'élaboration de divers documents mis à la disposition des actionnaires. En outre, ce renforcement se traduit par un développement croissant d'une bonne politique d'information des actionnaires (Paragraphe II). |
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