CHAPITRE PREMIER : LE CONTROLE INTERNE INDIVIDUEL : UN
CONTROLE DIFFICILE
Le contrôle interne individuel n'est possible que si
l'actionnaire dispose d'une information claire et précise. Mais tel
n'est pas toujours le cas. En effet, ce contrôle est confronté
à de multiples difficultés liées à l'information
des actionnaires et à certains mécanismes de contrôle qui
mettent à mal sa mise en oeuvre (section I). Toutes ces
difficultés découragent les actionnaires et freinent très
fortement son efficacité. Toutefois, lorsque ce contrôle est
déclenché et qu'il révèle des fautes de gestion des
dirigeants sociaux, il est de nature à engendrer risques aussi bien
à l'égard de la société qu'à l'égard
des dirigeants sociaux (section II).
SECTION I : LA DIFFICILE MISE EN OEUVRE DU CONTROLE
INTERNE INDIVIDUEL
Plusieurs difficultés inhérentes à la
mise en oeuvre de certains mécanismes de contrôle empêchent,
d'une part, les actionnaires de bien contrôler la gestion des affaires
sociales (paragraphe I). D'autre part, des difficultés
liées à la qualité des actionnaires paralysent fortement
ce contrôle (paragraphe II).
Paragraphe I : Les différentes difficultés
du contrôle interne individuel
Les difficultés de contrôle de la
société peuvent résulter de la nature de l'information
(A) ou être liées à la mise en oeuvre des
mécanismes de contrôle prévus par le législateur
(B).
A- L'asymétrie de l'information des actionnaires
L'information est au centre du droit des sociétés.
Il s'agit d'un droit reconnu à l'actionnaire en vertu de l'action qu'il
possède et lui permettant de participer à la marche de la
société. Ce droit est inhérent à sa qualité
d'actionnaire.
Comment l'actionnaire exerce-t-il ce droit à l'information
?
L'actionnaire peut exercer ce droit de deux manières.
Il peut se rendre au siège social pour prendre connaissance des
documents qui sont tenus à sa disposition quinze jours avant la date de
la réunion. Il peut se faire assister par un expert ou un huissier. Il
peut aussi prendre copie de ces documents, sauf l'inventaire31.
C'est le droit de consultation32. De même, tout actionnaire
peut se faire envoyer ces documents et pièces comptables ainsi que les
procès-verbaux des délibérations des décisions
collectives lorsqu'il en fait la demande. Il s'agit du droit de communication.
Mais ce droit à l'information dont dispose l'actionnaire connaît
certaines vicissitudes selon que l'information soit
quérable33 ou portable34.
3° Le vocable
information vient du verbe informer qui dérive lui-même du latin
informere qui signifie instruire. Au sens de la loi, l'information
désigne un renseignement de caractere précis, particulier et
certain. Elle est définie comme un « renseignement
possédé et l'action de le communiquer a autrui (a une personne
déterminée ou au public)». Dans un autre sens, l'information
est un élément de la connaissance que l'on a. C'est aussi
l'action qui consiste a communiquer et l'élément de
connaissance.
31 Il faut noter que l'expression « prendre copie
» s'entend de faRon large et vise la prise de note, les photocopies,
l'utilisation du magnétophone. Ces procédés permettent a
l'actionnaire d'assurer la conservation des renseignements dont il a eu
connaissance. Mais cette expression exclut la faculté d'exiger de la
société la remise d'une copie et l'utilisation de ces
procédés quant a l'inventaire.
32 V. art. 525 et suivants de
l'AUSCGIE qui énumerent de faRon exhaustive la liste des documents que
l'actionnaire peut consulter au siege social.
33 L'information
quérable est celle que l'actionnaire va chercher au siege social ou
selon la formule de M. G. J. VIRASSAMY celle qui « suppose des
investigations dans les affaires de l'entreprise et implique le recours a des
enquêtes et des recherches a la licéité parfois
douteuses » Georges J. VIRASSAMY, « Les limites a l'information sur
les affaires d'une entreprise », RTDcom
D'une part, lorsque l'information est quérable, une
difficulté relative au lieu où l'actionnaire doit aller la
chercher se pose.
