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Des glaciers au vignoble : gestion de l'eau et stratégies d'irrigation dans les "terroirs" vitivinicoles de l'oasis de Valle de Uco (Mendoza, Argentine)

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par Joris Robillard
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 1  2008
  

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Conclusion

Éloignée des masses d'air de l'Océan Atlantique par quelques 1 000 km et abritée de celles de l'Océan Pacifique par la Cordillère des Andes, la province de Mendoza est située dans un entre-deux climatique : « effet de continentalité » et « situation d'abri » (SALOMON, J-N., PRAT, M-C., 2005) se combinent pour produire des conditions climatiques particulièrement arides qui rendent nécessaire, sinon obligatoire, le recours à l'irrigation. En effet, l'association de températures élevées et de précipitations faibles se manifestant par des déficits hydriques prononcés, y compris lors de la période estivale qui correspond avec le démarrage de l'activité végétative, il faut alors rechercher un apport d'eau externe.

C'est ce que firent les Indiens Huarpes qui, avant même l'arrivée des Espagnols, mirent à profit la pente des cônes de déjection des cours d'eau andins, les ríos, pour en dériver les eaux et ainsi irriguer leurs cultures par inondation. Ce système d'irrigation à la gestion communautaire et basée sur l'offre, donna naissance à des oasis artificielles qui structurent aujourd'hui l'espace de manière polycentrique, l'eau étant à la fois le facteur limitant et le facteur structurant de la province. Installées au contact de « deux mondes complémentaires »70 : la montagne exempte de maladies mais peu apte à l'agriculture et la plaine aux limons fertiles mais bien trop secs, ces oasis se présentent comme des « espaces d'interactions homme-milieu » (LAVIE, E., 2007) dans la mesure où leur approvisionnement en eau dépend de l'eau de fonte nivo-glaciaire libérée par la fusion estivale des glaciers.

Or, les glaciers des Andes mendocines ont amorcé un important retrait depuis le milieu des années 1970, laissant planer la menace d'un changement de régime hydrologique des cours qui descendent de la Cordillère (COSSART, E., LE GALL, J., 2008). Ces derniers, en passant

70 Citation extraite de l'avant-propos du numéro 239 des Cahiers d'Outre-Mer (cf. Bibliographie)

d'un régime glaciaire à un régime nival verraient leur pic des hautes eaux s'atténuer, la superficie englacée se réduisant, et leur période des hautes eaux devenir plus précoce, l'élévation des températures provoquant un raccourcissement de la saison hivernale ainsi qu'une augmentation des précipitations liquides au détriment des précipitations solides (LÓPEZ, P.M., SCHUMACHER M.C., VICH, A.J., 2007). En outre, le changement de régime hydrologique des cours d'eau andins engendrerait un décalage entre les besoins hydriques des cultures et la disponibilité de la ressource en eau qui jusque-là coïncidait avec la saison végétative. Cette évolution pose avec insistance la question de la durabilité de la ressource en eau pour les oasis qui, comme celle de Valle de Uco, ne disposent pas de barrage de retenue pour en assurer la redistribution spatio-temporelle.

Malgré sa position géographique privilégiée pour capter l'eau du Río Tunuyán et des petits cours d'eau qui descendent de la Cordillère, l'Oasis de Valle de Uco est la seule oasis à se situer à l'amont d'un barrage de retenue. Il s'agit donc de l'oasis la plus « vulnérable » (BRKLACICH, M., 2006) à l'hypothèse d'un changement de régime hydrologique des cours d'eau qui affecterait tant l'eau superficielle que l'eau souterraine. Ces dernières constituent en effet une seule et même ressource, l'eau de fonte nivo-glaciaire, étant donné que la recharge de l'aquifère dépend des pertes par infiltration des cours d'eau superficiels. Une seule et même ressource donc, mais que se partagent deux accès à l'eau : l'un, gravitaire et fondé sur la proximité physique du cours d'eau, est un héritage du système d'irrigation mis en place par les Indiens Huarpes ; l'autre, que l'innovation technologique en matière d'irrigation a affranchi des lois gravité, est né de l'ouverture de la province à la mondialisation pour financer la reconversion de son vignoble vers un vin de qualité.

