C. L'adoption d'une position libérale adoptée
par la Haute Assemblée
La jurisprudence du Conseil d'Etat a interprété
« l'excédent hors taxe » mentionné au 1 du II de
l'article 1647 B sexies du CGI comme devant être calculé
après déduction de l'ensemble de ces prélèvements.
En effet, elle n'a pas subordonné la possibilité de
déduire certains prélèvements fiscaux du calcul de la
valeur ajoutée à la condition qu'ils figurent dans le Code
général des impôts.
Le Conseil d'Etat a eu l'occasion de juger, dans sa
première décision Sté William Pitters du 5
février 1988, que la valeur ajoutée à retenir pour le
plafonnement des cotisations de taxe professionnelle est égale à
l'excédent de la production de l'entreprise, au cours de la
période de référence, après déduction des
contributions indirectes, et notamment des droits de fabrication sur les
alcools et les spiritueux53.
Aussi, dans l'affaire Sté d'exploitation de la
Vallée des Belleville du 7 juillet 2004, l'administration a
refusé la déduction des taxes acquittées par la
société au titre de la loi « Montagne » en sa
qualité d'exploitant d'engins de remontée mécanique. Le
commissaire du gouvernement Laurent Vallée54 avait
relevé que l'administration était allée plus loin que sa
doctrine puisqu'elle considère que seule la TVA peut être
déduite, à l'exclusion de toute
52 Ibid.
53 L. VALLEE, « Comment se calcule le plafonnement de la
taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée ? », BDCF
10/04, n° 123, p. 48-50.
54 Ibid.
autre taxe. Le fondement de sa position repose, selon lui, sur
le fait que le législateur de 1980, en écrivant «
excédent hors taxe », n'a pas voulu modifier sur ce point le
régime antérieur de définition de la valeur
ajoutée, prévu par le décret de 1979 qui n'excluait que la
TVA de la production. L'administration paraît vouloir inciter le juge
administratif à modifier sa jurisprudence55.
Or, la solution retenue par le Conseil d'Etat s'inscrit dans
la continuité de la jurisprudence Sté William Pitters du
5 février 1988. Il affirme clairement que l'interprétation des
mots « hors taxes » figurant à l'article 1647 B
sexies du CGI, pour déterminer la valeur ajoutée, doit
exclure de la valeur ajoutée l'ensemble des taxes qui sont directement
incorporées au prix des produits vendus ou des services fournis par
l'entreprise, que ces taxes figurent ou non au CGI. Cette acception des termes
« hors taxes » permet d'assurer la cohérence économique
de la notion de valeur ajoutée entre les entreprises.
En l'espèce, le Conseil d'Etat en a donc conclu que les
taxes (l'une communale et l'autre départementale) sur les
remontées mécaniques prévues aux articles L 2333-49 et L
3333-4 du Code général des collectivités territoriales
étaient déductibles du calcul de la valeur ajoutée. Il a
donc censuré la position de l'administration fiscale, en ne se limitant
pas aux impositions figurant dans les deux premières parties du livre
Ier du CGI. En outre, il ne semble pas se fonder sur la nature de l'impôt
en cause, mais sur le critère de l'incorporation au prix des produits ou
des services du prélèvement56, critère qui a,
en revanche, l'inconvénient d'être peu clair et peu
précis.
Le fait de plafonner la cotisation de la taxe professionnelle
due par un contribuable en fonction de la valeur ajoutée qu'il a produit
revient à déterminer l'impôt en fonction de sa contribution
à un accroissement de richesse57. Par conséquent, il
semble logique d'exclure les prélèvements
répercutés ou incorporés dans le prix de vente, telles les
taxes sur le chiffre d'affaires et les contributions indirectes, du calcul de
la valeur ajoutée, ce qui a pour effet d'augmenter le
dégrèvement accordé au titre du plafonnement.
55 Cet argument a déjà été
exposé par Th. Le Roy, dans ses conclusions, concernant l'affaire
William Pitters du 5 février 1998, mais il n'avait pas été
suivi. Cf. Dr. fisc. 39/88, concl. 1765.
56 Le traitement fiscal des impôts et taxes dans la
détermination de la valeur ajoutée, Option finance n° 837 du
6 juin 2005, p. 39 et s.
57 L. VALLEE, « Comment se calcule le plafonnement de la
taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée ? », BDCF
10/04, n° 123, p. 48-50.