L'actionnaire doit-il aller chercher l'information au
siège social ou au lieu de la direction administrative ? Ou encore
l'actionnaire doit-il aller à la fois au siège social et à
la direction administrative ?
En effet, le dépôt des documents en un seul lieu
- au siège social ou à la direction administrative - comporte des
risques limités à condition, toutefois, qu'il ne soit pas de
nature, par la distance géographique entre ces deux lieux, à
interdire pratiquement l'exercice du droit d'information de n'importe quel
actionnaire. En outre, la dualité du lieu de consultation des documents
peut soulever des difficultés lorsque la direction administrative est
géographiquement distincte du siège social. Cela contraint bien
évidemment, la société à les établir en
double exemplaire et entraîne des frais lourds pour celle-ci. De
même, il paraît difficile d'exiger de l'actionnaire qu'il se
transporte fréquemment au siège social pour procéder aux
vérifications des documents lorsque ce siège est situé
dans différents pays. Il n'osera pas se déplacer à cause
des frais inhérents qui seraient plus élevés que les
dividendes qu'il recevra. D'ailleurs, l'actionnaire, dans la plupart des cas,
fait preuve d'une certaine désaffectation à l'égard de la
vie sociale. A cet effet, le professeur A. TUNC écrit que «
l'actionnaire, qui ne va pas à l'assemblée
générale, se dérange encore bien moins pour aller au
siège social »35.
D'autre part, plusieurs difficultés d'information
auxquelles est confronté l'actionnaire naissent du fait que
l'information est portable. En effet, cette information pose quelques
problèmes. D'un côté, le premier problème est
relatif à son imperfection car, l'information peut être quelque
peu imprécise en raison d'erreurs de saisies, d'omissions ou de
contrôles insuffisants. A cet effet, un actionnaire de la
société anonyme de gérance et d'armements du Togo
(SAGA-TOGO) également actionnaire à ECOBANK-TOGO, estime que
« les informations mises à la disposition des actionnaires par ces
deux sociétés ne sont pas toujours sincères. Les erreurs
de calculs des dividendes à servir sont courantes ». De l'autre,
l'une de ses principales difficultés réside dans sa
parcellisation. Elle n'est pas pondérée. Aussi, convient-il de
préciser que l'excès d'information n'est pas à
écarter car elle tue l'information quand l'essentiel est noyé
sous un flot de renseignements sans intérêt. C'est ce que les
médias appellent la désinformation, et la désinformation
juridique est certainement tout aussi redoutable que la désinformation
par voie de presse ou de la télévision36.
D'ailleurs, l'information livrée aux actionnaires est
dispendieuse car elle requiert des moyens financiers. Autrement dit, elle est
synonyme de contrainte et de frais. La doctrine souhaite donc que « les
dividendes ne soient pas trop entamés par les frais d'information
»37 car l'objectif premier d'une société est de
partager des bénéfices et non pas de diffuser l'information. Bien
plus, les dirigeants sont parfois hostiles à l'exercice du droit
à l'information par les actionnaires. Cette attitude peut se justifier
par le fait qu'ils craignent certaines indiscrétions émanant des
concurrents qui achèteraient simplement quelques actions pour se
renseigner à bon compte. L'information met ainsi en conflit
l'intérêt de l'actionnaire censé disposer d'informations
précises pour mieux apprécier la gestion de la
société et celui de la société qui tend à
éviter que les concurrents ne s'emparent d'informations pouvant nuire
à celle-ci. C'est ce qu'a pu observer M. C. BONNET : « Dans le
monde hostile de la concurrence, il importe de pouvoir se situer par rapport
aux autres concurrents et à cette fin, tout renseignement peut
être utilisé pour apprécier la fermeté ou la
faiblesse des positions adverses »38.
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