B) Les « gagnants » et les « perdants »
de la reconversion du vignoble
Persuadés que la solution à la crise passait par
l'exportation, les acteurs institutionnels de la filière vitivinicole,
l'Institut National de Vitiviniculture (INV) en tête, approuvèrent
le changement de paradigme. Dès lors, il ne s'agissait plus de produire
des vins en quantité, des vins de soif, mais un vin de qualité
qui réponde aux normes internationales en vue de l'exporter. Seulement,
tous les producteurs n'avaient pas les moyens d'investir pour se conformer
à ces standards de qualité. Or, le « paradigme de la
qualité » inclut ceux qui sont parvenus à s'y
conformer, les « gagnants », et en exclut ceux qui n'y sont
pas parvenus, « les perdants ». Ces « gagnants
» et ces « perdants » seront tout d'abord
distingués d'après leur accès à la ressource en
eau, considérée comme un facteur de réussite puisqu'il
conditionne l'accès à la terre en milieu aride. Ils seront
ensuite distingués d'après les transformations
socio-économiques issues de la reconversion du vignoble afin de
comprendre pourquoi les « gagnants » gagnent et pourquoi les
« perdants » perdent.
1) Leur accès à l'eau et à la terre :
une histoire de pieds...de vignes
Pour distinguer les « gagnants » et les
« perdants » d'après leur accès à la
ressource en eau, il est nécessaire de prendre en compte le pied de leur
vigne qui va orienter leur choix telle technique d'irrigation plutôt
qu'une autre.
a) Des « gagnants » aux pieds sur l'eau
Ainsi, les « gagnants » sont les nouveaux
habitants de l'oasis. Il s'agit d'acteurs issus de la mondialisation du vin et
de son goût arrivés dans la province au début des
années 1990, soit au moment de son ouverture aux capitaux
étrangers pour profiter des faibles coûts de l'eau mais aussi de
la terre et produire un vin de qualité à un prix qui reste
compétitif à l'international.
Aidés dans leur recherche des meilleurs « terroirs
» par les oenologues, ils se sont installés sur les pentes du
piedmont de l'Oasis de Valle de Uco qu'ils mirent en culture avec des vignes de
cépages fins dont les pieds, « américains », sont plus
résistants aux maladies que les pieds « francs ». Les terres
piémontaises réunissaient, en effet, toutes les conditions pour
produire un vin de qualité : des sols rocailleux, une forte amplitude
thermique diurne, une bonne exposition solaire, des précipitations plus
abondantes en été et la présence d'un micro-climat qui,
favorisé par l'inversion thermique, diminue le risque de gelées
et de chutes de grêles. Pour mettre en culture ces terres où
l'offre en eau superficielle ne permit pas d'y développer le
réseau d'irrigation, ils investirent dans des perforations pour capter
l'eau souterraine64. Ce faisant, ils firent table rase du «
principe d'inhérence » en vigueur dans le système
d'irrigation traditionnel puisqu'ils s'installèrent sur des terres qui
n'avaient pas de « droits à l'irrigation ».
De plus, leur investissement dans un « capital
hydraulique propre » s'accompagna de techniques d'irrigation
sous-pression leur permettant d'optimiser l'eau souterraine. Cette optimisation
de la ressource en eau fut l'une des priorités de la reconversion du
vignoble vers la
64 Cf. Cartes 14 et 15
qualité qui imposait la maîtrise des flux
d'irrigation. En outre, elle permit aux « gagnants » de
sécuriser leur approvisionnement en eau en les rapprochant d'un
système de gestion par la demande et ainsi devenir moins «
vulnérables » (BRKLACICH, M., 2006) à un éventuel
changement de régime hydrologique des cours d'eau. Surtout, elle leur
permit de s'affranchir des contraintes de la gravité afin d'augmenter de
manière significative les superficies cultivées qui peuvent
atteindre plusieurs centaines d'hectares65.
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