2. Un questionnement
développemental : apport de l'analyse de la tâche de
tromperie
Selon Chandler, Fritz et Hala (1989) la capacité de
tromper émerge à l'âge de deux ans et demi. Pour d'autres
auteurs, la capacité à tromper ne se manifeste que vers trois
ans. Enfin, selon un autre groupe de chercheurs, cette capacité
apparaît à quatre ans (Sodian et Frith, 1992). Ces derniers ont en
effet montré que les enfants de trois ans utilisent des
stratégies trompeuses aussi bien avec des agents compétiteurs
qu'avec des agents coopérateurs. Ils utilisent des stratégies
trompeuses sans en comprendre les effets. On retrouve ici le débat
évoqué précédemment : une capacité
est-elle considérée comme acquise à ses prémices ou
lorsqu'elle est bien affirmée ?
D'autre part, contrairement à ce qu'avance Baron-Cohen
(1995), pour certains auteurs, les capacités de compréhension de
fausses croyances et de tromperies n'apparaissent pas en même temps.
Selon Hala et al. (1991), la tromperie émergerait avant la
compréhension des fausses croyances.
En 1998, Yirmiya et al. ont fait une méta-analyse
comparative sur le développement de la théorie de l'esprit chez
des enfants normaux, autistes et déficients intellectuels. Ils ont
utilisé trois variables modératrices potentielles dont l'une est
le type de tâches. En effet, certaines tâches étaient
réussies à l'âge de 2 ½ ans par des enfants normaux
alors que d'autres ne furent réussies qu'après 4 ans. La large
gamme de contenus et de contextes examinés dans les différentes
tâches marque la possibilité que ces tâches variées
ne testent pas exactement les mêmes capacités et que certaines
d'entre elles soient plus faciles que d'autres. Ainsi certaines données
suggèrent que les enfants normaux n'accomplissent pas de façon
équivalente tous les types de tâches.
En effet, une étude attentive de tâches
expérimentées par les différents auteurs permet de mieux
comprendre leurs résultats divergents. Hala et al. (1991) ont
posé comme conclusion de leur article que la capacité à
tromper apparaît à l'âge de 2 ½ ans avant la
capacité de réaliser des tâches de fausses croyances.
Oswald et Ollendick (1989) de même que Sparrow, Balla et Cichetti (1984),
concluent quant à eux que ces deux capacités apparaissent en
même temps. Comment expliquer cette divergence ? Les deux groupes
d'auteurs ont comparé les résultats aux deux mêmes
tâches. Pour la tâche de fausses croyances, ils ont pris en compte
les résultats au test de « Sally et Anne » et pour
la tâche de tromperie ils ont pris ceux du « penny hiding
game ». Cependant alors que Oswald et Ollendick (1989) et Sparrow et
al. (1984) ont fait passer les deux tâches aux mêmes groupes
d'enfants, Hala et al. (1991) n'ont fait passer aux enfants que la tâche
de tromperie. Ils ont comparé leurs résultats à ceux
d'autres chercheurs n'ayant fait passer que la tâche de fausses
croyances. Les résultats provenaient de deux groupes d'enfants distincts
et de deux groupes de chercheurs l'étant tout autant, ceci impute un
biais expérimental.
Selon d'autres auteurs (Sodian et Frith, 1992), la
capacité à tromper n'émerge que vers 4 ans, après
la compréhension des fausses croyances. Qu'est ce qui explique ce
renversement de situation par rapport à Oswald et al. (1989) ?
C'est la nature de la tâche de tromperie. En effet, contrairement
à précédemment, ce n'est pas la tâche de
« penny hiding game » qui est utilisée mais une
tâche plus complexe : « le Roi et le voleur ».
Cette tâche est comparable à celle de « Sally et
Anne » au niveau de la charge mentale contrairement au
« penny hiding game ». En effet, cette dernière
demande peu d'aptitude cognitive. Il y a très peu de verbalisation tant
de la part de l'expérimentateur que de l'enfant. Il n'y a pas de
scénario contextuel de la tâche. Elle demande peu de
capacité de compréhension. A contrario, le test de Sally et Anne
et le test du « le Roi et le voleur » sont très
proches l'un de l'autre. Dans les deux cas il y a deux personnages et l'enfant.
Ces tâches demandent un certain niveau de compréhension
langagière, des capacités de réflexion et d'analyse. Elles
sont construites de façon similaire : présentation des
personnages, mise en place du contexte de l'histoire, interpellation et
réponse de l'enfant. Ainsi il semble plus judicieux de comparer ces deux
tâches. Aussi les résultats de Sodian et Frith (1992) semblent
plus pertinents que ceux des auteurs vus précédemment. Cependant,
alors que ces deux tâches semblent similaires au niveau de la charge
mentale, pourquoi observe-t-on une différenciation des résultats
selon l'âge ? En effet, les auteurs ainsi que d'autres (Russel et
al., 1991; Yimiya et al., 1996), ont montré que les tâches de
tromperie sont réussies à 4 ans soit après les
tâches de fausses croyances, qui elles semblent réussies à
3 ans.
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