CHAPITRE 3 : METHODOLOGIE
3.1 METHODOLOGIE DU RECUEIL DE DONNEES
3.1.1. Choix de la méthode
qualitative
Soumettre une passation de tests, échelles, etc.,
à un patient sous-entend que le clinicien lui suggère un
thème particulier sur lequel il doit projeter son monde interne. Cette
démarche m'apparaît comme étant un biais sur la
spontanéité et l'authenticité du patient :
« Le patient qui accepte de participer à une recherche
peut être plus impliqué que nous le pensons : les
phénomènes de suggestibilité, de majoration des
résultats, de recherche de
« désirabilité », peuvent avoir un effet et
concourir au maintien ou à l'extension d'une symptomatologie faisant
l'objet d'une recherche ou interagissant avec son objet »
(Pédinielli J.L., 2005, p. 118). Ainsi, la clinique
« armée » me semble trop peu
appropriée pour atteindre mon objectif principal.
Mon but n'est pas l'objectivation et la recherche de la
validité d'un résultat obtenu par le suivi rigoureux d'un
protocole. Au contraire, j'aspire à me rapprocher autant que possible de
la subjectivité et de la singularité du patient. Et il me semble
que la clinique « à mains nues » est
adaptée, puisqu'elle consiste à recueillir un faisceau
d'éléments permettant l'étude de la dynamique, de la
genèse et de la totalité de l'individu. Il ne s'agit donc en
aucun cas d'une recherche expérimentale, au protocole rigidement
construit dans le but d'obtenir un résultat valide, mais d'une recherche
planifiée et non-objectivante.
3.1.2. Technique de recueil : l'entretien
clinique
3.1.2.1. Types d'entretiens :
semi-directivité et non-directivité
Recueil d'informations générales
sur les patients : orientation semi-directive
Afin d'obtenir une vue d'ensemble sur le patient dès
le début du suivi, j'opte pour un entretien structuré sur un mode
semi-directif. Cette vue d'ensemble me paraît essentielle pour
l'orientation du suivi psychothérapeutique que je vise lors de mes
entretiens. Les données émanant de cette première phase
permettent de structurer la présentation globale du cas et de saisir la
demande de celui-ci, demande importante pour déterminer le suivi du
patient. Etablir une liste préalable de thèmes devant être
abordés par les patients devient alors importante et nécessaire
pour mener à bien les entretiens d'entrée.
Je résumerai cette liste sous la forme d'un tableau et
j'illustrerai par des exemples d'interventions de ma part, sachant que
celles-ci sont variables et modifiables en fonction du climat de confiance
établi durant l'entretien et les résistances du patient.
Thème
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Intervention
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Motivations
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Qu'est-ce qui vous amené à réaliser cette
cure ?
|
Circonstances de l'hospitalisation
|
Qui a été à l'initiative de cette
hospitalisation ?
Qui a demandé cette hospitalisation ?
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Durée du trouble addictif
|
Depuis combien de temps pensez-vous être concerné
par ce problème d'alcool ?
|
Organisation du trouble dans le quotidien
|
Pouvez-vous me décrire votre consommation d'alcool
(durée, fréquence, etc.) ?
|
Théorie personnelle du patient concernant son
trouble
|
Comment avez-vous compris que votre consommation d'alcool est
pathologique ?
Quel est, selon vous, la nature de votre dépendance
(physique, psychologique, etc.) ?
Avec quoi mettez-vous en lien votre consommation
régulière d'alcool ?
|
Antécédents psychiatriques, familiaux,
sociaux, etc.
|
S'agit-il de votre première cure ou tentative de
sevrage ?
D'autres personnes (amis, famille, par exemple) sont-elles
concernées par un problème d'alcool ?
|
Situation actuelle
|
Où en êtes-vous aujourd'hui, dans votre vie
(affective, professionnelle, sociale, médicale, etc.) ?
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Appréhension du regard d'Autrui
|
Votre entourage est-il informé de votre
hospitalisation ?
Que pensez-vous du regard des autres sur votre
consommation ?
|
Demande et attentes
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Qu'attendez-vous de cette cure et du suivi qui vous est
proposé ?
|
Recueil d'informations singulières sur les
patients : orientation non-directive
Comme je l'expliquais plus haut, mon objectif est de me
rapprocher tant que possible se peut de la singularité du patient. Pour
cela, il me semble nécessaire d'être au plus proche de la
spontanéité et de l'authenticité de ce dernier. Le climat
de confiance présente alors une importance particulière, d'autant
plus qu'il est le principe fondamental de l'orientation non-directive d'un
entretien clinique.
