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L'alcoolique et son fétiche

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par Sandra SOUILLAT
Université de Provence - Master 1 pro psychologie clinique et psychopathologie 2006
  

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CHAPITRE 3 : METHODOLOGIE

3.1 METHODOLOGIE DU RECUEIL DE DONNEES

3.1.1. Choix de la méthode qualitative

Soumettre une passation de tests, échelles, etc., à un patient sous-entend que le clinicien lui suggère un thème particulier sur lequel il doit projeter son monde interne. Cette démarche m'apparaît comme étant un biais sur la spontanéité et l'authenticité du patient : « Le patient qui accepte de participer à une recherche peut être plus impliqué que nous le pensons : les phénomènes de suggestibilité, de majoration des résultats, de recherche de « désirabilité », peuvent avoir un effet et concourir au maintien ou à l'extension d'une symptomatologie faisant l'objet d'une recherche ou interagissant avec son objet » (Pédinielli J.L., 2005, p. 118). Ainsi, la clinique « armée » me semble trop peu appropriée pour atteindre mon objectif principal.

Mon but n'est pas l'objectivation et la recherche de la validité d'un résultat obtenu par le suivi rigoureux d'un protocole. Au contraire, j'aspire à me rapprocher autant que possible de la subjectivité et de la singularité du patient. Et il me semble que la clinique « à mains nues » est adaptée, puisqu'elle consiste à recueillir un faisceau d'éléments permettant l'étude de la dynamique, de la genèse et de la totalité de l'individu. Il ne s'agit donc en aucun cas d'une recherche expérimentale, au protocole rigidement construit dans le but d'obtenir un résultat valide, mais d'une recherche planifiée et non-objectivante.

3.1.2. Technique de recueil : l'entretien clinique

3.1.2.1. Types d'entretiens : semi-directivité et non-directivité

Recueil d'informations générales sur les patients : orientation semi-directive

Afin d'obtenir une vue d'ensemble sur le patient dès le début du suivi, j'opte pour un entretien structuré sur un mode semi-directif. Cette vue d'ensemble me paraît essentielle pour l'orientation du suivi psychothérapeutique que je vise lors de mes entretiens. Les données émanant de cette première phase permettent de structurer la présentation globale du cas et de saisir la demande de celui-ci, demande importante pour déterminer le suivi du patient. Etablir une liste préalable de thèmes devant être abordés par les patients devient alors importante et nécessaire pour mener à bien les entretiens d'entrée.

Je résumerai cette liste sous la forme d'un tableau et j'illustrerai par des exemples d'interventions de ma part, sachant que celles-ci sont variables et modifiables en fonction du climat de confiance établi durant l'entretien et les résistances du patient.

Thème

Intervention

Motivations

Qu'est-ce qui vous amené à réaliser cette cure ?

Circonstances de l'hospitalisation

Qui a été à l'initiative de cette hospitalisation ?

Qui a demandé cette hospitalisation ?

Durée du trouble addictif

Depuis combien de temps pensez-vous être concerné par ce problème d'alcool ?

Organisation du trouble dans le quotidien

Pouvez-vous me décrire votre consommation d'alcool (durée, fréquence, etc.) ?

Théorie personnelle du patient concernant son trouble

Comment avez-vous compris que votre consommation d'alcool est pathologique ?

Quel est, selon vous, la nature de votre dépendance (physique, psychologique, etc.) ?

Avec quoi mettez-vous en lien votre consommation régulière d'alcool ?

Antécédents psychiatriques, familiaux, sociaux, etc.

S'agit-il de votre première cure ou tentative de sevrage ?

D'autres personnes (amis, famille, par exemple) sont-elles concernées par un problème d'alcool ?

Situation actuelle

Où en êtes-vous aujourd'hui, dans votre vie (affective, professionnelle, sociale, médicale, etc.) ?

Appréhension du regard d'Autrui

Votre entourage est-il informé de votre hospitalisation ?

Que pensez-vous du regard des autres sur votre consommation ?

Demande et attentes

Qu'attendez-vous de cette cure et du suivi qui vous est proposé ?

Recueil d'informations singulières sur les patients : orientation non-directive

Comme je l'expliquais plus haut, mon objectif est de me rapprocher tant que possible se peut de la singularité du patient. Pour cela, il me semble nécessaire d'être au plus proche de la spontanéité et de l'authenticité de ce dernier. Le climat de confiance présente alors une importance particulière, d'autant plus qu'il est le principe fondamental de l'orientation non-directive d'un entretien clinique.

