2.3.2 Une institution
inexpérimentée dans le domaine de la formation
Mais ces compétences en médiation culturelle ne
doivent pas masquer son inexpérience en matière de formation. En
effet, on peut se demander s'il suffit d'être compétent dans un
domaine pour être en capacité de former des personnes à un
métier.
Nous avons pu voir que le Palais de Tokyo souhaite s'inscrire
dans une démarche de professionnalisation du métier de
médiateur jeune public et qu'il a une certaine légitimité
à se lancer dans cette voie. Nous allons maintenant essayer de voir
quels sont les points sur lesquels ce projet de formation pourrait rencontrer
des difficultés.
2.3.2.1 Des moyens humains suffisants ?
On peut tout d'abord s'interroger sur les ressources humaines
du Palais de Tokyo. Même si le partenariat avec d'autres organismes qu'il
soit universitaire ou privé est prévu, un certain nombre de cours
devra être assuré par le Palais de Tokyo. Les cours concernant
directement le Service jeune public représente déjà un
volume horaire conséquent pour ce service. Celui-ci sera-t-il en mesure
de les assurer ? De même, il a été convenu qu'un
certain nombre de professionnels du Palais de Tokyo puissent intervenir dans
les cours dispenser par le Palais de Tokyo. Ceux-ci seront-ils en mesure
d'intervenir sur ces cours ? On sait en effet que les bons professionnels
ne sont pas toujours les meilleurs pédagogues. Comment cette ressource
humaine doit-elle être gérée ? Enfin, la gestion d'une
formation en apprentissage comprend nécessairement un suivi approfondi
des apprentis notamment par le développement des relations avec les
entreprises et de la mise en place du tutorat. Ceci doit nécessairement
inclure des moyens humains suffisants et des compétences dans ce
domaine.
2.3.2.2 Le Palais de Tokyo, une « organisation
apprenante » ?
Selon Jeanne Schneider, un organisme de formation
traditionnel, dans sa finalité, est censé être
particulièrement concerné par le processus d'apprentissage et la
production de compétences. Ceci bien qu'important n'est pourtant pas
toujours le cas. On trouve en effet selon elle de nombreux organismes de
formations qui, en leur sein même, ne permettent pas à
leurs salariés d'apprendre au travail et de se construire des
compétences. On peut se demander si le Palais de Tokyo en tant que futur
« organisme de formation » peut-être
considéré comme une organisation apprenante. Commençons
d'abord par définir ce qu'est une organisation apprenante. Il s'agit
selon Jeanne Schneider « d'une organisation qui place la production
des compétences au centre de sa dynamique pour mieux répondre aux
besoins de ses clients et se trouver en mesure de faire face aux
évolutions économiques et technologiques ». Pour elle,
la question de la compétence renvoie à trois niveaux
d'apprentissage : individuel, collectif, organisationnel qui sont
très étroitement liés les uns aux autres. Pour être
apprenante, une organisation doit optimiser ces trois niveaux d'apprentissage.
Elle doit tout d'abord être formatrice, c'est-à-dire qu'elle doit
être centrée sur l'acquisition de connaissances et de
compétences pour résoudre des problèmes
économiques, techniques, humains, sur des projets d'investissement. Elle
vise à assurer le transfert des acquits dans les pratiques
professionnelles. Ce modèle renvoie à des pratiques formatrices
qui relèvent de l `apprentissage individuel. Elle doit ensuite
être qualifiante, c'est-à-dire qu'elle doit fournir des
situations d'apprentissage dans l'organisation du travail. Ce n'est plus
l'individu qui est visé mais l'équipe de travail. Enfin elle doit
être apprenante, c'est-à-dire qu'elle doit viser l'apprentissage
de l'organisation elle-même à travers l'apprentissage individuel
et collectif. Ici, c'est l'entreprise qui crée, acquiert, stocke et
transfère de la connaissance. Ce modèle renvoie à des
pratiques formatrices qui relèvent de l'apprentissage
organisationnel.
Pour Jeanne Schneider, l'organisme de formation est
concerné au premier chef par la compétence puisqu'il a pour
finalité de produire de la compétence à travers les jeunes
en formation. Il est également concerné par l'apprentissage
organisationnel à deux titres :
· À l'interne vis-à-vis de ses
salariés auxquels il demande de travailler en équipes, de
construire la compétence collective à travers la mise place de
projets de se centrer sur les besoins de ses clients, de construire leurs
apports en fonction de la compétence professionnelle. Pour elle, pour
que les formateurs mettent en oeuvre des actions qui relèvent d'un
apprentissage organisationnel, il faut que l'organisation elle-même soit
porteuse de ce modèle.
· À l'externe vis-à-vis des entreprises
partenaires qui prennent en apprentissage les jeunes en formation. Elle se
demande si les organismes de formation pensent, de la même manière
qu'ils engagent les entreprises à le faire, que les situations de
travail peuvent être formatrices, que les compétences de leurs
salariés doivent être managées, qu'elles peuvent être
des organisations productrices et non consommatrices de compétences.