De cette manière, j'ai été amenée
à réfléchir longuement sur les attitudes étant les
plus favorables à l'introduction de ce climat ; réflexion
orientée par la définition de Abric J.C. (2004, p. 44) :
« Fondamentalement, la non-directivité repose sur
l'instauration d'un climat particulier à quatre dimensions :
acceptation inconditionnelle de l'autre, neutralité bienveillante,
authenticité et empathie ». Devant accueillir le discours
du patient dans sa totalité, je dois accepter de n'émettre aucun
jugement de valeur sur ce que le patient exprime et n'exprime pas. Une
activité d'écoute active est également essentielle pour
témoigner au patient mon intérêt
désintéressé que je lui porte. Le soutien empathique prend
donc ici toute sa valeur puisque mes interventions verbales et non-verbales
permettront de manifester ma présence attentive et active et permettront
également d'amener le patient à enrichir son élaboration
discursive.
3.1.2.2. Apports psychanalytiques dans l'entretien
avec un patient alcoolique
Sensation de paralysie psychique
Comme le souligne Descombey J.P. (2005, pp. 50/59), les
patients communiquent au clinicien l'impression d'une
« stagnation de tout processus psychique, d'immobilisation, de
mort interne, qui passe du discours du patient au ressenti de l'analyste en
perte de vitalité et atteint dans son narcissisme de thérapeute
qui ressent douloureusement une perte de la capacité-même à
associer ». Axée sur le discours du patient, il a
été parfois difficile d'en saisir le sens in vivo. L'attention
flottante n'a pas été une attitude rare de ma part face au
processus alexithymique, ni même le sentiment d'ennui face à des
discours souvent emplis de banalités, d'éléments factuels
semblant dénués de signification et d'affect. Prendre du recul en
me positionnant dans une reprise après-coup de ce qui a
été recueilli est resté la meilleure stratégie pour
que je parvienne à trouver une quelconque signification au
matériel verbal et non-verbal. Garder en conscience que, derrière
cette apparente banalité, se cache un matériel riche pour
accéder à l'organisation psychopathologique du patient, est
resté mon outil principal pour lutter contre ces
phénomènes d'attention flottante et d'ennui.
Acceptation inconditionnelle de l'autre :
les silences
L'orientation non-directive d'un entretien sous-entend que le
clinicien accepte ce que le patient lui dit, mais aussi et surtout, ce qu'il ne
lui dit pas (les silences). Cette tâche n'a pas toujours
été chose aisée puisque certains silences, vides ou
pleins, résonnait souvent, en ma propre personne, sous une forme
négative : impression de vide intense. Sentiment massif d'angoisse,
donc, émanant de ces silences et rendant ces moments potentiellement
mortifères et traducteurs d'une détresse psychique liée
à l'émergence accrue d'angoisses archaïques. Afin de lutter
contre ce transfert diffracté, j'ai chaque fois tenté de prendre
sur moi, en me convainquant moi-même que ces ruptures du processus
discursif constituent un retour introspectif sur soi.
Acceptation inconditionnelle de la maladie
alcoolique : les rechutes
Mes entretiens visant en premier lieu la clinique, mon
objectif se centrait donc sur le soulagement du patient en souffrance et sur
l'amélioration de son état. Or, un sentiment d'impuissance
vis-à-vis de la maladie alcoolique persistait de façon
omniprésente : quelque soit le suivi et les stratégies mises
en place, la rechute était chose presque récurrente. Pour
illustrer au mieux cette difficulté, je citerai Descombey J.P. (2005,
pp. 50/59) : « Il [le thérapeute] souffre d'un
sentiment d'incapacité à aider son patient à être
« plus vivant ». Culpabilité, parfois même, de
ne percevoir aucun progrès, aucun enrichissement dans le contenu des
séances, (...). Au pire, c'est une impression d'impasse : faut-il
vraiment continuer ? ». Faire le deuil de mes attentes (la
guérison du patient et ma capacité à l'y amener) en
acceptant les réalités du trouble addictif.
3.1.3. Réflexion sur l'éthique de la
clinique
3.1.3.1. Ethique et recherche
Il m'apparaît nécessaire de
réfléchir à l'éthique puisque je m'inscris dans la
recherche sur le comportement humain et dans l'exercice professionnel du
psychologue clinicien. En tant que chercheur, il m'a fallu accepter les enjeux
de ma « contribution à l'amélioration de la condition
humaine, individuelle et sociale ». C'est de cette acceptation des
responsabilités que je devais endosser que j'ai veillé à
adopter un comportement éthiquement, moralement et
déontologiquement admis : consentement libre, éclairé
et révocable du patient ; recherche intelligible par le patient et
lui étant utile. En tant que praticienne en milieu clinique,
au-delà de ma fonction thérapeutique, la protection du
patient : le secret professionnel concernant l'intimité des
patients. « Le respect de la personne humaine dans sa dimension
psychique, (...) [est] un droit inaliénable », mais en
même temps, il reste complexe. Ne pas bafouer ce point du code de
déontologie, il me faut en effet veiller au « respect
absolu de l'anonymat » afin qu'aucune identification directe ne
soit possible. Cependant, le secret professionnel que j'ai pu partager avec la
psychologue responsable de mon stage pratique va interférer sur
l'anonymat des cas traités ici dans cette étude.
