La théorie du patrimoine à l'épreuve de la fiducie( Télécharger le fichier original )par Thomas Naudin Université de Caen - Master 2 Recherche en Droit Privé 2007 |
b. - Une propriété à l'étendue limitée65. - La propriété de l'article 544 du Code civil est un droit absolu. Ainsi un propriétaire peut user de son droit de propriété comme bon lui semble - sous réserve de la théorie de l'abus du droit de propriété83(*) - et peut aliéner l'objet de son droit selon son gré. Les seules limites sont constituées par « la loi et le règlement ». Mais le droit du fiduciaire est d'une autre nature. Il n'est nullement absolu par essence, mais déterminé quant à son étendue par un contrat. C'est le rôle de la convention de fiducie de déterminer ce que le fiduciaire peut faire et ce qu'il ne peut pas faire avec les éléments transférés. La détermination concerne les « pouvoirs d'administration et de disposition »84(*). Il est de l'essence même de la propriété fiduciaire d'être limitée, ou en tout cas délimitée, l'absence de telles précisions dans le contrat de fiducie impliquant la nullité de ce dernier - le contrat de fiducie est un acte solennel. Cette propriété à géométrie variable peut se réduire au strict minimum, par exemple dans le cadre d'une fiducie-sûreté dans laquelle le fiduciant ne souhaiterait pas que son créancier puisse aliéner ou même seulement gérer l'actif mis en garantie. Mais elle peut également être très large dans l'hypothèse cette fois d'une fiducie-gestion, dans laquelle le constituant pourrait être amené à consentir d'importantes prérogatives au fiduciaire afin de gérer un portefeuille de valeurs mobilières par exemple. Dans ce dernier cas, l'étendue de la propriété fiduciaire semble se confondre avec la propriété de droit commun, celle, absolue, érigée par l'article 544 du Code civil. Néanmoins, le fait que son étendue soit définie par le contrat de fiducie indique selon nous une différence importante avec la propriété classique. 66. - Plusieurs hypothèses quant à la nature du droit du fiduciaire sur le patrimoine de la fiducie peuvent être envisagées. Tout d'abord, son droit semble émaner du contrat car c'est la convention qui détermine quels sont ses pouvoirs. On pourrait alors voir de manière réductrice dans le droit du fiduciaire un simple droit personnel, la situation du fiduciaire devant être rapprochée de celle du mandataire. A l'opposé, il serait possible d'envisager que le fiduciaire est titulaire d'un droit réel principal, une propriété fiduciaire qui est en réalité un démembrement du droit de propriété plein et absolu dont se défait le fiduciant par le contrat. Enfin, de façon intermédiaire, le droit du fiduciaire peut être perçu comme étant la propriété de l'article 544 du Code civil limitée par un droit personnel liant fiduciant et fiduciaire. La première interprétation doit être nettement réfutée. Nous avons en effet vu que la fiducie devait être vue comme un contrat translatif d'un droit réel. 67. - Néanmoins il est permis d'hésiter entre les deux autres hypothèses. Au premier abord, on pourrait rapprocher le mécanisme de la fiducie de celui des clauses d'inaliénabilité pouvant affecter un bien à l'occasion d'un contrat translatif. Mais la clause d'inaliénabilité ne modifie pas la nature absolue du droit de propriété transféré. L'opération se déroule en deux temps distincts, bien que concomitants. Tout d'abord, la propriété est transférée par l'acte translatif. Mais ensuite, un droit personnel, une dette pour l'acquéreur, vient se greffer à l'opération. Ce droit personnel oblige son débiteur à ne pas aliéner le bien transféré. Ce faisant, il renonce à exercer pleinement ses prérogatives de propriétaire - il renonce à une partie de l'abusus. Mais le droit du fiduciaire est différent. Il est ab initio d'une étendue délimitée par un contrat. A notre sens, l'analyse qu'il convient de faire de la fiducie n'est pas celle d'un transfert de propriété limité par un droit personnel dont serait débiteur le fiduciaire, mais bien celle d'un droit réel à l'étendue limitée. Selon nous, la fiducie nous confronte à un démembrement sui generis du droit de propriété. * 83 V. C.cass, Req. 3 août 1915, arrêt « Clément Bayard ». * 84 Art. 2017 6° du Code civil. |
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