De cette manière, j'ai été amenée à réfléchir longuement sur les attitudes étant les plus favorables à l'introduction de ce climat ; réflexion orientée par la définition de Abric J.C. (2004, p. 44) : « Fondamentalement, la non-directivité repose sur l'instauration d'un climat particulier à quatre dimensions : acceptation inconditionnelle de l'autre, neutralité bienveillante, authenticité et empathie ». Devant accueillir le discours du patient dans sa totalité, je dois accepter de n'émettre aucun jugement de valeur sur ce que le patient exprime et n'exprime pas. Une activité d'écoute active est également essentielle pour témoigner au patient mon intérêt désintéressé que je lui porte. Le soutien empathique prend donc ici toute sa valeur puisque mes interventions verbales et non-verbales permettront de manifester ma présence attentive et active et permettront également d'amener le patient à enrichir son élaboration discursive.

3.1.2.2. Apports psychanalytiques dans l'entretien avec un patient alcoolique

Sensation de paralysie psychique

Comme le souligne Descombey J.P. (2005, pp. 50/59), les patients communiquent au clinicien l'impression d'une « stagnation de tout processus psychique, d'immobilisation, de mort interne, qui passe du discours du patient au ressenti de l'analyste en perte de vitalité et atteint dans son narcissisme de thérapeute qui ressent douloureusement une perte de la capacité-même à associer ». Axée sur le discours du patient, il a été parfois difficile d'en saisir le sens in vivo. L'attention flottante n'a pas été une attitude rare de ma part face au processus alexithymique, ni même le sentiment d'ennui face à des discours souvent emplis de banalités, d'éléments factuels semblant dénués de signification et d'affect. Prendre du recul en me positionnant dans une reprise après-coup de ce qui a été recueilli est resté la meilleure stratégie pour que je parvienne à trouver une quelconque signification au matériel verbal et non-verbal. Garder en conscience que, derrière cette apparente banalité, se cache un matériel riche pour accéder à l'organisation psychopathologique du patient, est resté mon outil principal pour lutter contre ces phénomènes d'attention flottante et d'ennui.

Acceptation inconditionnelle de l'autre : les silences

L'orientation non-directive d'un entretien sous-entend que le clinicien accepte ce que le patient lui dit, mais aussi et surtout, ce qu'il ne lui dit pas (les silences). Cette tâche n'a pas toujours été chose aisée puisque certains silences, vides ou pleins, résonnait souvent, en ma propre personne, sous une forme négative : impression de vide intense. Sentiment massif d'angoisse, donc, émanant de ces silences et rendant ces moments potentiellement mortifères et traducteurs d'une détresse psychique liée à l'émergence accrue d'angoisses archaïques. Afin de lutter contre ce transfert diffracté, j'ai chaque fois tenté de prendre sur moi, en me convainquant moi-même que ces ruptures du processus discursif constituent un retour introspectif sur soi.

Acceptation inconditionnelle de la maladie alcoolique : les rechutes

Mes entretiens visant en premier lieu la clinique, mon objectif se centrait donc sur le soulagement du patient en souffrance et sur l'amélioration de son état. Or, un sentiment d'impuissance vis-à-vis de la maladie alcoolique persistait de façon omniprésente : quelque soit le suivi et les stratégies mises en place, la rechute était chose presque récurrente. Pour illustrer au mieux cette difficulté, je citerai Descombey J.P. (2005, pp. 50/59) : « Il [le thérapeute] souffre d'un sentiment d'incapacité à aider son patient à être « plus vivant ». Culpabilité, parfois même, de ne percevoir aucun progrès, aucun enrichissement dans le contenu des séances, (...). Au pire, c'est une impression d'impasse : faut-il vraiment continuer ? ». Faire le deuil de mes attentes (la guérison du patient et ma capacité à l'y amener) en acceptant les réalités du trouble addictif.

