C) La « napafication » du piedmont, «
nouveau coeur de la vitiviniculture mondiale » ?
Conquérant de par leurs stratégies d'irrigation,
les acteurs de la reconversion du vignoble avaient également un «
rapport pionnier à l'espace », dans la mesure où ils
investirent un espace situé en périphérie de l'oasis avec
l'idée d'en faire la « nouvelle Napa Valley ». Cette zone
viticole, située en Californie, connaît un succès croissant
depuis la fin des années 1970 et la production de l'Opus One,
une cuvée américaine de style bordelaise issue d'un partenariat
entre Mondavi et le Baron Philippe de Rothschild (NOSSITER, J., 2004).
1) Un « rapport pionnier à l'espace » :
« Il fallait être fou pour venir s'installer ici car il n'y avait
rien, c'était le désert. Tout ce que tu vois autour de toi, nous
l'avons inventé »
Ce partenariat permis à la Napa Valley
d'acquérir une plus grande reconnaissance internationale du potentiel de
ses « terroirs » et marqua le début des investissements
massifs en Californie dont la superficie viticole quadrupla entre 1970 et 2000
(NOSSITER, J., 2004). Un investisseur, voisin des Mondavi, témoigne :
« Avant c'était sauvage ici. Chaque arbre, chaque buisson,
chaque arbuste, on a tout fait venir. On a créé à partir
de rien le meilleur de l'Italie et le meilleur de la Californie. On a
créé cet espace merveilleux comme une vitrine »
(Ibid). Ce discours de la création « à partir de
rien » illustre le « rapport pionnier à l'espace » des
investisseurs de la Napa Valley, un rapport qui se retrouve également
chez les acteurs de la reconversion du vignoble mendocin : « Il
fallait être fou pour venir s'installer ici car il n'y avait rien,
c'était le désert. Tout ce que tu vois autour de toi, nous
l'avons inventé. Même la route derrière toi n'existait pas
! C'est d'ailleurs pour cette raison que je me suis installé ici. Car,
quand je suis arrivé à Tupungato, il n'y avait qu'une seule route
et elle ne menait nulle part. Donc, les gens qui venaient à Tupungato
venaient à Tupungato et pas ailleurs tandis que les gens
qui venaient à Tunuyán étaient
seulement de passage pour aller vers San Rafaël. Mais maintenant que cette
route mène aux bodegas, les gens qui l'empruntent l'emprunte
pour se rendre aux bodegas » (Entretien n°15).
La route dont parle ce vigneron (et dont il se targue
d'être « le seul vigneron...le monde du vin étant devenu
ce qu'il est, un monde de business men »), est la R.P.N°89 qui
fut construite au début des années 2000, à la suite d'un
accord entre les gérants des bodegas et la Direction
Provinciale des Routes (Dirección Provincial de la Vialidad).
Cet accord prévoyait que chaque partie apporte les fonds
nécessaires à sa construction (PEREZ, C., 2000). Comme le montre
la carte suivante, la R.P.N°89 qui relie aujourd'hui Tupungato à
Manzano Histórico fait partie des grands axes routiers de l'oasis.
Carte 18 : Infrastructures routières de l'Oasis de Valle
de Uco (élaboration propre d'après la carte « Red Vial Zona
entro » réalisée par la DPV)
La R.P.N°89 porte également le nom de «
Camino a las nieves y del nuevo vino » qui postule un ancrage
très fort du vin dans son espace. Ainsi, en associant la promotion des
bodegas à un territoire, cette route contribue à
territorialiser la vitiviniculture issue de la reconversion du vignoble vers un
vin de qualité. Selon VANDERCANDELAERE, E. (2002), qui a analysé
la signification territoriale de la « routes des vins » dans la
province de Mendoza, ce processus de territorialisation reposerait sur deux
dimensions importantes : « d'une part l'ancrage territorial qui
autorise la valorisation des ressources locales, et d'autre part une approche
en termes de club qui garantit une certaine homogénéité
des membres et qualité des prestations aux consommateurs ainsi qu'une
rente aux producteurs »58. Toutefois, cette forme de
« marketing territorial » n'est pas dépourvue
d'ambiguïtés et même d'une « certaine imposture
» (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005) puisque la valorisation du vin comme
étant une émanation « naturelle » du terroir est ici
encore une façon de « réinventer la tradition » pour
faire « taire la nouveauté » qui pourrait passer pour
suspecte, alors que bien souvent il s'agit de vins nouveaux dans leurs aspects
qualitatifs.
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