La théorie du patrimoine à l'épreuve de la fiducie( Télécharger le fichier original )par Thomas Naudin Université de Caen - Master 2 Recherche en Droit Privé 2007 |
b. - Le respect du droit de suite112. - L'article 2025 du Code civil permet aux créanciers « titulaires d'un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie » d'agir directement contre les biens détenus au sein du patrimoine fiduciaire. Cette disposition n'intéresse qu'une partie seulement des créanciers du fiduciant, ceux qui, concrètement, bénéficient d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque venant garantir leur créance. L'objectif poursuivi n'est pas directement le respect du droit de gage général de tous les créanciers du constituant, mais la protection de droits spécifiques de certains d'entre eux ayant pris soin de garantir leur créance par une sûreté réelle. 113. - La sûreté réelle consiste en un droit réel accessoire consenti par un débiteur sur un bien sur lequel il détient lui-même un droit réel principal (au premier rang desquels on trouve la propriété). Mais ce droit réel est « vidé de sa substance matérielle »125(*), et il n'en demeure que le droit de préférence et le droit de suite (ce dernier étant absent de certaines sûretés réelles). Le premier de ces droits permet au créancier de se faire payer sur le prix du bien donné en garantie avant tout créancier chirographaire (c'est-à-dire celui qui n'est titulaire d'aucune sûreté) et avant tout titulaire d'une sûreté réelle postérieure. Le droit de suite permet au créancier d'atteindre le bien donné en garantie quand bien même celui-ci aurait quitté le patrimoine de son débiteur, et ainsi de le faire saisir pour se payer sur son prix de vente. Le droit de suite est généralement défini comme étant la possibilité de suivre le bien en quelques mains qu'il se trouve. 114. - Un créancier du fiduciant, titulaire d'une sûreté réelle ayant pour assiette un bien transmis à la fiducie, est ainsi fondé à faire saisir le bien se trouvant dans le patrimoine fiduciaire, alors même qu'il ne serait pas directement créancier de la fiducie. La loi sur la fiducie limite cependant l'effet du droit de suite en le conditionnant à la publication de la sûreté antérieurement à la constitution de la fiducie. L'antériorité paraît un critère évident, et la sûreté réelle assise sur un bien de la fiducie mais constituée postérieurement à la conclusion du contrat (et donc postérieurement en principe au transfert de propriété fiduciaire) devrait être regardée comme constituée a non domino126(*). On peut regretter à ce propos que la loi n'exige aucune condition d'opposabilité de la fiducie vis-à-vis des tiers. Si des formalités d'enregistrement sont exigées, ce n'est qu'ad validitatem127(*), et nullement à des fins d'opposabilité. L'article 2025 du Code civil se réfère ainsi « au contrat de fiducie » et non pas à son opposabilité qui pourrait être constituée par l'accomplissement de cette formalité d'enregistrement. Ainsi, la sûreté réelle assise sur un bien de la fiducie mais intervenant entre la conclusion de la fiducie et son enregistrement serait inopposable à la fiducie bien que pouvant avoir été conclue avec une personne agissant en toute bonne foi, et surtout qui n'avait aucun moyen de s'assurer que le bien donné en garantie n'avait été transféré à aucune fiducie. Heureusement, le délai d'un mois laissé par la loi pour accomplir les formalités d'enregistrement est suffisamment court et devrait éviter un contentieux trop important, mais des abus devraient être constatés. 115. - En revanche la référence aux « sûretés publiées » pose plus de difficultés. En effet, toutes les sûretés n'ont pas à être publiées pour être rendues opposables aux tiers. Par exemple, le nantissement de créance est opposable aux tiers dès la date de l'acte128(*). L'article 2025 du Code civil entre donc en conflit avec certaines dispositions du droit des sûretés. En application de l'adage specialia generalibus derogant129(*), la loi la plus spéciale doit primer. Selon nous, ce sont les dispositions gouvernant la fiducie qui doivent donc s'imposer. Le législateur a donc vraisemblablement pris le parti de limiter les sûretés opposables à la fiducie aux seules sûretés publiées130(*), la publication devant impérativement être antérieure à la fiducie. On ne peut donc qu'encourager les titulaires de sûretés réelles à faire publier rapidement leur droit, lorsque cela n'est pas requis par la loi. * 125 L. Aynès et P. Crocq, préc., n° 400. * 126 C'est-à-dire par un non propriétaire. V. à ce sujet, L. Aynès et P. Crocq, préc. * 127 Art. 2018 al. 1er du Code civil. * 128 Art. 2361 du Code civil. * 129 Le spécial déroge au général. * 130 V. en ce sens H. de Richemont, Rapp. Sénat n° 11. |
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