3.1.3.2. But des entretiens et du recueil de
données
Entretiens cliniques et entretiens de recherche ne me
paraissent pas incompatibles puisque tous deux visent l'instauration d'un cadre
favorable à l'émergence de phénomènes inconscients.
Là où clinique et recherche divergent, c'est dans le traitement
des données : dans un objectif de recherche, l'analyse porte sur
l'entretien clinique. Le recueil de données ne vise en aucun cas la
satisfaction d'une curiosité personnelle sur un point particulier me
concernant ou concernant un proche ni, non plus, de réduire mes patients
à des objets d'étude. Je ma place dans l'objectif d'apporter un
ensemble de connaissances et de produire un savoir
« nouveau » avec un champ d'application (possible et
limité).
3.1.4. Méthodologie du recueil de
données concernant mes hypothèses de recherche
3.1.4.1. Données issues du
patient
Le matériel sur lequel je me suis concentrée est
le suivant :
- Récit d'évènements de vie (but :
anamnèse)
- Ce que le patient dit de sa relation de dépendance
(but : relation d'objet)
- Les bénéfices verbalisés par le patient
concernant sa consommation (but : rôle de l'objet)
- Ce que le patient dit sur son état interne actuel,
passé et futur (but : la nature des angoisses et dynamique
intra-psychique)
3.1.4.2. Données issues des observations de
l'équipe soignante et de mes propres observations
Les observations recueillies auprès de l'équipe
soignante ont souvent été utiles pour orienter mon suivi. En
fonction du dossier de suivi infirmier, psychiatrique et médical au sens
large, j'ai pu trouver quelques pistes pour orienter mon appréhension du
cas. Cependant, je préférais garder du recul par rapport à
ces données, sachant que le point de vue subjectif et les
réactions contre-transférentielles de chacun les
déterminent beaucoup.
Ainsi, je ne garde ces éléments qu'à but
informatif sur l'évolution du patient entre deux entretiens. Mes
observations directes portent sur ce que le patient exprime et n'exprime
pas : pourquoi, comment et dans quel but parle-t-il de cette chose en
particulier ? Je reste également attentive à
l'émergence des résistances durant les rencontres car elles
constituent, selon moi, un matériel riche vis-à-vis de la nature
des angoisses et des processus psycho-dynamiques en jeu. Portant mon regard
clinique sur la problématique du vide et sur les angoisses liées
aux menaces narcissiques, je cherche à repérer les
éléments suivants :
- L'alcool en tant que substitut d'un objet absent
- La relation entretenue entre le patient et l'alcool en tant
que possible reproduction d'un lien primordial rompu
- L'alcool en tant qu'objet de réparation
narcissique
- La faille narcissique et le conflit topique à la
source de l'angoisse
3.1.5. Biais méthodologiques
Absence de recueil in vivo des
données
La psychologue référente de ma pratique
clinique n'a autorisé ni prise de notes ni enregistrement vocal des
entretiens, ce qui aurait pu facilité la retranscription exacte des
données. L'absence de ces outils a joué favorablement dans la
relation thérapeutique en elle-même, le climat de confiance ayant
pu être protégé de cette façon. Cependant, elle a
rendu la retranscription difficile car j'ai été contrainte
à faire appel à ma mémoire à court et moyen termes.
La restitution du matériel comporte donc certaines lacunes, oublis
d'éléments renforcés par la sélection inconsciente
des données durant le face à face.
Biais clinique de la recherche
Au fur et à mesure que se formulaient ma
problématique et mes hypothèses, j'ai été
confrontée au biais clinique de la recherche. J'ai conscience que mes
observations directes et leur restitution sont orientées inconsciemment
dans la direction de ma recherche. De plus, la problématique du vide
comblé par l'alcool et l'apparition du trouble addictif chaque fois
qu'il y a menace narcissique, restent deux axes-clé autour desquels le
clinicien travaille déjà en entretien classique avec le patient
alcoolique.
