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Des glaciers au vignoble : gestion de l'eau et stratégies d'irrigation dans les "terroirs" vitivinicoles de l'oasis de Valle de Uco (Mendoza, Argentine)

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par Joris Robillard
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 1  2008
  

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D) Le problème de la recapitalisation du système d'irrigation

Le système d'irrigation souffre, en effet, d'un sous-investissement car trop peu de canaux d'irrigation sont encore imperméabilisés (cf. Figure 23). Ce sous-investissement concerne particulièrement le réseau de canaux tertiaires où seuls 5 % des canaux sont imperméabilisés (Cf.

Figure 25). La faible imperméabilisation des canaux d'irrigation a pour conséquence d'importantes pertes par infiltration qui, en alimentant la nappe phréatique, bénéficient aux usagers qui utilisent l'eau souterraine pour irriguer leurs cultures. La construction d'un barrage en amont de l'oasis, comme cela est prévu40, pourrait accentuer le phénomène d'infiltration : les eaux libérées par le barrage, appelée « eaux claires » (aguas claras), s'infiltreraient plus facilement dans sol dans les eaux dérivées des cours d'eaux, les « eaux troubles » (aguas turbias), du fait de leur moindre charge sédimentaire.

Figure 23 : Pourcentage de canaux imperméabilisés dans le linéaire de canaux d'irrigation (source : élaboration propre d'après les données fournies par la Subdelagación de Agua Río Tunuyán Superior)

Figure 24 : Pourcentage de canaux imperméabilisés dans le linéaire de canaux primaires et secondaires (source : Ibid)

Figure 25 : Pourcentage de canaux imperméabilisés dans le linéaire de canaux tertiaires (source : Ibid)

Ces pertes par infiltration se traduisent par une efficacité globale du système d'irrigation de 41% en 2008 (calculs de l'auteur41). Cela signifie, en outre, que sur 100 litres d'eau dérivés par le barrage, seuls 41 parviennent jusqu'à la parcelle à irriguer. Il n'empêche que l'efficacité globale du système d'irrigation de l'oasis est en augmentation (cf. Tableau 5) grâce à l'investissement de plus de 30 millions de pesos42 dans des travaux d'imperméabilisation par les différents acteurs de la gestion de l'eau depuis 2002 (cf. Figure 26).

40 Le projet « Los Blancos » prévoit, en effet, la construction d'un barrage hydroélectrique en amont de l'oasis. La province serait actuellement en train de présélectionner les entreprises ayant répondu à son appel d'offre.

41 Calculs effectués à partir des efficacités des trois phases de la « médiation de l'eau » renseignées par la Subdelagación de Agua Río Tunuyán Superior.

42 Soit 5, 6 millions d'euros !

Tableau 5 : Efficacités des systèmes d'irrigation des différents oasis de la province de Mendoza (source : site internet du DGI, 21/07/2009)

Efficacité

1998

2005

2010

Oasis Nord

34

%

40

%

44

%

Oasis Centre ou Valle de Uco

37

%

40

%

44

%

Oasis Sud

25

%

35

%

40

%

Figure 26 : Sommes investies par les différents acteurs de la gestion de l'eau dans le système d'irrigation de l'Oasis de Valle de Uco depuis 2002 (source : élaboration propre d'après les données fournies par la Subdelagación de Agua Río Tunuyán Superior)

Toutefois, cet effort d'investissement pour recapitaliser le système d'irrigation repose en grande partie sur les usagers puisque le coût de chaque ouvrage, quel que soit l'acteur qui l'effectue et quel que soit le réseau de canaux concerné, est systématiquement répercuté sur le prix de l'irrigation. Ce faisant, les sommes que l'usager paye aux différents acteurs de la gestion de l'eau pour recapitaliser le réseau de canaux d'irrigation sont autant de capitaux qu'il aurait pu investir dans un système d'irrigation sous-pression. Car, de toutes les échelles spatiales de la « médiation » de l'eau, c'est bien la dernière, l' « application », et notamment l'irrigation gravitaire, qui a la plus faible efficacité (58 %).

Que dire, finalement, du système d'irrigation traditionnel si ce n'est qu'il fonctionne...tant bien que mal ! Certains objecteront que le système d'irrigation, mis en place à l'époque précolombienne par les Indiens Huarpes, n'a plus à faire ses preuves. D'autres, considéreront ce jugement comme trop sévère, voire même déplacé, du simple fait qu'il ait été émis par un individu accoutumé à une gestion de l'eau par la demande. A ces remarques, il est possible de répondre : 1) qu'il ne s'agit pas ici d'un jugement mais plutôt d'un constat, dont le but n'est autre que de comprendre dans quelle mesure les modalités de gestion de la ressource en eau ont contribué à l'émergence d'une « hydraulique individuelle » (RUF, Th., 2004) ; 2) que l'efficience d'un système d'irrigation, quel qu'il soit, se mesure peu ou prou à sa longévité ; 3) que l'ambition de ce travail est, entre autres, de dépasser cette vision binaire de la gestion de l'eau qui oppose de manière systématique l'offre à la demande en proposant une « gestion par la demande sociale ».

Certes, le système d'irrigation fonctionne. Les eaux des cours d'eau andins sont dérivées par des barrages qui la répartissent dans des canaux d'irrigation en fonction du « coefficient d'irrigation », chaque canal devant faire recevoir un volume d'eau proportionnel à la superficie qu'il est censé irriguer. L'eau est ensuite distribuée par « tours », chaque « tour » correspondant à l'exercice d'un « droit à l'irrigation » qui est indissociable de la terre pour laquelle il a été concédé. La durée et la périodicité de ces « tours » dépendent du débit du canal en question qui est également calculé à partir du « coefficient d'irrigation », véritable clé de voûte du système d'irrigation dont il fonde la prétention à garantir un accès équitable à la ressource entre les usagers.

Néanmoins, l'eau s'écoulant par gravité, l'équité du système d'irrigation ne peut s'apprécier qu'à la mesure de l' « itinéraire » qu'elle doit suivre jusqu'à atteindre la parcelle à irriguer. Les embûches y sont si nombreuses qu'il est difficile de croire que la quantité d'eau reçue par hectare est conforme à celle obtenue par le calcul du « coefficient d'irrigation ». De même, si la coexistence de deux gestion de l'eau contribue à flexibiliser les principes les plus rigides de la Ley General de Agua et donc à s'affranchir de sa « tutelle agro-directoriale », elle

contribue également à rendre caduque le cadre juridique établi par la loi et favoriser la confusion des rôles entre les différents acteurs. Or, les acteurs de la gestion de l'eau sont nombreux et interviennent selon l'échelle spatiale à laquelle la ressource est répartie : chaque acteur se voit, en effet, attribuer une portion du réseau d'irrigation dont il est censé améliorer l'efficacité par des travaux d'imperméabilisation. Ceci revient, en outre, à segmenter la « médiation » de l'eau et à l'éloigner des conditions d'une gestion intégrée de la ressource qui suppose non seulement une concertation de l'ensemble des acteurs ainsi qu'une coordination des actes d'aménagements et de gestion. Une gestion intégrée de la ressource en eau est pourtant nécessaire pour faire face à l'hypothèse d'un changement de régime hydrologique du Río Tunuyán. C'est donc de l' « application » et de sa capacité à optimiser la ressource que dépend la majeure partie de l'efficacité globale du système d'irrigation traditionnel.

Certains acteurs l'ont compris en investissant dans un « capital hydraulique propre » (RUF, Th., 2004). Nul doute que la rigidité des modalités de la gestion de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel ainsi que la faiblesse de son efficacité globale ont contribué à leur refus de maintenir un « capital social » dans une organisation commune. Il s'agit désormais de resituer l'émergence de cette « hydraulique individuelle » dans son contexte et d'en mesurer les conséquences sur l'accès à l'eau.

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