III. La difficulté pratique de la
détermination des éléments entrant dans le calcul
de
la valeur ajoutée
Le choix du redevable d'inscrire telle charge ou tel produit
dans un compte non mentionné par l'énumération à
l'article 1647 B sexies, plutôt que dans un compte y figurant, n'est pas
anodin. En effet, ce choix peut se faire dans un but d'optimisation fiscale,
c'est-à-dire à minorer le montant de la valeur ajoutée.
Mais il n'est pas illégitime tant qu'il n'est pas manifestement
contraire à une règle comptable.
Toutefois, les litiges concernant l'inclusion de certains
comptes dans la valeur ajoutée résultent davantage des
incertitudes réelles entourant la définition retenue par
l'article 1647 B sexies du CGI que de la volonté de mettre en oeuvre des
stratégies d'optimisation fiscale. Ainsi, dans l'affaire SA
Algeco du 6 décembre 2006, la société
requérante a exclu du calcul de la valeur ajoutée, au titre de la
production de l'exercice, le produit des cessions des constructions mobiles en
cause (à savoir les algecos), effectuées au terme de la
période de leur location. Selon elle, ces cessions présentent le
caractère d'immobilisation puisqu'elles étaient destinées
à servir de façon durable à l'activité de
l'entreprise. Ainsi, les cessions d'immobilisations, représentatives de
produits exceptionnels, ne peuvent être pris en compte pour le calcul de
la valeur ajoutée.
Or, ce n'est pas parce que les constructions mobiles sont
immobilisées que leurs cessions, après une période de
location, constituent un caractère exceptionnel. En effet,
l'activité même de la société requérante est
de louer et de vendre des algecos. Cette activité de vente est donc
habituelle, ordinaire, et non accessoire. Par conséquent, les sommes en
litiges résultant des cessions de constructions mobiles constituent des
ventes entrant dans la production de l'exercice au sens et pour application de
l'article 1647 B sexies du CG I58.
En réalité, la société
requérante a voulu se voir appliquer la même logique comptable et
fiscale qu'il faudrait appliquer à la vente de son siège social,
par exemple. En effet, les « ventes » mentionnées au II de
l'article 1647 B sexies ne comprennent pas les produits de cessions
d'éléments d'actifs, selon la société. Lorsqu'une
entreprise sort de son actif un bien qu'elle cède, elle dégage
une plus-value égale à la différence entre la valeur de
cession et la valeur nette comptable de ce bien. Elle ne créée
pas de richesse, de valeur ajoutée au sens
58 L. VALLEE, « Plafonnement : définition de la
valeur ajoutée selon les dispositions du plan comptable
général », RDF, 18 octobre 2007, n° 42, p. 30-32.
de cet article car une telle cession n'entre pas dans « la
production de l'exercice » au sens de ces dispositions59.
Toutefois, cette thèse n'a pas convaincu le juge fiscal.
Section 2 : L'évolution jurisprudentielle vers une
définition spécifiquement fiscale
Lorsque le plafonnement en fonction de la valeur
ajoutée a été institué par la loi du 3 janvier
1979, le décret du 29 décembre 1979, pris pour application de ces
dispositions, précisait que les éléments de calcul de la
valeur ajoutée devaient être pris en compte « tels qu'ils
sont définis par le plan comptable général ». En
revanche, la référence expresse au plan comptable
général n'a pas été reprise par le III de l'article
12 de la loi du 10 janvier 1980, codifié à l'article 1647 B
sexies du CGI. Rien ne permet cependant de penser que le
législateur a souhaité substituer la référence aux
normes comptables au profit de définitions fiscales
autonomes60. Ainsi, les catégories d'éléments
comptables, énumérées à l'article 1647 B
sexies du CGI, qui permettent de déterminer la valeur
ajoutée, semblent se fonder sur le plan comptable en vigueur au moment
de l'adoption de la loi du 10 janvier 1980, à savoir celui de 1957 (I).
Cependant, les nécessités du réalisme du droit fiscal
exigent, dans certaines hypothèses, une dérogation au moins
implicite au plan comptable général (II). Aussi, le principe
d'autonomie du droit fiscal permettrait d'écarter une écriture
comptable régulière et fondée, pour l'application d'un
texte fiscal qui renvoie aux normes comptables (III).
I. Le fondement des éléments comptables
composant la valeur ajoutée sur les dispositions du plan comptable
général de 1957
Les rubriques énumérées par l'article
1647 B sexies du CGI, en vue de calculer la valeur ajoutée,
s'interprètent à la lumière de la définition
comptable (A). Toutefois, avec l'adoption du nouveau plan comptable
général en 1982, sensiblement différent de celui de 1957.
La question qui fut soulevée consistait à savoir si la
référence aux règles comptables par
59 Ibid.
60 G. GOULARD, « Qu'est-ce qu'une subvention d'exploitation
entrant dans le calcul de la valeur ajoutée, pour l'application du
plafonnement de la taxe professionnelle (art. 1647 B sexies) ? », BDCF
3/03, n° 37, p. 36-39.
l'article 1647 B sexies du CGI devait ou non tenir
compte de cette modification. Le juge de l'impôt semble avoir opté
pour une référence glissante aux normes comptables. En effet,
afin de déterminer si une charge ou un produit doit être
rattaché à l'énumération de l'article 1647 B
sexies du CGI, il faut se reporter au plan comptable
général dans leur rédaction en vigueur lors de
l'année d'imposition concernée (B).
A. L'interprétation du contenu de chaque
rubrique de l'article 1647 B sexies du CGI, à la lumière de la
définition comptable : le maintien d'une définition purement
fiscale de la valeur ajoutée
Afin de déterminer le contenu des différents
éléments intégrés à la notion de valeur
ajoutée, au titre de l'article 1647 B sexies du CGI, le juge
fiscal s'est interrogé sur le fait de savoir s'il fallait ou non se
référer au plan comptable général de 1957
(ci-après : « PCG 1957 ») en vigueur lorsque cet article a
été adopté en 1980. Les termes de l'article 1647 B sexies
du CGI, de même que les travaux préparatoires, semblent trancher
en faveur d'une réponse positive61. En effet, le II de
l'article 1647 B sexies du CGI énumère les postes
à prendre en compte pour procéder au calcul de la valeur
ajoutée. Certains de ces postes ont été directement repris
des postes du PCG 1957 applicable au moment de l'adoption de la loi du 10
janvier 1980. Ainsi, le législateur, en adoptant cette loi, a
exprimé sa volonté non équivoque de fixer la
définition de la valeur ajoutée sur les règles
comptables.
Le Conseil d'Etat a pris acte de la volonté du
législateur, d'abord implicitement, dans son arrêt
Gagnevin du 27 juin 199062. Il a ainsi
estimé que les frais financiers n'étaient pas déductibles
de la valeur ajoutée, dès lors qu'ils n'entraient pas dans la
catégorie des « frais divers de gestion » au sens du PCG 1957.
Par la suite, il a explicitement rappelé, dans son arrêt
Clavé du 26 juillet 199163, que les
éléments énumérés par l'article 1647 B
sexies correspondent aux catégories de charges ou produits,
définis par le PCG 1957. Après avoir relevé que les
éléments énumérés par l'article 1647 B
sexies du CGI correspondaient aux catégories de charges,
identiquement désignées, qui étaient définies par
le PCG de 1957, le Conseil d'Etat en a déduit qu'il y a lieu de se
référer aux définitions du plan. Ainsi, le juge
61 Y. BENARD, « Taxe professionnelle : controverse autour de
la valeur ajoutée », RJF 11/06, p. 962-969.
62 CE 27 juin 1990 n° 72948 et 74164, Gagnevin, RJF
8-9/90 n° 1047.
63 CE 26 juillet 1991 n° 81975 et 95802,
Clavé, RJF 10/91 n° 1251.
fiscal a conclu que les dépenses d'approvisionnement en
fioul et linge étaient déductibles dès lors qu'elles
relevaient de poste « achats de l'entreprise » du PCG 1957 alors que
les dépenses d'eau, de gaz et d'électricité ne
l'étaient pas dès lors qu'elles relevaient du poste «
travaux, fournitures et services extérieurs » de ce même plan
comptable.
Toutefois, la définition de la valeur ajoutée
posée par le législateur reste une définition propre au
droit fiscal. L'énumération du II de l'article 1647 B
sexies du CGI ne coïncide pas exactement avec l'ensemble des
postes comptables à prendre en compte pour le calcul de la valeur
ajoutée au sens comptable. En effet, cette énumération
peut exclure des éléments que le droit comptable inclurait, ou
l'inverse (CE 26 juin 1987 n° 52046, SA Scopk et n° 52047
SA Socanord)64.
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