Pour elle, une véritable réflexion par rapport
à ce modèle, permettrait à ces organismes de formation de
sans doute mieux comprendre les difficultés et les freins
rencontrés par les entreprises partenaires pour être
véritablement des entreprises formatrices.
Qu'en est-il du Palais de Tokyo ? Peut-on le
considérer comme une organisation apprenante ?
Plutôt que d'analyser l'ensemble du Palais de Tokyo,
nous nous arrêterons plutôt sur le Service jeune public, principal
concerné par le projet de formation. On peut considérer le
Service jeune public comme un service formateur car il a un réel souci
de former individuellement les médiateurs jeune public travaillant en
son sein. Le responsable du service cherche en effet à faire
acquérir des savoirs et des savoir-faire aux médiateurs(trices),
en mettant à disposition des ressources documentaires, en
conceptualisant des formats d'accompagnements, en construisant des outils et en
suivant individuellement ces médiateurs. On peut alors se demander si ce
service est suffisamment qualifiant. En effet, l'organisation du travail
fournit-elle suffisamment de situation d'apprentissage ? Les
médiateurs ont une certaine autonomie dans la mise en oeuvre et
l'animation des activités, mais il semble qu'ils soient souvent
contraints d'appliquer des formats déjà existants.
Peut-être ne disposent-ils pas assez de libertés ou de motivations
pour construire de nouveaux types de formats d'accompagnements ? Enfin, le
Service jeune public est-il un service apprenant ? C'est-à-dire
est-il dans une logique de création, d'acquisition, de stockage et de
transfert de connaissances ? On peut penser que oui dans la mesure ou ce
savoir-faire est reconnu par l'administration du Palais de Tokyo et par les
autres entreprises et institutions oeuvrant dans la culture. L'exposition
Monumenta en est la preuve. En effet, le Palais de Tokyo a offert son
savoir-faire au ministère de la Culture dans le cadre de l'exposition
d'Anselm Kiefer au Grand Palais. Le Service jeune public, ne disposant pas
suffisamment de moyens humains pour encadrer les médiations jeune public
au Grand Palais a su cependant créer de nouveaux formats. Il a ainsi su
transférer ses savoirs en formant et en suivant de nouveaux
médiateurs qui purent encadrer ces activités, construisant ainsi
chez eux de la compétence.
On peut ainsi voir que le Service jeune public du Palais de
Tokyo peut être considéré comme un « service
apprenant ». En revanche, on peut s'interroger sur le coté
apprenant du Palais de Tokyo en tant qu'institution. En effet, on peut se
demander si le fort taux de stagiaires dans les équipes est
réellement un moyen de développer de la compétence. Il
permet de développer de la compétence individuelle certes, mais
en ce qui concerne l'organisation, le fort turn-over que cela entraîne
est peut-être parfois préjudiciable à l'organisation. De
même, le fait que cette médiation jeune public ne soit pas
toujours identifiée comme une priorité peut freiner les acteurs
et l'organisation. Le pouvoir-agir est en effet une notion importante dans le
développement de la compétence et celui-ci n'est pas toujours
pris en compte. Des choix allant dans ce sens se profilent cependant comme la
volonté de créer cette formation de médiateur jeune
public, de développer l'offre jeune public au Palais de Tokyo avec les
futurs apprentis, ou encore de monter un espace d'activité
consacré au jeune public.
Ainsi on peut considérer que le Service jeune public
est un service apprenant. Il a conscience de la nécessité de
développer la compétence de ses acteurs, de son équipe et
de son organisation. Il devrait pouvoir naturellement communiquer avec les
entreprises accueillant les apprentis, sur cette notion de compétence
à acquérir.
Après avoir vu que le Palais de Tokyo était dans
une démarche de professionnalisation vis-à-vis du métier
de médiateur jeune public, nous avons pu voir que cette démarche
de professionnalisation passant notamment par le choix d'une formation en
apprentissage nécessitait d'adopter les outils de la démarche
compétences que sont les référentiels métier. Nous
nous sommes ensuite interrogés, sur les compétences qu'à
cette institution culturelle pour se lancer dans le champ de la formation. Le
Palais de Tokyo en tant qu'institution renommée et
expérimentée dans le domaine de la médiation culturelle
semble tout à fait légitime pour se lancer dans ce champ, mais il
ne doit pas être perdu de vue que cette activité constitue pour
elle une nouveauté et qu'elle est par conséquent
inexpérimentée dans ce domaine. Ainsi, même si le choix du
partenariat apparaît comme tout à fait judicieux, le Palais de
Tokyo en tant que pilote de ce projet devra développer des
compétences liées à la gestion d'une formation en
apprentissage. Nous allons donc maintenant voir les projets et propositions que
j'ai réalisés ou que je conseille pour assurer la réussite
de cette formation qui se veut professionnalisante.
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