2) Le contexte mendocin : le « bordonisme » et la
construction d'un projet provincial où le territoire devient
ressource
Face à la crise de la vitiviniculture, Mendoza dû
se résoudre à appliquer des politiques d'ajustement avant celle
décrétée au niveau national. Arrivé au pouvoir en
1987, le gouverneur José Bordón47 s'entoura
d'universitaires, d'économistes et de sociologues proches de la
fundación mediterr·nea48, « une
association d'entrepreneurs qui avait pour vocation de réfléchir
aux problèmes économiques et de chercher à influencer les
politiques publiques » (VELUT, S., 2002). L'équipe de
Bordón instaura une politique d'ajustement fiscal et de privatisation
des entreprises provinciales déficitaires : la
bodega49 GIOL, provincialisée en 1954 pour
protéger les petits producteurs en leur achetant leur récolte
à un prix garanti, fut privatisée en 1988 alors qu'elle
contrôlait 16 % du marché et rassemblait la récolte de plus
de 4 000 producteurs (PREVÔT-SCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1994).
Persuadée que la solution à la crise passait par l'exportation,
l'équipe entreprit également d'ouvrir la province aux capitaux
étrangers pour financer la reconversion du vignoble vers un vin de
qualité. Dès lors, fut mis en place un véritable «
marketing territorial » pour vanter les immenses étendues de terres
de la province auprès des investisseurs (cf. carte ci-dessous).
47 Professeur de Sociologie à la UNCuyo, il est
choisi pour représenter le parti justicialiste de Mendoza à la
Chambre des députés (1983-1987) avant d'être élu
gouverneur de la province en (1987-1991).
48 Fondée en 1977, l'association se dote
d'une organisation fédérale, décentralisée et
très enracinée localement. Á partir de Córdoba,
elle a essaimé dans les autres provinces. La première succursale
est celle de Mendoza créée en 1982.
49 « Établissement où s'élabore le
vin à partir du raisin acheté ou produit par le
propriétaire de la bodega » (PREVÔT-SCHAPIRA M.-F.,
BUNEL J., 1994). Se reporter au glossaire pour une définition plus
précise.
Carte 13 : « Mendoza, des terres pour
croître », carte extraite de l'annuaire des exportateurs de
Mendoza, édité par le gouvernement de la province, 1993 (source :
PREVÔTSCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1994)
Cependant, comme tout territoire qui s'ouvre à la
mondialisation et qui craint pour son identité, ce « marketing
territorial » s'accompagna de discours emprunts de localisme50.
Ainsi, le « discours de l'adversité »
(PREVÔT-SCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1994) faisait de l'identité
mendocine le produit des conditions historiques et naturelles de la
conquête d'un territoire perçu comme particulièrement
difficile : les mendocins y étaient présentés comme de
bons éléments humains et des gens courageux, jamais vaincus,
toujours prêts à recommencer pour faire face à
l'adversité du milieu. De même, le « discours de
l'opposition au centre » (Ibid), en opposant deux Argentines
que tout sépare à l'aide de binômes spatiaux temporels
(Argentine
50 Local corporatism chez les anglo-saxons, «
désigne les formes spécifiques d'intégration des
organisations socioprofessionnelles au processus de conduite de politiques
publiques à l'échelon provincial et les formes de concertation et
de compromis entre les différents acteurs locaux face au gouvernement
central » (PREVÔTSCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1997).
sèche/Argentine humide, Argentine de la vieille
oligarchie/Argentine des pionniers, Argentine de l'élevage/Argentine de
l'agriculture) contribuait à la fabrique d'un « nous »
mendocin : celui des pionniers et des travailleurs qui luttent contre le
désert, créent des oasis fertiles et produisent des richesses
à partir d'un désert. En « réinventant la tradition
», ces discours n'avaient d'autre finalité que de s'appuyer sur le
localisme pour construire une image séduisante de la province qui la
distingue des entités voisines dans un territoire national de plus en
plus fragmenté.
Ce « marketing territorial » fut payant puisque de
nombreux investisseurs investirent dans la province : en 2003, le total
cumulé de vingt d'entre eux s'élevait à 145 millions de
dollars (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005). D'autres sources proposent des montants
nettement plus élevés51, de l'ordre de ceux qui
auraient déjà été investis au Chili mais où
l'essentiel des investissements demeure d'origine nationale.
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