9.3.2. Cas 1 : Innovation de composant
NextSol s'est adressée à
MediaPlug pour déployer la technologie voulue par son client et
non disponible en interne. Le but premier était d'avoir accès
à une technologie d'un spécialiste de bonne réputation. La
modularité de son architecture lui en a facilité
l'intégration sans risque pour ses propres technologies
stratégiques.
Le niveau de maturité de NextSol12 a permis
la définition et l'approbation du contrat avant le début de la
réalisation. La gestion des modifications du contrat et du
périmètre fonctionnel est convenue formellement. NextSol
perçoit le contrat comme un cadre nécessaire sans y recourir
systématiquement. MediaPlug lui accorde beaucoup d'importance à
cause de la sensibilité stratégique du module.
La régulation s'effectue entre les commerciaux pour les
aspects transactionnels, entre les chefs de projets pour les aspects
opérationnels et entre les experts pour les aspects techniques. Lorsque
NextSol a besoin d'influencer la décision de son partenaire, il recourt
au contrat ou à la négociation. Les pressions du client de
NextSol sont retransmises à MediaPlug pour plus de
réactivité.
Rappelons que NextSol privilégie la relation avec le
fournisseur (MediaPlug) pour faciliter la gestion des modifications aussi
importantes qu'imprévisibles. D'un autre côté MediaPlug a
besoin, en plus de l'aspect modulaire de la livraison, du contrat pour
protéger ses compétences stratégiques.
L'asymétrie entre NextSol (MNC) et MediaPlug (Strat-up)
en termes de taille induit un rapport de négociation
déséquilibré. MediaPlug n'a pas de marge pour refuser les
mises à jour ni les refontes éventuelles de son module.
Malgré tout, le niveau d'incertitude est limité pour les deux
parties grâce à la distinction des frontières de leurs
périmètres respectifs. Ces modifications (imposées
directement ou indirectement) fournissent des informations précieuses
sur le fonctionnement du module. Le processus de résolution de
problèmes géré conjointement facilite l'échange des
techniques implicites.
En termes de coordination, les équipes travaillent
ensemble pour avoir le même niveau d'information et ainsi résoudre
mutuellement les problèmes. Dans le cas d'une nouvelle demande qui sort
du cadre du calendrier, une action conjointe est opérée pour
définir une nouvelle référence incluant de nouveaux
engagements budgétaires et temporels. MediaPlug fait tout chiffrer dans
ce cas pour allouer de nouvelles ressources. Ce dernier point est le plus
sensible. La propension de NextSol à accepter presque toutes les
modifications de son client contraste avec l'attitude de MediaPlug qui s'appuie
sur la modularité de son module pour continuer d'en maîtriser
l'évolution.
Les livraisons ont été effectuées selon
les plans. NextSol a engagé une négociation pour acquérir
MediaPlug. Les raisons de cette décision stratégique restent
obscures. Le questionné pense qu'une raison peut être de
s'approprier des standards de fait en multimédia ou tout simplement de
contrer les concurrents ou les nouveaux entrants. Cela donnerait plus de marge
à l'entreprise en limitant l'accès des concurrents à la
technologie.
12 Certifiée niveau 2 et en préparation
du niveau 3 CMMi
La modularité dont a bénéficie
NextSol, bien qu'elle ait permis de déployer rapidement de
nouvelles technologies, représente un risque d'imitation des
concurrents. En effet, qu'est-ce qui empêche ces derniers de faire appel
aux services de MediaPlug pour être au même niveau
d'innovation que NextSol ?
En termes de transfert de compétences, NextSol n'a
acquis que des compétences limitées sur le module
intégré. Officiellement, seules les entrées et sorties de
celui-ci ont été échangées. L'équipe de
NextSol a acquis des compétences d'intégration d'un module
particulier qui n'était pas conçu à l'origine pour la
plateforme. MediaPlug a saisi les particularités de l'architecture de
NextSol sans pour autant en connaître le fonctionnement interne. Cela lui
permet d'optimiser et de standardiser l'interface de son module pour d'autres
clients. Officieusement, NextSol a acquis des connaissances implicites au
travers des évolutions récurrentes initiées par son
client.
En conclusion, on retient de ce cas que lorsque le
niveau de modularité est poussée, on a besoin de peu de
coordination et donc peu de contrôle. Le contrat reflète cette
modularité qui définit en quelque sorte la division du travail de
conception. Il a donc été signé avant le démarrage
du projet. Des mécanismes de contrôle minimes ont
été mis en place rapidement. Du point de vue du transfert de
compétences, cela reste très limité et centré sur
les informations explicites faisant l'objet d'accord ex-ante.
En revanche, pendant le déroulement du projet,
le client de NextSol a maintenu la pression pour faire implémenter des
modifications. On est toujours dans la configuration modulaire mais plus
d'interactions ont été nécessaires pour résoudre
conjointement les problèmes. Cela a remis en cause le schéma
initial. MediaPlug a été contraint de céder, au travers de
ses experts, plus d'informations sur le module. NextSol a pu décrypter
partiellement certaines fonctionnalités de celui-ci.
Parallèlement, MediaPlug a pu en savoir plus sur l'architecture de
NextSol. Le rempart de la modularité a été quelque peu
affaibli. Chacune des parties a eu plus d'informations sur la technologie de
l'autre. MediaPlug pourrait transmettre cette expérience à
d'autres clients et NextSol pourrait tout à fait redévelopper le
module en interne grâce à sa capacité d'innovation (R&D
interne).
Pendant la première phase, la modularité
a joué pleinement son rôle grâce à un
équilibre entre le contrôle et la confiance (voir Tableau 3).
