1) Le contexte argentin : le « menemisme » et la
« décentralisation compétitive »
« Il faut en terminer avec les provinces converties
en mendiantes face au pouvoir central, le suppliant pour l'obtention de fonds,
qui, de fait, leur appartiennent de par la loi et de par le juste droit
» (cité par PREVÔT-SCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1994) : voici
comment, dès 1988, Carlos Menem43 et Eduardo
Duhalde44 définissaient l'objectif de la «
décentralisation compétitive » dans leur ouvrage
intitulé La revolucíon productiva. Le retour à la
démocratie avait alors relancé le débat sur le
fédéralisme et les provinces qui avaient été
pénalisées sous la dictature (1976-1983) profitèrent de la
faiblesse du pouvoir central pour obtenir plus de fonds. Elles obtinrent gain
de cause en 1988 avec le vote d'une loi qui augmenta la part des recettes
fiscales transférées depuis l'État fédéral
vers l'État provincial. C'est justement sur ce système de
transfert vers les provinces, mécanique et sans obligation de
résultats, qu'entend revenir Carlos Menem en instaurant la «
décentralisation compétitive ».
Lorsque ce dernier arriva au pouvoir en 1989, le pays
paraissait être dans une impasse politique, économique et sociale,
laissant « planer la désagréable question de
l'impuissance de la démocratie, retrouvée en 1983, à
redresser le cap » (VELUT, S., 2002). Sur le plan politique, le
procès des dirigeants de la junte militaire s'enlisait45 et
les mères des « disparus » (desaparecidos)
continuèrent de défiler sur la Plaza de Mayo. Sur le plan
économique, la lutte
43 Candidat du péronisme (parti justicialiste).
La politique qu'il met en oeuvre (péroniste puisqu'elle repose sur une
large base électorale populaire) est radicalement opposée au
péronisme de Perón du point de vue économique puisqu'elle
prône une ouverture à l'international du point de vue commercial
et financier.
44 Président de l'Argentine de 2002 à
2003, il est vice-président sous Menem de 1989 à sa
démission en 1991
45 Les lois d'amnistie, punto final et
obedencia debida, exonérèrent de leurs
responsabilités les exécutants des hautes et basses oeuvres
commises pendant la dictature, contribuant à saper le travail collectif
de mémoire.
contre l'hyperinflation s'avérait infructueuse, la
dette du pays ne cessait d'augmenter (elle atteignait 63,3 milliards de dollars
en 1989) tandis que le pouvoir d'achat des Argentins diminuait (pour autant que
les données agrégées mesure quelque chose en
période d'hyperinflation, le PIB aurait diminué de 20 % au cours
des années 1980). Sur le plan social, en dernier lieu, la
dégradation des conditions de vie se traduisit par l'éclatement
d'émeutes de la faim à Buenos Aires et dans d'autres grandes
villes.
Pour sortir de l'impasse, Menem signa un plan de
convertibilité mis en avant par les ÉtatsUnis, le plan Brady, qui
prévoyait l'annulation partielle de la dette des pays du Tiers-Monde et
le rééchelonnement de la dette restante. En échange, le
président argentin s'engagea à mener un plan d'ajustement
structurel qu'il confia à son ministre de l'économie et des
finances, Domingo Cavallo46. Ce plan reprenait en grande partie les
mesures préconisées par le Consensus de Washington aux
économies en difficultés et notamment celles d'Amérique
latine. Il s'agissait, en outre, de stabiliser la monnaie, libéraliser
le commerce extérieur et déréguler le marché. La
stabilisation de la monnaie fut obtenue en instaurant une parité fixe
avec le dollar américain. Le commerce extérieur fut
libéralisé en diminuant les barrières douanières et
en exemptant de droits de douane les biens de capital. Quant à la
dérégulation du marché, elle fut réalisée en
éliminant les principaux mécanismes de contrôle de
l'État ainsi qu'en privatisant certaines entreprises publiques.
L'ensemble de ces mesures ont été menées dans le cadre de
la « décentralisation compétitive » qui consistait,
pour l'État fédéral, à se défaire de
certaines tâches trop coûteuses pour les confier aux provinces dont
il attendait une plus grande efficacité, grâce à une
meilleure connaissance du terrain et à une plus grande proximité
de la demande. A l'instar de l'aide des institutions financières
internationales, l'aide aux provinces est désormais conditionnée
aux compétences, services et fonctions qu'elles assurent. Car c'est bien
des provinces et de leur capacité à se vendre pour attirer les
investissements que doit venir le redémarrage de l'économie
46 Économiste ultra-libéral,
formé aux États-Unis (Harvard), ministre de l'économie
sous le gouvernement Menem de 1991 à 1996, il avait été
président de la Banque Centrale en 1982, pendant la dictature
militaire.
argentine. Il en ressort un « nouveau
fédéralisme » (PREVÔT-SCHAPIRA M.-F., BUNEL J.,
1994) dans lequel les provinces sont abordées en termes de
compétitivité et d'avantages comparatifs.
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