9.3.4. Implications
La modularité limite le besoin de contrôle
(Tiwana 2008). C'était le cas de NextSol où le contrat a
pu être signé avant le démarrage du projet. Le contrat n'a
pas besoin de décrire toutes les subtilités des engagements. Les
interfaces du module de MediaPlug avec l'architecture de
NextSol sont clairement définies et définies ex-ante. La
négociation est moins élaborée. Pour le cas de
LabsNord, c'est différent. Bien qu'on soit dans une
configuration modulaire, les interfaces entre le nouveau module et les modules
existants sont volatiles. Le contrat n'aurait pas couvert les incertitudes tant
pour le client (LabsNord) que pour le fournisseur
(AvantCell). Plus la modularité est faible plus
l'ambigüité et la volatilité sont fortes.
Le degré de modularité est plus
élevé dans le cas de NextSol. Le retour qu'on a eu
concernant le transfert limité de compétences confirme le
postulat que plus la modularité des composants est forte, moins le
transfert de compétences est étendu (Mikkola 2003). A l'inverse
le cas de LabsNord est caractérisé par une
modularité moyenne donc plus d'interactions et d'échanges. Cela
induit, par conséquent, plus de transfert de compétences.
Dans les deux cas, les connaissances sont complexes mais elles
n'impliquent pas les mêmes dispositifs de protection. Dans un cas, il
s'agit d'une boîte noire clairement délimitée et dans
l'autre il s'agit de modules avec des interfaces instables. Le client
(LabsNord) essaie de ne divulguer que ce qui est nécessaire
à l'intégration des nouveautés. Il y arrive tant bien que
mal et des conflits sur le périmètre de responsabilité
ressurgissent de temps en temps. Plus les compétences sont complexes,
plus leur transfert est délicat et plus de modularité est
nécessaire pour une gestion efficace.
Le mode organisationnel est influencé par la
modularité du produit (Frigant & Talbot 2005). Dans nos deux cas,
les interfaces entre les équipes sont clairement définies. Chaque
partenaire n'a accès qu'aux spécialistes concernés de
l'autre.
NextSol a envisagé l'acquisition de
MediaPlug. Les raisons de Vanhaverbeke, Duysters & Noorderhaven
(2002) nous semblent moins pertinentes dans nos deux cas. L'historique des
relations n'expliquent pas de telle décision d'acquisition. Les
réponses qu'on a eues s'orientent plutôt vers des raisons de
s'approprier la technologie et donc de la rendre inaccessible aux concurrents.
Quant à LabsNord, les liens directs et historiques n'ont pas
ouvert de possibilités de fusion/acquisition.
NextSol, contrairement à LabsNord, a
géré plusieurs alliances de même type sur d'autres modules
acquis de l'extérieur. La disparité des partenaires aide
l'entreprise à sauvegarder son patrimoine des tentatives
d'expropriation. Elle dispose également d'une structure R&D interne
renforçant sa capacité d'innovation (W. M. Cohen & Levinthal
1990). De plus, NextSol dispose de compétences redondantes avec celles
de MediaPlug. Cela facilite l'accès à la technologie et renforce
le dynamisme d'acquisition de nouvelles compétences (Mowery, Oxley &
Silverman 1996).
L'implication du client final dans la définition du
produit attendu est un point clé quant au dynamisme d'innovation et
d'acquisition d'information sur le marché (Prajogo, Power & Sohal
2004; Knudsen 2007). Dans nos deux cas, la pression d'innovation provient du
client final. « Cette urgence compétitive » (D'Aveni 1994) a
été relayée sur le fournisseur.
La relation est cyclique en ce sens qu'on négocie les
modifications et les nouvelles demandes en les traduisant par la formulation
des engagements dont l'exécution est suivie (ou interrompue) par de
nouvelles négociations (Modèle NCE de Marshall (2004)). Cette
relation cyclique concerne les deux cas notamment le cas d'innovation produit
(LabsNord) à cause de l'absence de contrat formel dès le
début du projet.
Les deux innovations diffèrent par la
possibilité de « reverse engineering ». Celle de composant est
difficile à imiter puisqu'elle est livrée sous forme de
boîte noire (Mikkola 2003). L'innovation produit est facilement copiable.
