L'hypothèse de départ est la suivante :
L'alcoolique est dans l'incapacité d'élaborer la perte d'un objet
car celle-ci vient créer une frustration insupportable
Cette hypothèse se vérifie au vu des
données recueillies puisque les deux patients sont en effet dans
l'incapacité à élaborer la perte d'un objet car celle-ci
viendrait créer une frustration interne intense. En effet, la perte du
bon objet les inscrit dans une quête insatiable de restauration
narcissique : la renarcissisation est essentielle pour retrouver une
complétude narcissique. Mr B présente un manque narcissique et
Mme E un manque du sein maternel et de ce qu'il représente au niveau
identitaire. La quête de comblage et de substitution est donc
prégnante chez les patients puisqu'ils sont en quête de
réparation narcissique pour éviter l'angoisse
dépressive.
La perte n'est que très peu élaborable, il leur
faut donc substituer cette perte au plus vite : l'alcool leur a permis
d'accéder à ces buts dans la mesure où Mr B y trouvait
l'effet renarcissisant du toxique et Mme E les sensations liées à
la relation au sein maternel. Cette liquide substance viendrait alors
atténuer l'angoisse liée à la frustration du manque et de
la séparation.
Cependant, la particularité de Mme E est
également la frustration liée à sa problématique
oedipienne : la réalisation fantasmée des désirs
oedipiens. Ainsi, la patiente ne chercherait pas à combler un vide, mais
à réparer ce qui est en défaut dans son monde
interne : son but serait également d'obtenir réparation de
cette transgression imaginée de l'inceste en annulant celle-ci à
l'aide des effets anesthésiants et psychotropes de l'alcool. Dans ce
sens, elle ne chercherait pas seulement à substituer l'alcool au sein
perdu, mais aussi à faire disparaître cette part
défaillante du Soi. Il en va de même pour Mr B, puisque l'alcool
se substitue lui aussi à cette part défaillante du Moi pour
permettre de faire disparaître celle-ci.
Dans ce sens, l'alcool viendrait donc bien se substituer
à la perte d'un objet, mais cet objet n'est pas nécessairement
réel, il peut également être fantasmé. Le
fétiche, lui, s'édifierait face à la réalité
perceptive de la frustration, alors que les données recueillies montrent
que cette réalité peut également être subjective
(imaginée).
Je peux donc proposer la reformulation suivante :
L'alcoolique est dans l'incapacité d'élaborer la
perte réelle ou fantasmée d'un objet car celle-ci vient
créer une frustration insupportable
5.2. DISCUSSION ET REFORMULATION DE L'HYPOTHESE
2
L'hypothèse de départ est la suivante :
L'alcoolique poursuivrait le même but que le
fétichiste : lutter contre une menace de castration narcissique en
déniant partiellement la réalité.
Les deux patients sont tous deux ancrés dans une
angoisse de castration : ils se sentent en effet menacés dans leur
intégrité narcissique. Mr B dit souffrir d'un sentiment de
faiblesse et Mme E est en quête de l'amour d'autrui. Cependant, comme
j'ai pu le repérer dans l'analyse qualitative des données, la
nature de l'angoisse est différente chez nos deux patients.
En effet, Mr B est tyrannisé par une angoisse de
castration narcissique : durant l'enfance, il n'a pu construire une image
de lui-même positive. Le père agressif et buveur lui a
renvoyé une image négative de lui-même, ne permettant pas
une unification satisfaisante de son Moi. Ecrasé par la toute-puissance
du père, le patient s'est englouti dans un sentiment de faiblesse et
d'impuissance qu'il n'a jamais pu élaborer et dépasser. Ainsi, la
symbolique de la fonction paternelle est castratrice : le
Nom-du-Père (Lacan) n'est pas intégré mais forclos et
dénié de façon partielle. Le patient cherche à se
venger de ce père tout-puissant en tentant de lui dérober cette
qualité par introjection : il boit comme lui et devient agressif
comme lui (donc aussi fort que lui). Cependant, ces qualités
incorporées sont insupportables pour lui puisqu'elles lui rappellent le
traumatisme originaire duquel il souffre. Mr B est ancré dans une
angoisse de castration phallique contre laquelle il tente de triompher, mais en
vain car cette vengeance même lui rappelle que ce triomphe est
impossible.
Mme E, quant à elle, est ancrée dans une
angoisse de castration génitale car l'accès à la fonction
maternelle lui donnerait l'impression d'avoir supplanter la mère et
obtenu du père un enfant. Les désirs oedipiens sont donc
conçus par elle comme réalisés et l'interdit de l'inceste
comme transgressé. Ceci crée alors une angoisse
intolérable puisqu'elle est tyrannisée par la sentence
sous-jacente à cette réalisation fantasmée de
l'inceste : la castration génitale, puis phallique (ce que
représente symboliquement le pénis pour son narcissisme). Elle
tente de se dédommager de cette faute imaginée en
réinvestissant un nouvel objet (l'amant) et pour se donner l'illusion
d'avoir réparé cette faute, elle aurait introjecté un
attribut de cet amant : en devenant alcoolique comme ce dernier, elle
continue à conserver ce lien à lui, comme pour prouver que son
amour n'est plus dirigé vers le père, mais vers cet autre homme.
Cependant, cela ne semble pas suffisant pour atténuer son angoisse. En
effet, l'acte de boire rappelle à lui seul cette transgression de
l'inceste vis-à-vis de laquelle elle tente de se dédommager.
Mr B et Mme E sont donc bien ancrés dans une angoisse
de castration mais celles-ci sont de nature différentes : elles
sont en lien avec les problématiques qui leur sont spécifiques
(Mr B, l'homosexualité, Mme E, névrose obsessionnelle
compulsive). Tous deux, cependant, tentent de se dédommager des menaces
sous-jacentes à leurs structures. Dans ce sens, la nature de l'angoisse
est différente mais la stratégie défensive est la
même, du moins, du point de vue du déni partiel : une partie
du Moi oeuvre à triompher de cette menace en tentant de faire comme si
elle n'avait pas lieu tandis que l'autre la reconnaît.
Ainsi, j'apporterai le remaniement suivant concernant la
première hypothèse : L'alcoolique et le
fétichiste poursuivent le même but : dénier
partiellement la réalité pour lutter contre les angoisses qui
leur sont propres.
5.4. TABLEAU RECAPITULATIF DE LA DISCUSSION DES
HYPOTHESES
|
Hypothèse 1
|
Hypothèse 2
|
|
Critère 1 : Intolérance de la
frustration
|
Critère 2 : Incapacité de deuil
et de séparation
|
Critère 3 : L'angoisse de
castration
|
Critère 4 : Le déni
partiel
|
Mr B
|
Le fantasme
|
Le Nom-du-Père
|
Angoisse de castration narcissique
|
La réalité
|
Mme E
|
La réalité
|
L'enfant du père et la mère rivale
|
Angoisse de castration génitale
|
Le fantasme
|
CONCLUSION
L'alcoolisme peut être comparé au
fétichisme dans la mesure où l'alcool vient, comme le
fétiche, se substituer à la perte d'un objet. La position
mélancolique se retrouve tant chez le fétichiste que chez
l'alcoolique puisque tous deux présentent une capacité de deuil
et de séparation défaillante. Tout comme le fétiche,
l'alcool permettrait de dénier partiellement la
réalité : une partie du Moi la reconnaîtrait tandis
que l'autre continuerait à faire comme si elle n'existait pas. De ce
fait, l'alcool possèderait les mêmes pouvoirs magiques que le
fétiche : il permettrait de faire exister ce qui est pourtant
réellement perdu. L'angoisse dépressive est ainsi
évincée dans les deux cas.
Cependant, l'objet à la source de la frustration chez
le fétichiste (le sexe féminin) n'est pas le même chez
l'alcoolique puisque l'alcoolisme est un trouble du comportement. Il n'est donc
pas spécifique à un type précis de structure
psychologique : les structures psychotique, limite, névrotique ou
encore perverse peuvent être concernées par l'alcoolisme. Pour Mr
B (perversion sexuelle), la frustration est celle de l'identification primaire
à la symbolique d'une fonction paternelle peu structurante, tandis que
Mme E (névrose obsessionnelle) est frustrée par la
réalité qu'elle ne peut contrôler et les objets d'amour
oedipiens. Mes rencontres avec les patients alcooliques m'ont permis de
vérifier encore et encore ce lien entre structure psychique et objet de
frustration spécifique. Et il est dommage que le temps imparti pour la
réalisation de ce travail n'ait pu me permettre d'exposer cela.
Il en va de même concernant l'angoisse contre laquelle
lutte l'alcoolique : elle dépend de la structure qui
caractérise le patient en question. Ainsi, Mme E est-elle hantée
par une angoisse de castration génitale et Mr B par une angoisse de
castration phallique. Le déni partiel est donc lui aussi
dépendant de la structure singulière au patient alcoolique :
Mr B dénie partiellement la réalité d'un père
castrateur et Mme E contre la réalité fantasmée de la
transgression de l'interdit de l'inceste.
Quoiqu'il en soit, cette recherche clinique a pu me montrer en
quoi l'objet ou la spécificité de l'addiction en question
justifie sa singularité sémiologique et nosographique. Mais elle
a pu également montrer qu'au-delà de ces objets et
spécificités, des liens peuvent être réalisés
entre deux formes d'addiction du point de vue des processus de
pensée : l'alcoolique et le fétichiste chercheraient
à luter contre une frustration menaçant leur
intégrité narcissique et identitaire.
Cependant, neuf mois d'étude n'on pas suffit à
satisfaire ma curiosité sur ce point car je pourrais interroger le lien
entre l'alcoolisme et d'autres formes de perversions sexuelles ou avec d'autres
addictions (boulimie avec vomissements par exemple).
Je ne peux donc prétendre avoir achevé cette
étude, ni même l'achever un jour, tant les questionnements en
appellent d'autres... Cette étude comparative entre l'alcoolisme et le
fétichisme, ou d'autres perversions sexuelles, pourrait faire l'objet
d'un projet de doctorat, que j'envisage d'entamer à la fin de cette
formation professionnelle.
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