c) Le recul de la frontière agricole sur le
piedmont
Ce bouleversement des hiérarchies territoriales est
à mettre à l'actif des techniques d'irrigation sous-pression
grâce auxquelles les acteurs de la reconversion du vignoble vers un vin
de qualité purent faire reculer la frontière agricole sur le
piedmont. Ainsi, à l'instar des acteurs de la culture de l'avocat dans
la périphérie de Santiago du Chili qui, grâce au
système d'irrigation par goutte à goutte, conquirent sur les
pentes de la Cordillère de la Côte une « une
liberté économique et de conduite de l'irrigation »
(FALIÈS, C., VELUT, S., 2008), les acteurs de la reconversion du
vignoble oasien vers un vin de qualité peuvent être
qualifiés de « conquérants ».
Car, dans la conscience collective, les terres du piedmont
étaient considérées comme arides et inadaptées
à la culture de la vigne : « l'agence immobilière par
laquelle je suis passé ne comprenait pas pourquoi je tenais tant
à investir dans les terres du piedmont à Tupungato. Selon elle,
ces terres étaient tout juste bonnes à la culture des pommes de
terres et encore... » (Entretien n°15). En revanche, pour les
acteurs de la reconversion du vignoble qui avaient les moyens techniques de les
mettre en culture, ces terres réunissaient toutes les conditions pour
produire un vin de qualité : des sols rocailleux, une forte amplitude
thermique diurne, une bonne exposition solaire, des précipitations plus
abondantes en été et surtout un micro-climat dont l'inversion
thermique diminue le risque de gelées et de chutes de grêle.
Aujourd'hui irriguées grâce aux techniques d'irrigation
sous-pression, les terres du piedmont apparaissent aux yeux de tous comme les
meilleures terres de l'oasis : « Les meilleures terres étaient
là depuis le début et personne n'est venu s'y installer
» (Entretien n°11); « Ceux qui irriguent leurs cultures avec
les nouvelles techniques d'irrigation sont ceux qui disposent des meilleures
terres et des meilleurs climats, sur le piedmont. Alors que nous ne pouvions
investir dans ces techniques car elles coûtaient trop cher, eux si. Ils
ont apporté l'argent de l'étranger et ils l'ont fait !
Maintenant, ils sont situés dans une zone vraiment excellente, du moins
pour la vigne » (Entretien n°6).
L'arrivée d' acteurs conquérants d'une part et
l'innovation technologique en matière d'irrigation d'autre part ont donc
engendré un nouvel accès à l'eau, plus moderne que
l'accès
traditionnel, et qui, détaché des contraintes de la
gravité permis de repousser la frontière agricole sur le
piedmont.
Carte 17 : Evolution des contours de l'Oasis de Valle de Uco
entre 1975 et 2000 (source : élaboration propre à partir d'image
satellite
Figure 28 : Evolution de la superficie viticole des
départements de l'Oasis de Valle de Uco entre 1988 et 2002 (source :
CNA, site internet de la DEIE, 04/04/2009)
La carte ci-dessus, montrant l'étendue des terres
gagnées sur le piedmont entre 1987 et 2000, suggère que ce nouvel
accès à l'eau est devenu le moteur de la recomposition spatiale
de l'oasis. En effet, l'irrigation et la mise en culture de terres qui
jusque-là étaient considérées comme des terres
arides n'appartenant pas à l'oasis, s'apparentent à un processus
de territorialisation qui suppose davantage l'élaboration d'un projet
pour un espace que l'articulation des acteurs autour de ce projet. Ainsi, en
investissant dans le piedmont et en y projetant leur rêve
d'en faire « le nouveau coeur de la vitiviniculture
mondiale » (Entretien n°8), ces acteurs conquérants le
territorialisent.
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