Ce qui explique que la confidentialité dans ce dernier cas était
limitée dans le temps (Hurmelinna-Laukkanen & Puumalainen 2007), sa
fin prenant effet dès la commercialisation du produit.
Dans le cas d'innovation de composant il y a eu une synergie
entre NextSol et MediaPlug grâce à la
formalisation d'un cadre de travail, à l'autonomie R&D, à la
communication personnelle et électronique, et à l'interaction des
intervenants (Persaud 2005). Cette synergie a permis à chacun de garder
un contrôle relatif sur ses compétences stratégiques. Dans
le cas de LabsNord, cette synergie a été amoindrie à cause
du manque d'autonomie R&D du fournisseur et à la faible
formalisation des engagements.
Dans les deux cas, on n'implique pas le fournisseur dans la
définition du produit. On fait appel au partenaire pour tirer profit de
sa spécialisation (NextSol) ou de sa capacité
d'intégration de nouvelles fonctions sur une plateforme
pré-définie (LabsNord). On est loin de l'optimisme d'une
certaine littérature où l'implication du fournisseur est un
facteur clé de réussite (par exemple Bozdogan et al. (1998)).
Le degré d'apprentissage entre les entités,
même s'il diffère dans les deux cas, reste relatif pour des
raisons structurelles et comportementales (Ingham & Mothe 1998).
Structurellement à cause de la modularité et d'une
activité R&D propre. Comportementalement à cause de la
volonté affichée de restreindre l'échange de certaines
informations critiques. Les experts assument les rôles et les obligations
qu'on leur a attribués. Cela a été quelque peu
ébranlé à cause des sollicitations du client final. Dans
les projets modulaires, la modularité est effective tant que les
modifications des modules ne sont pas radicales (Ernst 2005).
Ce qui caractérise la relation du premier cas est la
recherche d'accès à la compétence et la relation du
deuxième cas la recherche de capacité (Takeishi 2002). Dans le
premier cas, il s'agit de disposer de compétences de l'extérieur
qu'on peut tout à fait générer en interne. Dans le
deuxième cas, il s'agit d'éléments qu'on est incapable de
produire soi-même. Le niveau de dépendance ainsi que les risques
sont différents. Les deux types d'alliances contractuelles
reflètent cela : intégration de composant multimédia au
travers de « licensing » et intégration de composants (design,
IHM) au travers de développement conjoint. Elle est plus contractuelle
dans le premier et moins dans le second et inversement pour l'aspect
relationnel. Le niveau de protection est également différent. Le
design mécanique est banalisé dès son apparition sur le
marché contrairement aux applications logicielles
protégées institutionnellement (brevet) ou gardées
secrètes (secret commercial).
Dans cette deuxième partie, nous avons
exposé et analysé nos deux cas empiriques. Il en ressort que les
trois dimensions (contrat, relation et modularité) interagissent entre
elles dans les alliances technologiques pour donner des effets
différents sur le paradoxe d'apprentissage.
Dans le premier cas, le transfert de
compétences était limité à cause de la
modularité interorganisationnelle du client et la stabilité des
interfaces techniques. Le relationnel est mis en place du fait de la pression
du client final qui exigeait des modifications du module. Ces modifications
était arbitrées dans le cadre du contrat mais ont induit plus
d'interactions donc plus de transfert d'informations tacites de part et
d'autre. Une situation qui a
probablement donné lieu à des
négociations d'acquisition de MediaPlug par NextSol.
Dans le deuxième cas, la modularité
s'appuyait sur des interfaces instables. Les deux partenaires étaient
conscients de ce fait et privilégiaient une gouvernance relationnelle
avec un cadre contractuel a minima. Les connaissances tacites ont
été échangées du fait de l'intégration
relative des activités R&D. Malgré une gestion contractuelle
faible, le transfert des connaissances explicites était
contrôlé au jour le jour via des mécanismes propres au
client (sensibilisation du personnel, contrôle des canaux de
communication avec le fournisseur ...). La protection était
limitée dans le temps ce qui rend la relation plus souple car le client
était sûr de ce qu'il devait protéger et ne pas
protéger et pour combien de temps.
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