2.1.2.2.2. Alcoolisme et capacité de
séparation
Il
semble que chez l'alcoolique la perte d'un objet soit inacceptable car
s'installerait alors un vide intérieur devant sans cesse être
rempli. C'est ce que Freud S. (1917) nomme « la position
mélancolique ». L'objet a été au départ
investi, mais d'une façon toute particulière : le Moi,
instance de l'appareil psychique, a été projeté dans
l'objet aimé. L'objet aimé est donc constitué d'une partie
du Moi et lorsque l'objet est perdu, le Moi se perds en même temps que
lui. La perte est donc insupportable puisque naît la sensation d'avoir
perdu une partie de Soi en même temps qu'est perdu l'objet. A ce propos,
De Mijolla A. et Shentoub S.A. (1973) citent Grunberg B. : « pour cet
auteur, l'objet perdu par désinvestissement, c'est le Moi lui-même
du sujet projeté ». Comme si le patient n'était pas
suffisamment consistant de l'intérieur (et sans doute se
perçoit-il ainsi), il lui faudrait sans cesse la présence d'un
Autre, afin de se reposer sur lui. Une partie, donc, sur laquelle il puisse
s'appuyer contre (anaclitisme) pour retrouver un sentiment de
« complétude narcissique » (Bergeret J., 2004, p.).
Sans cet Autre, le patient se verrait confronté au sentiment de
« perte (...), l'abandon qu'elle représente, [qui]
entraîne un effondrement dépressif, dépression
« anaclitique » plus que dépression
élaborée de perte d'objet » (Descombey JP., 2005, pp.
40/44). L'alcool viendrait alors remplacer cet Autre qui ferait défaut
à l'alcoolique. De cette façon, l'alcoolique deviendrait alors
alcoolo dépendant, c'est-à-dire qu'un lien d'amour se
créerait avec l'objet alcool. En effet, avec lui, l'alcoolo
dépendant pourrait reproduire le scénario qu'il aurait entretenu
jusqu'ici avec cet Autre perdu. De ce fait, l'alcool vient comblerait l'Autre
et viendrait résoudre cette tâche de séparation et, donc,
de deuil. Descombey JP.
(2005, pp. 94/97) aborde l'importance de la phase
d'individuation/séparation, charnière entre le stade de la
succion et le stade de l'acquisition de la propreté ; soit entre le
sevrage alimentaire et le retrait de la couche. En effet, « l'enfant
devra perdre le grand tout où il est fondu (...). Il lui faudra, entre
illusion fusionnelle et vide absolu (mort), créer un espace imaginaire,
de nouvelles réalités (rêves, fantasmes...) ».
Lorsque ces « communications primitives », dont nous
parlions plus haut, présentent des failles, angoisses et autres
vécus négatifs émergeraient alors dans l'espace psychique
de l'enfant. Ainsi, lorsque l'enfant prendrait conscience que son corps lui
appartient (donc, qu'il n'est plus fusionné à la mère),
émergeraient dans son monde interne « des vécus
persécutifs et des idéalisations (...) ; des angoisses
d'anéantissement, de morcellement, de perte d'identité
(...) ; fragilité du tissu psychique, impulsions sexuelles
archaïques inassimilables ; difficulté des contact, mais
dépendance ; exigence de la présence constante des autres
proches » (Descombey JP., 2005, pp. 94/97). Cela sous-entend que le
patient alcoolique n'aurait pas réussi à dépasser ce
premier stade important de la vie, celui de la séparation et de
l'individuation. Il semble qu'il n'ait pas réussi à
acquérir cette faculté de subsister seul, en l'absence d'Autrui.
Ainsi, des angoisses et des vécus négatifs émergeraient
chaque fois qu'il se trouverait confronté à lui-même. Comme
un enfant, il se verrait plongé dans un état de détresse
physique et psychique. Descombey JP. (2005, pp. 40/44) explique cela par ce
qu'il nomme le « défaut narcissique ».
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