L'objet d'étude de ce mémoire étant la gestion de l'eau, il s'agissait d'appréhender les défis que posent le réchauffement climatique et la mondialisation à la gestion de la ressource en eau dans l'Oasis de Valle de Uco. En outre, il s'agissait de comprendre dans quelles mesure une gestion de l'eau basée sur l'offre peut-elle continuer à fonctionner alors que cette dernière

pourrait à l'avenir diminuer sous l'effet du réchauffement climatique. Car, si l'analyse statistique des débits mensuels du Río Tunuyán entre 1954 et 2004 n'a pas permis d'y déceler la moindre trace du passage d'un régime glaciaire à un régime nival, la variabilité des débits liée au phénomène ENSO étant supérieure à celle liée du réchauffement climatique et du retrait des glaciers, cela ne veut pas dire pour autant que ce cours d'eau soit à l'abri d'un changement de régime hydrologique dans les années à venir : les recherches menées par VILLALBA, R. sur le Río Atuel, présentées le 4 décembre 2008 lors des IV Jornadas de Actualización en Riego y Fertiriego71 , ont dores et déjà montré le changement de régime hydrologique de ce cours d'eau. Il s'agissait également de mesurer les conséquences de la mondialisation sur l'agriculture irriguée d'un pays en voie de développement, en se posant la question de savoir si le développement d'une activité créatrice de richesses, en liaison avec les marchés mondiaux, diminue ou exacerbe les inégalités entre les habitants, anciens et nouveaux, d'un même territoire. Pour ce faire, il fallut retrouver les « gagnants » et les « perdants » de la reconversion du vignoble vers la qualité à travers leur accès à l'eau et les distinguer d'après les transformations socio-économiques qui en sont issues pour saisir pourquoi les « gagnants » gagnent et pourquoi les « perdants » perdent (CHALEARD J.-L., MESCLIER E., 2006).

L'étude de la gestion de l'eau dans le système d'irrigation hérité des Indiens Huarpes a montré qu'il s'agissait d'une gestion administrative et étatique, basée sur l'offre en eau de fonte nivo-glaciaire, et dont les modalités d'un autre temps ne sont plus adaptées à une économie agricole qui, désormais libérée de sa « tutelle agro-directoriale » (RUF, Th., 2000), doit davantage économiser la ressource que la « gaspiller ».

La gestion de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel est en effet régie par la Ley General de Aguas, véritable « jurisprudence de l'eau d'irrigation » élaborée au XIXème siècle par les ingénieurs des services de l'État pour justifier l'emprise de celui-ci sur les ressources

71 « IVème Journées d'Actualisation de la Pratique de l'Irrigation »

hydriques « créées ». D'après la loi, l'eau relève du domaine public et, par conséquent, ne peut qu'être concédée aux usagers du système d'irrigation sous forme de « droits à l'irrigation » (derechos de riego) qui sont, de par le « principe d'inhérence », indissociables de la terre pour laquelle ils ont été concédés et ne peuvent être exercés en dehors des « tours » d'eau. Ces modalités d'irrigation, instaurées au moment de la construction du pouvoir provincial, agissaient comme des structures d'encadrement de la population et permettaient à la province de contrôler la répartition spatio-temporelle de la ressource.

Néanmoins, elles se révèlent aujourd'hui excessivement rigides pour les usagers du système d'irrigation qui, n'ayant pas les mêmes besoins en eau, éprouvent le besoin de réhabiliter la gestion communautaire des Indiens Huarpes pour les rendre plus flexibles. Le décalage entre la loi et les pratiques des usagers, illustrant les « différences de savoir » (RUF, Th., 2004) entre les théoriciens et les praticiens de l'agriculture irriguée, contribue à opacifier le cadre juridique et favoriser la confusion des rôles entre les acteurs de la gestion de la ressource en eau. Ces derniers interviennent en effet selon l'échelle spatiale à laquelle l'eau est distribuée, ce qui tend à segmenter la gestion de la ressource en tronçons et ainsi à l'éloigner des conditions d'une gestion intégrée. Supposant une concertation de l'ensemble des acteurs ainsi qu'une coordination des actes d'aménagements et de gestion, une gestion intégrée de la ressource s'avère pourtant nécessaire pour faire face à l'hypothèse d'un changement de régime hydrologique du Río Tunuyán.

