D) Le problème de la recapitalisation du
système d'irrigation
Le système d'irrigation souffre, en effet, d'un
sous-investissement car trop peu de canaux d'irrigation sont encore
imperméabilisés (cf. Figure 23). Ce sous-investissement concerne
particulièrement le réseau de canaux tertiaires où seuls 5
% des canaux sont imperméabilisés (Cf.
Figure 25). La faible imperméabilisation des canaux
d'irrigation a pour conséquence d'importantes pertes par infiltration
qui, en alimentant la nappe phréatique, bénéficient aux
usagers qui utilisent l'eau souterraine pour irriguer leurs cultures. La
construction d'un barrage en amont de l'oasis, comme cela est
prévu40, pourrait accentuer le phénomène
d'infiltration : les eaux libérées par le barrage, appelée
« eaux claires » (aguas claras), s'infiltreraient plus
facilement dans sol dans les eaux dérivées des cours d'eaux, les
« eaux troubles » (aguas turbias), du fait de leur moindre
charge sédimentaire.
Figure 23 : Pourcentage de canaux
imperméabilisés dans le linéaire de canaux d'irrigation
(source : élaboration propre d'après les données fournies
par la Subdelagación de Agua Río Tunuyán
Superior)
Figure 24 : Pourcentage de canaux
imperméabilisés dans le linéaire de canaux primaires et
secondaires (source : Ibid)
Figure 25 : Pourcentage de canaux
imperméabilisés dans le linéaire de canaux tertiaires
(source : Ibid)
Ces pertes par infiltration se traduisent par une
efficacité globale du système d'irrigation de 41% en 2008
(calculs de l'auteur41). Cela signifie, en outre, que sur 100 litres
d'eau dérivés par le barrage, seuls 41 parviennent jusqu'à
la parcelle à irriguer. Il n'empêche que l'efficacité
globale du système d'irrigation de l'oasis est en augmentation (cf.
Tableau 5) grâce à l'investissement de plus de 30 millions de
pesos42 dans des travaux d'imperméabilisation par les
différents acteurs de la gestion de l'eau depuis 2002 (cf. Figure
26).
40 Le projet « Los Blancos »
prévoit, en effet, la construction d'un barrage hydroélectrique
en amont de l'oasis. La province serait actuellement en train de
présélectionner les entreprises ayant répondu à son
appel d'offre.
41 Calculs effectués à partir des
efficacités des trois phases de la « médiation de l'eau
» renseignées par la Subdelagación de Agua Río
Tunuyán Superior.
42 Soit 5, 6 millions d'euros !
Tableau 5 : Efficacités des systèmes d'irrigation
des différents oasis de la province de Mendoza (source : site internet
du DGI, 21/07/2009)
Efficacité
|
1998
|
2005
|
2010
|
Oasis Nord
|
34
|
%
|
40
|
%
|
44
|
%
|
Oasis Centre ou Valle de Uco
|
37
|
%
|
40
|
%
|
44
|
%
|
Oasis Sud
|
25
|
%
|
35
|
%
|
40
|
%
|
Figure 26 : Sommes investies par les différents acteurs
de la gestion de l'eau dans le système d'irrigation de l'Oasis de Valle
de Uco depuis 2002 (source : élaboration propre d'après les
données fournies par la Subdelagación de Agua Río
Tunuyán Superior)
Toutefois, cet effort d'investissement pour recapitaliser le
système d'irrigation repose en grande partie sur les usagers puisque le
coût de chaque ouvrage, quel que soit l'acteur qui l'effectue et quel que
soit le réseau de canaux concerné, est systématiquement
répercuté sur le prix de l'irrigation. Ce faisant, les sommes que
l'usager paye aux différents acteurs de la gestion de l'eau pour
recapitaliser le réseau de canaux d'irrigation sont autant de capitaux
qu'il aurait pu investir dans un système d'irrigation sous-pression.
Car, de toutes les échelles spatiales de la « médiation
» de l'eau, c'est bien la dernière, l' « application »,
et notamment l'irrigation gravitaire, qui a la plus faible efficacité
(58 %).
Que dire, finalement, du système d'irrigation
traditionnel si ce n'est qu'il fonctionne...tant bien que mal ! Certains
objecteront que le système d'irrigation, mis en place à
l'époque précolombienne par les Indiens Huarpes, n'a plus
à faire ses preuves. D'autres, considéreront ce jugement comme
trop sévère, voire même déplacé, du simple
fait qu'il ait été émis par un individu accoutumé
à une gestion de l'eau par la demande. A ces remarques, il est possible
de répondre : 1) qu'il ne s'agit pas ici d'un jugement mais plutôt
d'un constat, dont le but n'est autre que de comprendre dans quelle mesure les
modalités de gestion de la ressource en eau ont contribué
à l'émergence d'une « hydraulique individuelle
» (RUF, Th., 2004) ; 2) que l'efficience d'un système d'irrigation,
quel qu'il soit, se mesure peu ou prou à sa longévité ; 3)
que l'ambition de ce travail est, entre autres, de dépasser cette vision
binaire de la gestion de l'eau qui oppose de manière systématique
l'offre à la demande en proposant une « gestion par la demande
sociale ».
Certes, le système d'irrigation fonctionne. Les eaux
des cours d'eau andins sont dérivées par des barrages qui la
répartissent dans des canaux d'irrigation en fonction du «
coefficient d'irrigation », chaque canal devant faire recevoir un volume
d'eau proportionnel à la superficie qu'il est censé irriguer.
L'eau est ensuite distribuée par « tours », chaque « tour
» correspondant à l'exercice d'un « droit à
l'irrigation » qui est indissociable de la terre pour laquelle il a
été concédé. La durée et la
périodicité de ces « tours » dépendent du
débit du canal en question qui est également calculé
à partir du « coefficient d'irrigation », véritable
clé de voûte du système d'irrigation dont il fonde la
prétention à garantir un accès équitable à
la ressource entre les usagers.
Néanmoins, l'eau s'écoulant par gravité,
l'équité du système d'irrigation ne peut
s'apprécier qu'à la mesure de l' «
itinéraire » qu'elle doit suivre jusqu'à atteindre
la parcelle à irriguer. Les embûches y sont si nombreuses qu'il
est difficile de croire que la quantité d'eau reçue par hectare
est conforme à celle obtenue par le calcul du « coefficient
d'irrigation ». De même, si la coexistence de deux gestion de l'eau
contribue à flexibiliser les principes les plus rigides de la Ley
General de Agua et donc à s'affranchir de sa « tutelle
agro-directoriale », elle
contribue également à rendre caduque le cadre
juridique établi par la loi et favoriser la confusion des rôles
entre les différents acteurs. Or, les acteurs de la gestion de l'eau
sont nombreux et interviennent selon l'échelle spatiale à
laquelle la ressource est répartie : chaque acteur se voit, en effet,
attribuer une portion du réseau d'irrigation dont il est censé
améliorer l'efficacité par des travaux
d'imperméabilisation. Ceci revient, en outre, à segmenter la
« médiation » de l'eau et à l'éloigner des
conditions d'une gestion intégrée de la ressource qui suppose non
seulement une concertation de l'ensemble des acteurs ainsi qu'une coordination
des actes d'aménagements et de gestion. Une gestion
intégrée de la ressource en eau est pourtant nécessaire
pour faire face à l'hypothèse d'un changement de régime
hydrologique du Río Tunuyán. C'est donc de l' «
application » et de sa capacité à optimiser la ressource que
dépend la majeure partie de l'efficacité globale du
système d'irrigation traditionnel.
Certains acteurs l'ont compris en investissant dans un «
capital hydraulique propre » (RUF, Th., 2004). Nul doute que la
rigidité des modalités de la gestion de l'eau dans le
système d'irrigation traditionnel ainsi que la faiblesse de son
efficacité globale ont contribué à leur refus de maintenir
un « capital social » dans une organisation commune. Il s'agit
désormais de resituer l'émergence de cette « hydraulique
individuelle » dans son contexte et d'en mesurer les
conséquences sur l'accès à l'eau.
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