3.2. METHODOLOGIE DU TRAITEMENT DES
DONNEES
3.2.1. Mise en forme sous trois colonnes
Il va de soi que le traitement des données recueillies
dépend de ma manière de retranscrire ce que les patients ont
exprimé durant les entretiens et ce qui s'est joué dans la
relation intersubjective. Pour parvenir à produire des
éléments intelligibles, il est nécessaire de se baser sur
des faits bruts. J'utilise la technique de prise de notes proposée par
Gimenez G., technique consistant à répartir les données en
trois catégories : éléments verbaux et non-verbaux,
réactions contre-transférentielles et hypothèses. J'ai
pris l'initiative d'ajouter une quatrième colonne : les
thématiques du discours. Quant à la relation intersubjective, je
pense que mes retranscriptions d'entretiens en diront beaucoup par
elles-mêmes. Ma prise de notes se réalisant dans
l'après-coup, elle est donc modulée en fonction de mes
sélections mnésiques et inconscientes.
Colonne 1 : matériel verbal /
non-verbal
Les données verbales rassemblent les dires des
patients, et les données non-verbales, les actes, les mimiques, les
gestes, etc., de ces derniers. La mise en lien de ces deux types de
matériel clinique permet de rendre compte de ce qui est observable, dans
son ensemble, à un moment donné d'un entretien. Recueil du
discours du patient dans sa totalité, donc, mais également du
mien pour mettre en relief la dynamique de la rencontre intersubjective.
Colonne 2 : Réactions
contre-transférentielles
La question du contre-transfert se pose dès lors que
l'on parle d'entretien, qu'il soit clinique ou autre. Les réactions
contre-transférentielles désignent les émotions,
l'angoisse, les questionnements, etc., qui envahissent le clinicien durant son
entretien avec un patient. Mes réactions sont retranscrites sous la
forme la plus spontanée et authentique que possible afin de rendre
compte de ce que j'ai pu renvoyer à certains patients à un moment
donné d'une rencontre, et ce qui a déterminé mon rapport
à ceux-ci.
Colonne 3 :
hypothèses
Ici, il s'agit de problématiser ce qui émane
des données recueillies et de mon ressenti par rapport à
celles-ci. Cette colonne porte donc sur la mise en hypothèse
d'éléments psychopathologiques, de processus psychiques et de
sémiologie observable in vivo via mes observations ou celles de
l'équipe soignante.
3.2.2. Procédure de dépouillement :
le repérage psychopathologique à travers...
3.2.2.1. L'analyse thématique du
discours
« L'analyse thématique est avant tout
descriptive et peut-être associée à d'autres modes de
dépouillement. Elle correspond à une complexification de la
question simple : de quoi parle le sujet ? »
(Pédinielli J.L., 2005, p. 115). Suite au découpage du
matériel verbal / non-verbal en thèmes, je procède par une
analyse des relations qu'ils entretiennent entre eux. Cette démarche me
permet de mettre en lien la signification de ces données avec mes
hypothèses de travail : la hantise du manque et le substitut ;
la menace narcissique et le recours à l'alcool comme moyen
défensif contre celle-ci.
3.2.2.2. L'anamnèse du patient et ses
résistances actuelles
« L'anamnèse (...) permet le recueil des
informations sur l'existence antérieure du patient »
(Pédinielli J.L. & Fernandez L., 2005, p. 85). Ces données
sont utiles pour obtenir une vue d'ensemble sur le cas mais également
pour voir dans quelle mesure la situation actuelle du patient est ou non en
lien avec certaines périodes de sa vie. De plus, en fonction de ce qu'il
rapporte sur ses évènements de vie et sur la manière dont
il pense les avoir vécu, les mécanismes défensifs
observables et les thématiques récurrentes du discours
émergeant en entretien peuvent prendre sens grâce aux
données anamnéstiques. Ce matériel est recueilli tant in
vivo durant les rencontres que par les dossiers de suivi des patients, que par
les données rapportées par l'équipe soignante à ce
sujet.
3.2.2.3. Transfert et
contre-transfert
« Toute relation repose sur l'attribution
à l'autre d'éléments de ce que l'on est, de ce que l'on a
été, de ce que l'on voudrait être (et ne pas être)...
mais aussi des propriétés, d'attributs qui peuvent
refléter quelque chose du sujet » (Pédinielli J.L.
& Fernandez L., 2005, p. 114). Il semble que l'entretien clinique prenne sa
signification dans l'étude de ce que le patient déplace vers le
thérapeute et vice versa. Ce matériel est riche en informations
concernant la nature des relations d'objet entretenue par le patient avec son
environnement et également concernant l'usage qu'il fait du monde
extérieur pour lutter contre certaines de ses angoisses.
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