De plus, en faisant de l'eau un droit attaché à la propriété foncière, les modalités d'irrigation définies par la Ley General de Aguas n'encouragent pas l'économie d'eau, la ressource étant distribuée en fonction de la superficie de la parcelle à irriguer et non pas des besoins hydriques des cultures qui sont dessus. De même, l'usager ne paye pas l'eau qu'il consomme, seulement l'usage qu'il en fait dont le prix (canon) est calculé sur la base des coûts induits par le service d'approvisionnement en eau, ce qui inciterait au « gaspillage » : « il serait plus judicieux qu'elle [l'eau] fût payée par l'utilisateur, qui cesserait alors de la gaspiller »

(GOUROU, P., 1976). Á cela s'ajoute la faible efficacité globale du système d'irrigation traditionnel qui occasionne de nombreuses pertes par infiltration bénéficiant aux usagers disposant de perforations. Néanmoins, de toutes les échelles spatiales de la « médiation » de l'eau, c'est bien sur l' « application » que doit se concentrer l'effort d'investissement car les techniques d'irrigation gravitaire utilisées par la plupart des usagers optimisent très peu la ressource en eau.

Sur la base de ces remarques, il est possible d'énoncer quelques recommandations afin d'améliorer la gestion de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel. Tout d'abord, la construction d'un barrage de retenue en amont de l'oasis. Prévu depuis le début des années 1970, le projet Los Blancos n'a toujours pas vu le jour et les usagers sont de plus en plus sceptiques quant à sa réalisation. Alors que la province serait actuellement en train de sélectionner l'entreprise qui sera chargée de sa construction, ce barrage pourrait permettre de stocker la ressource et assurer sa redistribution spatio-temporelle en cas de changement de régime hydrologique du Río Tunuyán. La construction du barrage Los Blancos serait alors un premier pas vers une gestion de l'eau par la « demande sociale » (RUF, Th., 2000), à condition qu'elle s'accompagne de travaux d'imperméabilisation des canaux d'irrigation. Le second pas vers ce type de gestion consiste à accorder davantage de poids aux « associations d'usagers » de manière à rendre effective la participation des usagers à la gestion de la ressource, ce qu'était censé accomplir le processus de décentralisation initié dans les années 1990, et ce afin de limiter l'omnipotence du Département Général d'Irrigation. Pour cela, il est nécessaire de changer les modalités de participation à l'élection de l' « Inspecteur des canaux d'irrigation » qui avantagent clairement les usagers ayant augmenté la superficie qu'ils cultivaient grâce aux techniques d'irrigation sous-pression, étant donné que les votes sont pondérés en fonction de la superficie irriguée par des « droits à l'irrigation ». Dans cette optique, l'usager serait à la fois un irriguant qui participerait à une « démocratie de l'eau » plus transparente et payerait la prestation du

service d'approvisionnement en eau, ainsi qu'un consommateur qui, en payant l'eau qu'il aurait consommée, contribuerait à la recapitalisation du système d'irrigation.

Les « gagnants » et les « perdants » de la reconversion du vignoble vers la qualité ayant été retrouvés à travers leur accès à l'eau, puis distingués d'après les transformations socioéconomiques qui en sont issues, l'accès à la ressource en eau peut être considéré comme une clé de lecture pour mesurer les conséquences de la mondialisation sur l'agriculture irriguée d'un pays en voie de développement. Car, même si l'eau dans la province de Mendoza est célébrée comme une « culture » (Los Andes, 19/11/2008) grâce à laquelle « le peuple mendocin est parvenu à transformer un désert en oasis » (Los Andes, 06/11/2008), elle n'en reste pas moins un facteur de production parmi tant d'autres dont l'accès est conditionné par un autre facteur de production, le capital.

Certes, le capital n'existe pas tout et le pari de la qualité n'aurait pu être tenu sans l'existence préalable d'une vitiviniculture aux bases solides. De même, il est vrai que les acteurs arrivés dans la province au moment de son ouverture à la mondialisation rappellent les immigrants du début du XXème siècle. Néanmoins, la venue de ces acteurs ne correspond pas à un choix subit mais raisonné. En effet, l'ouverture de la province constituaient pour eux l'opportunité de profiter des faibles coûts de production pour produire des « Vins du Nouveau Monde » qui soient de qualité mais dont le prix reste compétitif à l'international. Possédant un capital économique déjà constitué à l'extérieur de la province, ces acteurs ont pu investir dans l'innovation technologique pour bénéficier d'un accès privilégié aux facteurs de production et prendre le contrôle des phases de vinification et de commercialisation. Le contrôle de ces phases leur a ensuite permis de remplacer le paradigme de la production de masse par celui de la qualité en instaurant des standards qui renforcent l'intégration verticale de la filière vitivinicole puisqu'ils incluent ceux qui parviennent à s'y conformer et excluent ceux qui n'y parviennent pas.

Dès lors, si les « gagnants » gagnent au jeu de la mondialisation c'est parce que, contrairement aux « perdants », ils avaient le capital pour investir ; et parce que, contrairement aux acteurs situées entres « gagnants » et les « perdants », ils l'ont investi au bon moment. La métaphore du train, aussi naïve soit-elle, semble on ne peut mieux refléter la réalité de la « nouvelle vitiviniculture » mendocine (MONTAÑA, E., 2007) : les « gagnants » sont ceux qui ont pris le train avant qu'il ne démarre et en imposent la vitesse à ceux qui l'ont pris en marche, les acteurs situés entre les « gagnants » et les « perdants » ainsi qu'à ceux qui l'ont raté et doivent attendre le prochain, les « perdants ». Ainsi, le développement d'une activité créatrice de richesses, en liaison avec les marchés mondiaux, tend à exacerber les inégalités entre les habitants, anciens et nouveaux, d'un même territoire en créant de la distance, au sens propre comme au sens figuré, entre eux.

Car, comme il l'a été démontré, l'accès à l'eau des « gagnants » leur a permis de repousser la frontière agricole de l'oasis sur le piedmont qu'ils territorialisèrent en en faisant une « marge ». Le passage d'un accès traditionnel gravitaire et fondé sur la proximité physique du cours d'eau, à un accès moderne que l'innovation technologique a affranchi des contraintes de la gravité, constitue donc le moteur de la recomposition spatiale de l'Oasis de Valle de Uco. Bouleversant les hiérarchies territoriales au sein de l'oasis, ce nouvel accès à l'eau a en effet contribué à rendre duale sa structure spatiale, opposant le piedmont conquit par les « gagnants » et la vallée restée aux mains des « perdants ». Bien que situé dans une périphérie géographique, le piedmont s'imposerait aujourd'hui comme le nouveau centre économique de l'oasis en accueillant de grandes voire de très grandes parcelles cultivées en vignes et en fruits et irriguées grâce aux techniques d'irrigation sous-pression. Quant à la vallée, autrefois centre économique, elle n'est plus qu'un centre spatial où les parcelles, irriguées gravité, sont relativement petites et où malgré l'apparente diversité des cultures la vigne est peu représentée.

La reconversion du vignoble vers la qualité a donc permis à la vitiviniculture mendocine de sortir de la crise de surproduction dans laquelle elle s'enlisait depuis le milieu des années

1970, et de d'exporter ses vins dans le monde entier. En revanche, elle a davantage profité aux nouveaux habitants de l'oasis, les « gagnants » qui disposaient de capitaux pour investir, qu'aux anciens, « les perdants » et les acteurs situés entre les « gagnants » et les « perdants » qui n'en disposaient pas ou peu. Ces derniers s'estiment pourtant redevables à l'égard des « gagnants » : « En 1995, le groupe FECOVITA commercialisait 16 millions de litres de vins. Aujourd'hui, elle en commercialise près de 30 millions, et cela grâce aux étrangers qui ont apporté le capital dont nous avions besoin pour nous moderniser » (Entretien n°11) ; « L'arrivée des étrangers dans l'Oasis de Valle de Uco fut un avantage puisqu'ils ont ouvert le marché argentin sur le monde. Beaucoup disent qu'ils prennent la terre aux Argentins et occupent leur eau, ce qui n'est pas totalement faux, mais dans le même temps ils participent au développement de la province et ont aidé l'Argentine à se tailler une place de choix dans la vitiviniculture mondiale. Le problème serait que les Français, Lurton et Chandon, y soient installés ; que les Américains, Kendall & Jackson, y soient installés ; que les Hollandais, Salentein, y soient installés ??? Mais c'est gens ont fait connaître le argentin dans le monde entier... » (Entretien n°13).

Se pose alors la question du devenir de la « nouvelle vitiviniculture » mendocine (MONTAÑA, E., 2007) : va t-elle rester l'apanage des « gagnants », ou au contraire susciter de nouvelles vocations parmi les producteurs d'autres cultures, moins épargnées par la crise mondiale que le vin dont les exportations continuent d'augmenter en volume comme en valeur grâce à la demande des pays développés (Fincas, 28/03/2009) ? Dans le second cas, la récente Loi d'Occupation du Sol parviendra t-elle à éviter une nouvelle crise de surproduction en limitant la superficie viticole ?

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle