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Les rapports juridiques entre les droits interne et communautaire dans le contentieux des contrats de la commande publique


par Steeve BATOT
Université Robert Schuman Strasbourg 3 - Master 2 "droit public fondamental" 2008
  

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Chapitre II. Une large surestimation des exigences communautaires par le droit interne

Les directives « recours » n'établissent que des conditions minimales auxquelles doivent répondre les procédures instaurées dans les ordres juridiques nationaux. Le droit interne peut donc transposer ce texte en excédant ses exigences. Cela signifie que le droit interne contribue lui-même, en dehors de la sphère contraignante issue du droit communautaire, à l'élaboration de ses propres règles contentieuses. Exagérer les implications du droit communautaire est d'autant plus simple que la réglementation qui en découle « n'est pas d'une compréhension aisée » 75(*), notamment en raison de l'emploi de termes standards dont les contours semblent parfois insaisissables. De même, l'interprétation téléologique et la spécificité des solutions dégagées par la Cour lors d'une procédure en manquement ou suite à une question préjudicielle n'ont pas vocation à en faciliter la lecture. Toutefois, avec autant de discrétion que d'efficacité, les directives consacrent implicitement un principe de sécurité juridique qui s'oppose à ce que toute irrégularité entrave avec démesure le déroulement de l'action publique dans les ordres juridiques internes. Mais bien souvent, le droit français reste indifférent aux potentialités que lui offre le droit communautaire. C'est ainsi que la tendance d'une surestimation des exigences communautaires s'exprime à deux égards : dans la recherche de l'irrégularité d'abord (Section 1), dans son traitement ensuite (Section 2).

Section I. Le dépassement des exigences communautaires dans
la recherche de l'irrégularité

Comme il a déjà été dit, le droit communautaire contraint les Etats à une recherche active des irrégularités entachant les actes préalables à la conclusion d'un contrat. Pourtant, soucieux de ne pas fragiliser à l'excès les procédures de passation et de ne pas surcharger les prétoires nationaux, il n'implique aucunement que toute irrégularité tombe sous le coup d'un contrôle juridictionnel. C'est pourquoi les directives « recours » autorisent bien souvent les Etats, dans un espace juridique de liberté, à effectuer des choix ayant pour objet de limiter un rapprochement disproportionné de l'irrégularité vers le juge. Mais pris d'un excès de zèle, le législateur (§ 1) et le juge national (§ 2) refusent d'exercer les droits d'option qui leur sont pourtant reconnus, préférant alors l'exagération et la systématicité au pragmatisme.

§ 1. Une exagération à l'initiative du législateur

Il est possible de rendre compte de la démesure opérée par le législateur au travers des contrats qu'il entend soumettre aux référés précontractuels (A) et d'un délai de forclusion (B) qu'il se refuse à établir.

A. Les contrats soumis aux référés précontractuels

Pour être justiciable d'un recours au sens de la directive, la procédure de passation doit se rapporter à un contrat qui revêt deux conditions cumulatives. Il doit d'abord être qualifié de marché public au sens du droit communautaire (1). Son montant doit ensuite être supérieur aux seuils d'application des directives matérielles (2).

1. Les marchés publics au sens du droit communautaire

Il est admis que la directive « recours » a pour ambition de rendre effective l'application du droit matériel régissant les procédures de passation des marchés publics. Transposant à la lettre cette directive en droit interne, la loi du 4 janvier 1992 rendait d'abord le référé précontractuel applicable aux seuls marchés publics. Mais la définition d'un marché public au sens du droit communautaire, telle qu'interprétée par la Cour, n'est pas identique à celle que retient le droit interne. Par souci de concision, mais aussi parce que l'étude de cette définition actuellement donnée à l'article 1er de la directive 2004/18 s'éloignerait à l'excès du contentieux contractuel, l'on retiendra simplement que la notion de marché public au sens du droit communautaire est plus englobante que celle admise par le code des marchés publics. Pour prévenir d'éventuelles méconnaissances du droit communautaire liées à des divergences de qualification, le législateur a continuellement élargi le champ d'application matériel des référés précontractuels. Ainsi, la loi Sapin du 29 janvier 199376(*) a notamment étendu cette voie de droit aux délégations de service public. De sorte qu'aujourd'hui, l'article L 551-1 CJA s'applique également aux contrats de partenariat issus de l'ordonnance du 17 juin 200477(*), en principe aux baux emphytéotiques administratifs, ainsi qu'aux concessions de travaux régies par la loi du 3 janvier 199178(*).

De plus, les directives matérielles ne s'appliquent pas à certains marchés de services limitativement énumérés en annexe et définis en fonction de leur objet. Ils ne semblent pas devoir relever des directives « recours ». Or, le droit français n'opère pas de distinction puisque l'article
L 551-1 CJA leur est une fois encore applicable.

La volonté du législateur de soumettre des contrats publics aux référés précontractuels alors même qu'ils ne sont pas nécessairement qualifiés de marchés publics au sens des directives matérielles témoigne d'un premier dépassement de ce qu'implique le droit communautaire. Cela ne signifie pas pour autant que le droit interne lui soit entièrement conforme. A titre d'exemple, la Cour de Justice a récemment estimé, eût égard au développement de la concurrence dans le secteur considéré, que certaines conventions d'aménagement appartiennent à la catégorie des marchés publics au sens des directives matérielles79(*). Or, dans l'hypothèse d'un contentieux, l'article
L 551-1 CJA ne semble pas en tant que tel applicable en vue de contester la procédure de passation de ces contrats.

Les procédures de passation participant à la conclusion d'un marché public relèvent d'un recours efficace et rapide au sens du droit communautaire, à la condition toutefois que le montant du marché en cause soit supérieur aux seuils d'application des directives matérielles.

* 75 F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « La nouvelle directive «recours» et la conclusion du contrat », in Contrats et Marchés Publ., février 2008, n° 2, Repère. 2. L'interprétation des directives « recours » est unanimement perçue comme une source de complexité. Pour des exemples de difficultés rencontrées en droits étrangers, voir
H. LLOYD, « L'expérience britannique en matière de marchés publics de travaux », in RDI, 1998, p. 555 ;
W. WEDEKIND, « L'expérience néerlandaise en matière de marchés publics de travaux », in RDI, 1998, p. 569, « L'interprétation de la directive pose beaucoup de problèmes. C'est ainsi qu'on se heurte à la structure et à la langue juridique de la directive, et qu'on est confronté à des notions inconnues ». L'avènement de la nouvelle directive « recours » ne rompt pas avec les difficultés passées liées au mode de rédaction : voir notamment G. KALFLECHE : « la modification des directives «recours» en matière de marchés publics », in Europe, avril 2008, n°4, étude 4 : la directive contient « tous les éléments d'une législation absconse [dont] le style et les renvois incessants en rendent la lecture particulièrement fastidieuse ».

* 76 Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques

* 77 Ordonnance n° 2004-559 du 19 juin 2004 sur les contrats de partenariat.

* 78 Loi n°91-3 du 3 janvier 1991 relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés et soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence.

* 79 CJCE, 18 janvier 2007 : Auroux /c. Commune de Roanne, aff. C-220/05, Rec. CJCE, p. I-385, in Contrats et Marchés Publ., 2007, comm. 38, note W. ZIMMER.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry