Les rapports juridiques entre les droits interne et communautaire dans le contentieux des contrats de la commande publiquepar Steeve BATOT Université Robert Schuman Strasbourg 3 - Master 2 "droit public fondamental" 2008 |
2. Les marchés publics dont le montant est supérieur aux seuils d'application des directives matériellesPour être justiciable de la voie de droit imposée par les directives « recours », la procédure de passation litigieuse doit se rapporter à un marché public dont le montant est supérieur aux seuils d'application des directives matérielles. Une lecture littérale et a contrario de cette règle pourrait conduire à l'interpréter strictement. C'est pourtant cette lecture assujettissante qui a dans un premier temps été retenue par le législateur, la loi du 4 janvier 1992 ayant prévu que les marchés publics dont le montant est inférieur aux seuils d'applications des directives matérielles ne relèvent pas des référés précontractuels. Le champ d'application rationae materiae de ces recours a ici encore été élargi par la loi Sapin du 29 janvier 1993. Par conséquent, peu importe la valeur du marché : toutes les procédures de passation se rapportant à leur formation sont soumises aux référés précontractuels. Le droit communautaire, quant à lui, ne se désintéresse pas des marchés dont le montant est inférieur aux seuils d'application des directives matérielles. La Cour a affirmé, dans un célèbre arrêt Telaustria80(*), que les principes des traités leurs sont applicables, en particulier les principes d'égalité de traitement et de non discrimination en raison de la nationalité. La solution qu'elle a consacré implique alors que les Etats sont tenus d'organiser des voies de recours afin d'en assurer la garantie. Mais une épineuse question reste encore sans réponse. Elle consiste à savoir si ces voies de droit doivent être identiques à celles prévues par les directives « recours ». De ce point de vue, il est certain que le choix du législateur national de soumettre l'ensemble des marchés publics aux recours précontractuels a l'avantage de la simplicité. Il permet notamment d'éviter les débats relatifs aux incidences contentieuses d'une application des règles fondamentales des traités communautaires au droit des marchés publics. Les difficultés rencontrées par le droit interne pour en tirer les conséquences sur le droit matériel sont déjà fort bien connues81(*). Mais à la réflexion, le droit communautaire ne paraît pas exiger des Etats l'instauration de procédures aussi rapides et efficaces que celles imposées par la directive « recours ». Deux raisons justifient cette affirmation. La Commission a d'abord fait part, dans un élan d'autorité82(*), de son ambition de soumettre l'ensemble des marchés publics aux directives « recours ». Cette intention n'a pourtant jamais été reprise par le législateur communautaire puisque le champ d'application de la nouvelle directive « recours » reste inchangé. Il apparaît ensuite que la Cour de Justice pose une limite aux exigences de la jurisprudence Telaustria, dont elle seule sait pour l'instant garder le secret. Elle a considéré, dans un arrêt Commission contre Irlande83(*), que l'application des règles fondamentales et des principes généraux des traités aux procédures de passation des marchés de faible valeur « présuppose que les marchés en cause présentent un intérêt transfrontalier certain ». Le caractère « certain » de l'intérêt transfrontalier ne peut a priori que témoigner de la difficulté pour les requérants à en apporter la preuve concrète. Il indique surtout la volonté de la Cour de revenir sur la rigueur que pouvait laisser présager l'arrêt Telaustria. Plus généralement, les incertitudes qui entourent cette notion ravivent davantage les critiques84(*) pesant sur le choix opéré par la loi Sapin. Ce choix s'avère évidemment problématique en ce qu'il soumet les nombreux marchés de faible valeur passés par les collectivités territoriales à la rigueur, et si l'on ose dire, aux ravages des référés précontractuels. S'il s'avère que ces marchés peuvent bénéficier d'un régime contentieux différencié, les règles fondamentales du traité imposent néanmoins aux Etats membres d'instituer des sanctions suffisantes ou « adaptées »85(*), ce que la nouvelle directive « recours » qualifie de sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives »86(*). De la même manière, le législateur est allé au-delà des exigences communautaires en rejetant le principe d'un délai de forclusion. * 80 CJCE, 7 décembre 2000 : Telaustria Verlags GmbH, aff. C-324/98, Rec. CJCE, p. I-10745. * 81 Pour illustration,
l'obligation de transparence implique notamment un degré de
publicité adéquat pour les marchés de faible valeur. Or,
la question de savoir ce que constitue un tel degré de publicité
reste encore sans réponse de la part de la Cour de Justice : concl.
E. SHARPSTON, sur CJCE, 26 avril 2007 : Commission /c. Finlande,
* 82 Communication interprétative du 23 juin 2006 de la Commission relative au droit communautaire applicable aux passations de marchés non soumises ou partiellement soumises aux directives «marchés publics» (JOCE, 1er août 2006, C-179/2). * 83 CJCE, 13 novembre
2007 : Commission /c. Irlande, aff. C-507/03. Voir pour une
récente confirmation * 84 F. LINDITCH : « La suppression du Code des marchés publics envisagée ? », in Contrats et Marchés Publ., décembre 2007, n° 12, alerte 37 : « Si le code pose quelques problèmes, celle de sa sanction en pose bien davantage. Lors d'un colloque organisé par la Société des législations comparées, et l'Université de Freiburg, nous nous sommes laissés dire que les allemands, eux, n'ont pas ouvert la possibilité du référé en dessous des seuils communautaires. Si cette piste était suivie, ce serait le Code de la justice administrative, et non celui des marchés, qui nécessiterait d'être réformé... ». * 85 J-F. LAFAIX : « La nouvelle directive «recours» ou l'esquisse d'une exigence de «sanction adaptée» - commentaire de la directive 2007/66/CE du 11 décembre 20007 », in Contrats et Marchés Publ., avril 2008, n° 4 étude 4. * 86 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 sexies § 2. |
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