3.1.3. Réflexion sur l'éthique de la clinique

3.1.3.1. Ethique et recherche

Il m'apparaît nécessaire de réfléchir à l'éthique puisque je m'inscris dans la recherche sur le comportement humain et dans l'exercice professionnel du psychologue clinicien. En tant que chercheur, il m'a fallu accepter les enjeux de ma « contribution à l'amélioration de la condition humaine, individuelle et sociale ». C'est de cette acceptation des responsabilités que je devais endosser que j'ai veillé à adopter un comportement éthiquement, moralement et déontologiquement admis : consentement libre, éclairé et révocable du patient ; recherche intelligible par le patient et lui étant utile. En tant que praticienne en milieu clinique, au-delà de ma fonction thérapeutique, la protection du patient : le secret professionnel concernant l'intimité des patients. « Le respect de la personne humaine dans sa dimension psychique, (...) [est] un droit inaliénable », mais en même temps, il reste complexe. Ne pas bafouer ce point du code de déontologie, il me faut en effet veiller au « respect absolu de l'anonymat » afin qu'aucune identification directe ne soit possible. Cependant, le secret professionnel que j'ai pu partager avec la psychologue responsable de mon stage pratique va interférer sur l'anonymat des cas traités ici dans cette étude.

3.1.3.2. But des entretiens et du recueil de données

Entretiens cliniques et entretiens de recherche ne me paraissent pas incompatibles puisque tous deux visent l'instauration d'un cadre favorable à l'émergence de phénomènes inconscients. Là où clinique et recherche divergent, c'est dans le traitement des données : dans un objectif de recherche, l'analyse porte sur l'entretien clinique. Le recueil de données ne vise en aucun cas la satisfaction d'une curiosité personnelle sur un point particulier me concernant ou concernant un proche ni, non plus, de réduire mes patients à des objets d'étude. Je ma place dans l'objectif d'apporter un ensemble de connaissances et de produire un savoir « nouveau » avec un champ d'application (possible et limité).

3.1.4. Méthodologie du recueil de données concernant mes hypothèses de recherche

3.1.4.1. Données issues du patient

Le matériel sur lequel je me suis concentrée est le suivant :

- Récit d'évènements de vie (but : anamnèse)

- Ce que le patient dit de sa relation de dépendance (but : relation d'objet)

- Les bénéfices verbalisés par le patient concernant sa consommation (but : rôle de l'objet)

- Ce que le patient dit sur son état interne actuel, passé et futur (but : la nature des angoisses et dynamique intra-psychique)

3.1.4.2. Données issues des observations de l'équipe soignante et de mes propres observations

Les observations recueillies auprès de l'équipe soignante ont souvent été utiles pour orienter mon suivi. En fonction du dossier de suivi infirmier, psychiatrique et médical au sens large, j'ai pu trouver quelques pistes pour orienter mon appréhension du cas. Cependant, je préférais garder du recul par rapport à ces données, sachant que le point de vue subjectif et les réactions contre-transférentielles de chacun les déterminent beaucoup.

Ainsi, je ne garde ces éléments qu'à but informatif sur l'évolution du patient entre deux entretiens. Mes observations directes portent sur ce que le patient exprime et n'exprime pas : pourquoi, comment et dans quel but parle-t-il de cette chose en particulier ? Je reste également attentive à l'émergence des résistances durant les rencontres car elles constituent, selon moi, un matériel riche vis-à-vis de la nature des angoisses et des processus psycho-dynamiques en jeu. Portant mon regard clinique sur la problématique du vide et sur les angoisses liées aux menaces narcissiques, je cherche à repérer les éléments suivants :

- L'alcool en tant que substitut d'un objet absent

- La relation entretenue entre le patient et l'alcool en tant que possible reproduction d'un lien primordial rompu

- L'alcool en tant qu'objet de réparation narcissique

- La faille narcissique et le conflit topique à la source de l'angoisse

3.1.5. Biais méthodologiques

Absence de recueil in vivo des données

La psychologue référente de ma pratique clinique n'a autorisé ni prise de notes ni enregistrement vocal des entretiens, ce qui aurait pu facilité la retranscription exacte des données. L'absence de ces outils a joué favorablement dans la relation thérapeutique en elle-même, le climat de confiance ayant pu être protégé de cette façon. Cependant, elle a rendu la retranscription difficile car j'ai été contrainte à faire appel à ma mémoire à court et moyen termes. La restitution du matériel comporte donc certaines lacunes, oublis d'éléments renforcés par la sélection inconsciente des données durant le face à face.

Biais clinique de la recherche

Au fur et à mesure que se formulaient ma problématique et mes hypothèses, j'ai été confrontée au biais clinique de la recherche. J'ai conscience que mes observations directes et leur restitution sont orientées inconsciemment dans la direction de ma recherche. De plus, la problématique du vide comblé par l'alcool et l'apparition du trouble addictif chaque fois qu'il y a menace narcissique, restent deux axes-clé autour desquels le clinicien travaille déjà en entretien classique avec le patient alcoolique.

3.2. METHODOLOGIE DU TRAITEMENT DES DONNEES

3.2.1. Mise en forme sous trois colonnes

Il va de soi que le traitement des données recueillies dépend de ma manière de retranscrire ce que les patients ont exprimé durant les entretiens et ce qui s'est joué dans la relation intersubjective. Pour parvenir à produire des éléments intelligibles, il est nécessaire de se baser sur des faits bruts. J'utilise la technique de prise de notes proposée par Gimenez G., technique consistant à répartir les données en trois catégories : éléments verbaux et non-verbaux, réactions contre-transférentielles et hypothèses. J'ai pris l'initiative d'ajouter une quatrième colonne : les thématiques du discours. Quant à la relation intersubjective, je pense que mes retranscriptions d'entretiens en diront beaucoup par elles-mêmes. Ma prise de notes se réalisant dans l'après-coup, elle est donc modulée en fonction de mes sélections mnésiques et inconscientes.

Colonne 1 : matériel verbal / non-verbal

Les données verbales rassemblent les dires des patients, et les données non-verbales, les actes, les mimiques, les gestes, etc., de ces derniers. La mise en lien de ces deux types de matériel clinique permet de rendre compte de ce qui est observable, dans son ensemble, à un moment donné d'un entretien. Recueil du discours du patient dans sa totalité, donc, mais également du mien pour mettre en relief la dynamique de la rencontre intersubjective.

Colonne 2 : Réactions contre-transférentielles

La question du contre-transfert se pose dès lors que l'on parle d'entretien, qu'il soit clinique ou autre. Les réactions contre-transférentielles désignent les émotions, l'angoisse, les questionnements, etc., qui envahissent le clinicien durant son entretien avec un patient. Mes réactions sont retranscrites sous la forme la plus spontanée et authentique que possible afin de rendre compte de ce que j'ai pu renvoyer à certains patients à un moment donné d'une rencontre, et ce qui a déterminé mon rapport à ceux-ci.

Colonne 3 : hypothèses

Ici, il s'agit de problématiser ce qui émane des données recueillies et de mon ressenti par rapport à celles-ci. Cette colonne porte donc sur la mise en hypothèse d'éléments psychopathologiques, de processus psychiques et de sémiologie observable in vivo via mes observations ou celles de l'équipe soignante.

3.2.2. Procédure de dépouillement : le repérage psychopathologique à travers...

3.2.2.1. L'analyse thématique du discours

« L'analyse thématique est avant tout descriptive et peut-être associée à d'autres modes de dépouillement. Elle correspond à une complexification de la question simple : de quoi parle le sujet ? » (Pédinielli J.L., 2005, p. 115). Suite au découpage du matériel verbal / non-verbal en thèmes, je procède par une analyse des relations qu'ils entretiennent entre eux. Cette démarche me permet de mettre en lien la signification de ces données avec mes hypothèses de travail : la hantise du manque et le substitut ; la menace narcissique et le recours à l'alcool comme moyen défensif contre celle-ci.

3.2.2.2. L'anamnèse du patient et ses résistances actuelles

« L'anamnèse (...) permet le recueil des informations sur l'existence antérieure du patient » (Pédinielli J.L. & Fernandez L., 2005, p. 85). Ces données sont utiles pour obtenir une vue d'ensemble sur le cas mais également pour voir dans quelle mesure la situation actuelle du patient est ou non en lien avec certaines périodes de sa vie. De plus, en fonction de ce qu'il rapporte sur ses évènements de vie et sur la manière dont il pense les avoir vécu, les mécanismes défensifs observables et les thématiques récurrentes du discours émergeant en entretien peuvent prendre sens grâce aux données anamnéstiques. Ce matériel est recueilli tant in vivo durant les rencontres que par les dossiers de suivi des patients, que par les données rapportées par l'équipe soignante à ce sujet.

3.2.2.3. Transfert et contre-transfert

« Toute relation repose sur l'attribution à l'autre d'éléments de ce que l'on est, de ce que l'on a été, de ce que l'on voudrait être (et ne pas être)... mais aussi des propriétés, d'attributs qui peuvent refléter quelque chose du sujet » (Pédinielli J.L. & Fernandez L., 2005, p. 114). Il semble que l'entretien clinique prenne sa signification dans l'étude de ce que le patient déplace vers le thérapeute et vice versa. Ce matériel est riche en informations concernant la nature des relations d'objet entretenue par le patient avec son environnement et également concernant l'usage qu'il fait du monde extérieur pour lutter contre certaines de ses angoisses.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus