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Des glaciers au vignoble : gestion de l'eau et stratégies d'irrigation dans les "terroirs" vitivinicoles de l'oasis de Valle de Uco (Mendoza, Argentine)

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par Joris Robillard
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 1  2008
  

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4) Répartir les eaux Río Tunuyán : « La médiation de l'eau n'est pas une science exacte ! »

La gestion de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel étant une gestion basée sur l'offre, elle consiste à repartir la ressource de manière équitable entre les usagers et ce, indépendamment de sa quantité. En effet, quelle que soit la quantité d'eau dérivée par le barrage de Valle de Uco, celle-ci est systématiquement divisée par la somme des superficies à irriguer pour en déduire le « coefficient d'irrigation » (coeficiente de riego). A titre d'exemple, le 12 janvier 2009, soit en plein été, le débit des eaux dérivées par le barrage était de 11,72 m3/s et la superficie à irriguer de 16 873 hectares : le « coefficient d'irrigation » était donc de 0,694 l/s/ha30. Cela signifie, en outre, que le moindre hectare de terre était censé recevoir 0,694 litres d'eau par seconde. En hiver, le « coefficient d'irrigation » est cependant mois élevé : le 7 juillet 2008, il était d'à peine 0,359 l/s/ha. La quantité d'eau disponible pour irriguer un hectare de terre peut donc varier du simple au double entre la saison hivernale et la saison estivale. De ce fait, s'il existe une « culture » de l'eau (Los Andes, 19/11/2008), celle-ci est à mettre à l'actif des usagers

30 Pour rappel : 1 m3 = 1 000 L

Figure 16 : Répartition de la superficie à irriguer par canal d'irrigation (source : élaboration propre d'après les données fournies par la Subdelagación de Agua Río Tunuyán Superior)

du système d'irrigation qui doivent employer des techniques d'irrigation rentabilisant au mieux la ressource lorsque celle-ci parvient tout juste à combler les besoins hydriques des cultures.

La figure 17 illustre la circulation de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel, souvent appelé « système des volumes proportionnels » (ARAUJO E.D., BERTRANOU A., 2004), le débit de chaque canal devant être proportionnel à la superficie qu'il est censé irriguer. Le débit de chaque canal d'irrigation est, en effet, calculé en fonction du « coefficient d'irrigation » que multiplie la superficie à irriguer par le canal concerné. Ainsi, le 12 janvier 2009, le canal Quiroga, qui était censé irriguer 2 051 hectares, devait avoir un débit de 1, 424 m3/s, soit 12,2% de l'eau présente dans le système d'irrigation, mais aussi 12,2% de la superficie totale à irriguer (cf. Figure 16).

Figure 17 : Circulation de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel le 12 janvier 2009 (Ibid)

Le débit de chaque canal d'irrigation est régulé par un « régulateur » (partidor) qui laisse entrer plus ou moins d'eau selon qu'il est ouvert ou fermé : pour soutenir un débit de 1, 424 m3/s, l'ouverture du « régulateur » du canal Quiroga doit être de 1, 25 mètres.

Figure 18 : Circulation de l'eau dans le canal secondaire Quiroga
(source : élaboration propre)

Comme le montre la figure ci-dessus, le réseau d'irrigation est fortement hiérarchisé puisque l'eau doit passer dans toute une série de canaux avant d'atteindre les parcelles à irriguer : les canaux primaires (margenes) alimentent les canaux secondaires (ramas), qui à leur tour alimentent les canaux tertiaires (hijuelas). Dès lors, il est possible qu'avec la distance les canaux

