Le plafonnement de la taxe professionnelle( Télécharger le fichier original )par Sophie Deligiannis Université de Strasbourg - Master 2 Recherche Droit public général 2009 |
Section 1 : La politique d'optimisation fiscale des entreprisesLes entreprises recherchent les moyens de diminuer la valeur ajoutée qu'elles produisent sur le territoire français dans le but de réduire le montant de la taxe professionnelle qu'elles auront à acquitter. En effet, la valeur ajoutée constitue la base du plafonnement de la taxe professionnelle. Ainsi, plus son montant est réduit, plus les cotisations de taxe professionnelle seront allégées. C'est pourquoi, les entreprises développent des stratégies d'évitement (I), phénomène devant lequel l'administration reste relativement impuissante par manque de moyens mis à sa disposition (II). I. Le développement de stratégies
d'évitement par les entreprises dans le but de Afin de réduire le montant de leur valeur ajoutée, les entreprises développent des stratégies d'évitement qui peuvent être regroupées en deux catégories, à savoir la première, la plus radicale consistant à délocaliser les unités de production (A), et la seconde se résumant à rationaliser la répartition des activités entre les différentes entités présentes en France (B). Toutefois, le législateur est intervenu pour mettre fin à l'une des principales techniques d'optimisation de la valeur ajoutée, qui consistait pour les entreprises à louer les biens dont elles avaient la disposition plutôt que de les acquérir, les loyers correspondants venant en déduction de la valeur ajoutée. Ainsi, les lois de finances pour 1997 et pour 1999 ont exclu du calcul de la valeur ajoutée, définie à l'article 1647 B sexies du CGI, les loyers versés à l'intérieur d'un groupe164 et les loyers afférents à des biens pris en location pour plus de six mois. A. La délocalisation des unités de production : un moyen d'expatrier la valeur ajoutéeLa délocalisation d'activités opérationnelles est la première technique d'optimisation fiscale la plus médiatisée mais elle ne constitue pas la plus représentative. En effet, le déplacement d'une unité de production occasionne des coûts élevés. En revanche, les opérations consistant à implanter les activités nouvelles des groupes à l'étranger plutôt qu'en France, ou à délocaliser seulement certaines activités à forte valeur ajoutée (sièges sociaux, holdings, etc.) sont les plus fréquentes. Ce type d'opération, ayant des incidences en matière d'impôt sur les sociétés et de prélèvements sociaux, est particulièrement dévastateur pour les finances publiques en matière de taxe professionnelle165. En effet, l'expatriation des activités à forte valeur ajoutée occasionne mathématiquement une diminution du plafond applicable à l'impôt restant dû en France. Ainsi, le ratio « taxe professionnelle avant plafonnement/ Valeur ajoutée » augmente, ce qui signifie qu'après la prise en compte du plafonnement, le produit de l'impôt diminue, alors que le plus souvent 164 Par ailleurs, la déduction des loyers des biens pris en crédit-bail était déjà exclue depuis la loi du 10 janvier 1980. 165 Y . BENARD, « Taxe professionnelle : controverse autour de la valeur ajoutée », RJF 11/06, p. 962-969. les éléments physiques qui servent d'assiette à la taxe professionnelle n'ont pas été délocalisés166. B. La rationalisation de la répartition des activités entre les différentes entités situées en France Une seconde technique d'optimisation s'est développée notamment au sein des secteurs industriels utilisant des équipements lourds. Elle consiste à rationnaliser la répartition des activités entre les différentes entités situées en France afin de localiser les bases taxables (EBM) dans des structures juridiques différentes de celles qui abritent les activités à forte valeur ajoutée167. Supposons qu'une société pharmaceutique exerce deux activités complémentaires : d'une part, une activité de production nécessitant des équipements, des outillages et des installations coûteux, occasionnant une cotisation de taxe professionnelle d'1 M d'euros par an avant plafonnement et dégageant une valeur ajoutée de 20 M d'euros par an, soit un plafond de 700 000 euros ; d'autre part, une activité de recherche et développement à forte valeur ajoutée, nécessitant peu d'équipements, pour laquelle elle acquitte 500 000 euros de taxe professionnelle par an alors que la valeur ajoutée correspondante est de 30 M d'euros, soit un plafond de 1,05 M d'euros. Au total, la valeur ajoutée est de 50 M d'euros, et le plafond est de 1,75 M d'euros. La société n'est donc pas plafonnée ni soumise à la cotisation minimale assise sur la valeur ajoutée si elle exerce les deux activités. En revanche, elle bénéficiera d'un dégrèvement de 300 000 euros au titre du plafonnement si elle conserve l'activité de production et confie l'activité de recherche et développement à une filiale à 100 %. Les mêmes bases taxables donnent donc lieu à une imposition de 1,5 M d'euros par an dans le premier cas (1M d'euros + 0,5 M d'euros), et de seulement 1,2 M d'euros par an dans le second (0,7 M d'euros + 0,5 M d'euros)168. Aussi, la mise à disposition de personnel, la
centralisation de certaines activités, et
plus 166 Ibid. 167 Ibid. 168 Ibid. cotisation minimale assise sur la valeur ajoutée et sur le montant du dégrèvement global que le groupe pourra obtenir au titre de l'article 1647 B sexies du CGI. Toutefois, l'optimisation de la valeur ajoutée ne concerne pas exclusivement les groupes. Par exemple, en choisissant d'avoir recours à l'intérim plutôt qu'à l'embauche, une société plafonnée ou soumise à la cotisation minimale assise sur la valeur ajoutée réduit sa valeur ajoutée, et donc l'imposition qu'elle aura à acquitter in fine. En réalité, il s'agit d'un simple transfert puisque les salaires entrent dans la valeur ajoutée de l'entreprise d'intérim. Cependant, ce transfert n'est pas neutre du point de vue des finances publiques, étant donné que les entreprises d'intérim de taille moyenne ou petite, dont l'activité nécessité peu d'équipements et biens mobiliers, ne paient quasiment pas de taxe professionnelle169. II. Les moyens limités de l'administration fiscale face aux manoeuvres d'optimisation fiscale effectuées par les entreprises Les pouvoirs de l'administration restent limités face au phénomène d'évaporation fiscale. La loi de finances pour 2004 a étendu le champ d'application de l'article 64 du LPF relatif à la procédure de répression des abus de droit, à la taxe professionnelle. Cependant, cette procédure ne peut être appliquée aux stratégies d'expatriation de valeur ajoutée que dans les cas, probablement rares en pratique, où l'administration est juridiquement en mesure de d'établir que le transfert d'activité vers l'étranger est fictif ou s'assimile à un montage purement artificiel tombant sous le coup de ces dispositions170. Quant à la contestation des prix de transfert sur le terrain de l'article 57 du CGI ou de l'acte anormal de gestion constituant l'une des armes de prédilection de l'administration fiscale française, elle n'est susceptible de compenser la perte de ressources fiscales que partiellement, et seulement lorsque la délocalisation n'a pas été suivie de la mise en place d'une politique de refacturation appropriée entre les entités du groupe171. Mis à part l'exception précitée, l'administration fiscale n'a presque aucun moyen de s'opposer aux restructurations et aux choix de gestion ayant des conséquences sur le volume de la valeur ajoutée. 169 Ibid. 170 Ibid. 171 Ibid. En effet, l'externalisation de certaines fonctions ou la spécialisation des sociétés d'un même groupe dans des activités objectivement distinctes, nécessitant des personnels et des moyens matériels différents, peut difficilement être regardée comme abusive au sens de l'article L64 du LPF. En revanche, il pourrait en aller différemment si la répartition de la valeur ajoutée entre les diverses sociétés d'un même groupe était purement artificielle172. Quant à la théorie de l'acte anormal de gestion, elle n'est pas d'un grand secours, mis à part dans le cas des délocalisations vers l'étranger. Section 2 : Le plafonnement de cotisation de taxe professionnelle : un instrument de freinage des dépenses locales La liberté de vote des taux des impôts directs locaux, instituée par la loi du 10 janvier 1980, a été au fur et à mesure accompagnée de limitations dans le but d'éviter des transferts trop importants entre les catégories de redevables173. Les taux votés par les communes sont soumis à un plafonnement et leurs variations doivent respecter un certain nombre de contraintes, ce qui ne laisse aux communes, en réalité, qu'une marge de manoeuvre réduite174. Malgré cette liberté surveillée dont elles disposent, les communes fixent le taux d'imposition de taxe professionnelle chaque année, ce qui peut avoir des répercussions sur le dégrèvement accordé au titre du plafonnement. Ainsi, la loi de finances pour 2006 a institué de nouvelles modalités de répartition du coût du dégrèvement accordé au titre du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée entre l'Etat et les collectivités territoriales, à compter du 1er janvier 2007 (I). La participation des collectivités territoriales a entraîné la limitation de leurs dépenses locales (II). I. Les modalités de répartition de la
charge du dégrèvement entre l'Etat et les Le législateur de 2006 a souhaité que les
collectivités territoriales et leurs EPCI prennent en 172 Ibid. 173 Rapport de la Commission de réforme de la taxe professionnelle, présidée par O. FOUQUET, 2004, source : http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/044000333/0000.pdf>, p. 66. 174 Toutefois, des cas restreints de majoration ou de réduction exceptionnelle de taux ont été prévus par la loi. l'Etat (A), afin de les responsabiliser au coût du plafonnement (B)175. En effet, la responsabilisation fiscale représente le corollaire de l'autonomie fiscale, composante essentielle de l'autonomie financière dont bénéficient les collectivités territoriales. En effet, elles ont la maîtrise de leurs recettes et de leurs dépenses. |
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