b) Des « perdants » aux pieds dans l'eau
Les « perdants », quant à eux, sont
les anciens habitants de l'oasis qui, n'ayant pas eu les moyens financiers
d'investir dans un « capital hydraulique propre » ni
l'opportunité de se doter des nouvelles technologies d'irrigation sont
restés « prisonniers » du système d'irrigation
traditionnel. Ce faisant, ils sont demeurés dans la vallée
où les terres, bien que plus riches en sédiments que celles du
piedmont, sont moins favorables à la production d'un vin de
qualité et où les accidents météorologiques,
gelées et chutes de grêles, sont plus fréquents.
La gestion de l'eau dans le système d'irrigation
traditionnel étant basée sur l'offre en eau de fonte
nivo-glaciaire, leur approvisionnement est dépendant du régime
hydrologique des cours d'eau qui descendent de la Cordillère.
Jusqu'à présent, le pic des hautes eaux du régime
glaciaire leur garantissait une eau abondante pour irriguer leurs cultures lors
de la saison végétative. Cependant, l'hypothèse d'un
changement de régime hydrologique des cours d'eau andins qui, en passant
d'un régime glaciaire à un régime nival, verraient leurs
pics des hautes eaux s'atténuer et devenir plus précoce, pourrait
engendrer un décalage entre la disponibilité de la ressource en
eau et les besoins hydriques des cultures66. Dès lors, en
l'attente de la construction d'un barrage de retenue pour assurer la
redistribution spatio-temporelle de la ressource, les « perdants
» sont les plus vulnérables à l'hypothèse d'un
changement de régime hydrologique des cours d'eau andins. De plus, la
gestion de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel est
relativement
65 Cf. Carte 16
66 Cf. Figure 8
contraignante puisque l'eau est distribuée par «
tours », chaque « tour » correspondant à l'exercice d'un
« droit à l'irrigation » qui est indissociable de la terre
pour laquelle il a été concédé. De même,
l'eau circulant par gravité dans le réseau de canaux
d'irrigation, son accès repose en grande partie sur la proximité
physique du cours d'eau, ce qui peut porter préjudice à ceux dont
l'approvisionnement en eau dépend des canaux tertiaires les plus
éloignés d'un canal secondaire. Á cela s'ajoute les
nombreuses embûches sur l'« itinéraire »
(ALVAREZ, P., 2005) que doit suivre l'eau jusqu'à ce qu'elle atteigne
les parcelles à irriguer. Les « perdants » peuvent
ainsi recevoir plus d'eau ou, au contraire, moins d'eau lors d'un « tour
». Néanmoins, quelle que soit la quantité d'eau
reçue, les techniques d'irrigation qu'ils utilisent ne leur permettent
pas d'optimiser la ressource pour étendre leur superficie
cultivée à la manière des « gagnants
».
Les « perdants » n'ont, en effet, pas pu se
doter des nouvelles techniques d'irrigation parce qu'ils n'en avaient pas les
moyens mais aussi parce qu'ils n'en n'ont pas eu l'occasion. Car irriguer avec
les techniques modernes d'irrigation tel que le goutte à goutte suppose
que le pied de la vigne soit « américain » pour mieux
résister aux maladies, et en particulier au phylloxéra : «
Pour irriguer un vignoble avec du goutte à goutte, il faut que les
pieds des vignes soient "américains". S'ils ne le sont pas,
s'il s'agit de pieds " francs", le vignoble est susceptible d'être
attaqué par l'insecte du phylloxera qui peut le détruire
» (Entretien n°13). C'est donc parce que les pieds de leurs vignobles
sont « francs » que les « perdants » continuent de
les irriguer avec les techniques d'irrigation gravitaire qui, en gorgeant la
terre d'eau, empêche le phylloxéra de se développer :
« Nous pourrions irriguer notre vignoble avec du goutte à
goutte, mais en maintenant l'irrigation gravitaire. C'est la seule façon
de ne pas avoir a changer les pieds du vignoble entier » (Entretien
n°13).
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