L'apprentissage est limité et la protection est optimale. Pendant la
deuxième phase, on gagne en relationnel à cause des
sollicitations du client final. La modularité reste utile pour
opérer efficacement les modifications techniques mais perd en influence
sur la coordination. D'où un apprentissage plus élargi et une
protection mitigée.
Tableau 3 : Cas 1 : Influence des facteurs
|
Contrat
|
Relation
|
Modularité
|
Effet
|
Sans les demandes de modifications du client
|
++
|
++
+++
|
|
* Apprentissage limité * Protection optimale
|
Avec les demandes de modifications
|
++
|
+++
|
++
|
* Apprentissage élargi * Protection mitigée
|
9.3.3. Cas 2 : Innovation produit
La relation entre AvantCell et LabsNord est
particulière. Le contrat-projet n'est pas signé avant le
démarrage. En revanche, un accord global a été
signé définissant les termes de la collaboration. Cela est
dû au fait que les spécifications étaient volatiles et donc
sujettes à renégociation. Cette flexibilité contractuelle
est imposée également par la nature du marché cible. De
plus, d'un produit à l'autre, le périmètre d'intervention
du fournisseur (en l'occurrence AvantCell) n'est pas le même. Les
possibilités de capitalisation sont réduites.
LabsNord se centre sur son coeur de métier qui
est le design mécanique et l'IHM (interface homme-machine). AvantCell
gère l'évolution de son propre architecture
selon les changements technologiques en général
et par rapport aux exigences de ses clients en particulier. Cela exige une
souplesse au niveau des compétences et des ressources. AvantCell a du
mal à bien gérer cette souplesse d'après notre
interlocuteur. On voit là le paradoxe de la modularité
abordé par Ernst (2005) selon lequel la modularité tient sa
promesse tant qu'on n'apporte pas de modifications radicales à
l'architecture.
La prise de décision est décentralisée
entre les experts et les top managers. Les exigences du client final
(marque de luxe) font que LabsNord est disposé à étudier
les changements de dernière minute quitte à négocier de
nouveaux investissements avec son fournisseur AvanCell. Le niveau de
formalisation est moindre sauf pour les spécifications initiales du
produit.
AvantCell n'a accès ni au client final ni aux autres
fournisseurs de LabsNord. Autrement dit, LabsNord est son seul point de
contact. Les experts des deux sociétés travaillent ensemble au
sein d'une équipe dédiée. Les problèmes et les
événements sont traités en temps réel et suivis
conjointement. Les frontières des deux organisations sont floues et
souvent sujettes à négociation. LabsNord fait un usage intensif
de certaines ressources matérielles de son partenaire.
Techniquement, bien que la conception soit modulaire, les
interfaces entre la partie mécanique et les autres modules du produit
sont instables. Il y a plus d'interaction, donc plus de transfert
d'information. La faible stratégie de LabsNord de protection
directe (GPA) et indirecte (seules les connaissances nécessaires sont
communiquées) est justifiée par la confiance entretenue de part
et d'autre.
D'après l'expert interrogé, AvantCell apprend
beaucoup de la façon d'intégrer des nouveautés dans ses
plateformes sans pour autant maîtriser complètement les concepts
du client. LabsNord ne tire pas de grands bénéfices de sa
relation en termes d'enrichissement de sa base de compétences. Par
contre, il renforce son habileté de mesurer rapidement la
faisabilité technique des idées de son client final.
LabsNord a des connaissances critiques provenant de son client
(marque de luxe) qu'elle veut donc déployer sur des produits
externalisés. Le module dont il garde le contrôle est censé
intégrer ces connaissances. L'ambigüité introduite par la
demande d'intégration de ce module dans un ensemble
maîtrisé par le fournisseur, explique en partie
l'instabilité des responsabilités. C'est un des défis
exprimés par Staudenmayer, Tripsas & Tucci (2005) où le
partenaire est à la merci des contraintes de l'architecture qui est
généralement sensible aux changements. AvantCell dispose ainsi de
plus de marge de manoeuvre que son client.
En conclusion, ce cas nous suggère que moins de
modularité ou moins de stabilité des interfaces pousse vers une
gouvernance plus relationnelle. Cela est illustré par l'existence d'un
GPA (General Purpose Agreement) et par les retards de signatures des
contrats-projets. Le facteur confiance est primordial. D'autant plus que les
activités R&D bénéficient d'un certain niveau
d'intégration entre les deux organisations.
Du point de vue du transfert de connaissances,
LabsNord est consciente que dans de telle configuration un excès de
protection n'a pas de sens. Elle a essayé de répondre aux
exigences de son client en protégeant les nouveautés
temporairement jusqu'à leur commercialisation via des contraintes
formelles générales et une relation de confiance.
Théoriquement, rien n'empêche AvantCell
de copier le modèle économique de LabsNord. Des mécanismes
d'interface avec le client et les fournisseurs ont été mis en
place par LabsNord pour minimiser ce risque. Le contrôle est très
ciblé dans cette relation et ses modalités ne sont pas
forcément formalisées.
La modularité est instable à cause des
interfaces. Cela implique plus d'interactions donc plus d'échange
d'informations. L'aspect contractuel est très réduit. Les
conflits qui en résultent relativisent la qualité des
connaissances échangées. La protection, limitée dans le
temps, ne concerne que des informations spécifiques. (Voir Tableau
4)
Tableau 4 : Cas 2 : Influence des facteurs
Contrat
|
Relation
|
Modularité
|
Effet
|
+
|
+++
|
++
|
* Apprentissage élargi * Protection ciblée
|
|