tertiaires les plus éloignés d'un canal secondaire reçoivent proportionnellement moins d'eau que ceux qui en sont les plus proches, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce que la pente, celle-là même que les Indiens Huarpes mettaient à profit pour irriguer leurs cultures, n'est pas prise en compte lors du calcul des débits. Il s'agit pourtant d'un élément non-négligeable sur les glacis d'un piedmont, car plus elle est accentuée, plus la vitesse de l'eau est importante et plus la section mouillée est grande. De ce fait, les canaux tertiaires situés dans les secteur à forte pente, à l'ouest, seront sujets à des « à-coups hydrauliques » dont ne bénéficieront pas forcément ceux situés dans des secteurs à pente plus faible, à l'est. Ensuite, parce que la majorité du réseau d'irrigation n'est pas imperméabilisé. Ainsi, plus l' « itinéraire » (ALVAREZ, P., 2005) que doit suivre l'eau pour arriver jusqu'à la parcelle est long, plus les pertes par infiltration sont importantes et diminuent d'autant le débit du canal. En dernier lieu, parce qu'une simple erreur de mesure dans l'ouverture ou la fermeture d'un régulateur de débit peut faire varier le débit du canal : si l'ouverture du « régulateur » du canal Quiroga mesure 1, 24 mètre au lieu de 1, 25, le débit diminue de 1 %, soit 8 litres par seconde en moins qui, selon le « coefficient d'irrigation » du 12 janvier 2009, auraient pu servir à irriguer 12 hectares de terres.

Pour toutes ces raisons, il est permis d'affirmer que les canaux tertiaires les plus éloignés d'un canal secondaire reçoivent moins d'eau que ceux qui en sont les plus proches. Les premières mesures de débits des canaux tertiaires du canal Quiroga, effectuées à l'aide d'un flotteur31 entre le 26 mars et le 8 avril 2009, semblent le confirmer. En revanche, la dernière mesure, effectuée le 14 avril 2009 avec un courantomètre généreusement prêté par la Subdelegación de Agua Río Tunuyán, le confirme : ce jour là, le débit du canal Biscontin était 30 % inférieur à ce qu'il aurait dû être, alors que celui du canal Appon était 50% supérieur à la normale.

31 Cf. Figure 8 en annexes

Photographie 8 : Photo de la mesure du débit du canal Appon prise le 14/04/2009 vers 12h (source: auteur)

A priori, la faiblesse du débit du canal Biscontin viendrait d'une erreur de mesure dans l'ouverture des « régulateurs » de débits des canaux Furlotti (14 cm au lieu de 12) et Colovati (27 cm au lieu de 24). Quant au trop plein d'eau dans le canal Appon, il s'explique essentiellement par l'apport du desagüe. Ce canal est, en effet, chargé de collecter les eaux qui ne se sont pas infiltrées lors de l'irrigation des parcelles situées en amont, son débit étant utilisé pour renforcer celui des canaux tertiaires les plus éloignés d'un canal secondaire. Or, le débit de ce canal est maximum à cette période de l'année puisque les producteurs, et notamment les viticulteurs, sont plus occupés par la récolte que par l'irrigation et laissent filer l'eau qui leur sert habituellement à irriguer leurs parcelles jusqu'au desagüe.

Dès lors, faut-il en conclure que l'accès à l'eau dans le système d'irrigation traditionnel est inéquitable ? En plus d'être sévère, cette conclusion pourrait, à tort ou à raison, être considérée comme un jugement de valeurs. Retenons simplement les paroles du chef du département « Gestión Hídrica » à la Subdelagación de Agua Río Tunuyán Superior qui, évoquant le « l'itinéraire de l'eau » (ALVAREZ, P., 2005) dans les canaux d'irrigation, finit par conclure :

« La médiation de l'eau n'est pas une science exacte. C'est généralement ce que je tente de faire comprendre à l'usager qui me signale qu'il manque quelques litres à son tour d'eau. En revanche s'il me signale qu'il lui manque la moitié de son tour d'eau, je me déplace, je mesure la quantité d'eau qui entre dans sa propriété et prend les décisions qui s'imposent ... » (Entretien n°9). Ajoutons que la clé de voûte du système d'irrigation traditionnel réside dans le « coefficient d'irrigation » qui en fonde la prétention à garantir un accès équitable de la ressource en eau entre des usagers partageant un même « capital hydrique ». Autrefois communautaire, la gestion de ce capital hydrique est aujourd'hui une gestion administrative et étatique dont les modalités sont quelque peu rigides.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore