La sécurité juridique du contribuable dans le droit fiscal tunisien( Télécharger le fichier original )par Mariem Dhouib Ecole supérieure de commerce de Sfax (Tunisie) - Maitrise en sciences comptables 2004 |
Section 3 : L'interprétation des normes fiscalesL'ensemble des textes qui régissent la matière fiscale se caractérise, désormais, par une grande complexité. Qui engendre, par voie de conséquence, une difficulté d'appréhension de plus en plus accrue, surtout en présence de normes dont la qualité de rédaction est médiocre. Selon la définition d'ESMEIN : " interpréter, c'est rechercher le sens d'un texte, la pensée qu'il exprime. A l'entendre ainsi, tout texte comporte une interprétation ". 19(*) Plusieurs catégories d'intervenants dans le domaine fiscal proposent alors leurs interprétations, à savoir ; l'administration fiscale, le juge fiscal et le législateur, auteur de la norme. Notre étude s'intéressera donc à ces trois interprètes. Sous-section 1 : L'interprétation faite par l'administration fiscaleEn raison de sa complexité, la norme fiscale prépare un terrain favorable à l'interprétation. L'interprétation consiste alors, à expliquer un texte dont l'ambiguïté est certaine, avec des termes précis et clairs, en se limitant à son propre sens, sans pour autant modifier son contenu. En effet, la fonction interprétative est l'une des fonctions les plus délicates qu'assure l'administration fiscale à travers sa doctrine. La doctrine administrative est constituée par; les bulletins officiels de la direction des impôts (BODI), les réponses ministérielles et les prises de position. Ces différents documents administratifs ont pour objet d'expliquer et commenter les dispositions fiscales, donc les interpréter. Pour cela la doctrine devrait, normalement, respecter les grands principes d'interprétation des lois, tel que édictés par les articles de 532 à 563 du code des obligations et des contrats. Néanmoins, dans sa pratique, la doctrine a tendance à dépasser son rôle simplement interprétatif pour légiférer en matière fiscale, devenant ainsi une source indépendante du droit fiscal. Actuellement, plusieurs auteurs vont même à considérer que le droit fiscal tunisien est désormais sous tutelle administrative. En effet, l'interprétation administrative dresse parfois un écran dont le contenu déforme le texte interprété et l'éloigne de sa signification initiale. Dans ce sens on peut évoquer un exemple illustratif de cette pratique ; L'extension de l'assiette de l'impôt par la note commune n° 23/99 20(*) : Selon l'article 52 du code de l'IRPP, l'assiette de la retenue à la source au titre des bénéfices non commerciaux, est constituée par le montant brut des honoraires, commissions, courtages, loyers et rémunérations des activités non commerciales. Mais la note commune a ajouté que "...cette assiette comprend la taxe sur la valeur ajoutée pour les personnes qui y sont assujetties ", donc la retenue à la source se fait sur une assiette TVA comprise. Cette attitude administrative a été fortement critiquée par la jurisprudence, vu que la taxe qui vient pour augmenter le bénéfice constitue une TVA collectée pour le compte de l'Etat et non pas un profit imposable. On assiste donc avec flagrance à un débordement du texte interprété par l'administration fiscale, qui à travers sa doctrine se permet d'imposer sa propre lecture de la législation, qui n'est toujours pas au profit du contribuable. On ne peut aussi ignorer que le foisonnement qui caractérise la doctrine, l'abondance des documents publiés et leur degré de technicité rendent leurs lectures difficiles aux non spécialistes. Comme s'il ne suffisait pas que les textes législatifs soient en perpétuel changement, il faut encore, qu'une doctrine administrative vienne pour aggraver plus la situation et rendre plus complexe encore un droit fiscal qui est déjà volumineux. Réellement, la doctrine est dépourvue de force juridique, donc elle n'engendre pas d'effets juridiques entre administration-contribuable. De ce fait, la doctrine administrative est inopposable aux contribuables, mais peut être invoquée par ces derniers, si elle s'avère plus favorable que la législation. Donc théoriquement, la doctrine semble non préjudiciable, offre des faveurs au profit du contribuable qui en connaît l'existence pour s'en prévaloir. Néanmoins la pratique fiscale diverge toujours avec la théorie, en effet, la majorité des litiges fiscaux se résolvent en dehors des tribunaux par simple accord entre les deux parties. La fiscalité tunisienne, comme l'affirme M. Raouf Yaich, est une fiscalité à essence pratique. En effet, " la caractéristique de la fiscalité à essence pratique, fait qu'il est quasiment impossible de connaître, et encore moins, de mettre en oeuvre, les règles techniques de la fiscalité tunisienne à partir uniquement de ses textes de base ". 21(*) cette caractéristique heurte le principe de sécurité du contribuable, qui suppose que ce dernier, devrait connaître au préalable sa situation fiscale, ce qui n'est plus possible au sein d'un système à dominance pratique, une pratique qui n'est guère stable et qui change selon le cas. L'interprétation administrative peut parfois aller au delà du texte interprété, en déformant son contenu et imposant sa vision qui diffère de celle du législateur, " cette pratique, qui bafoue la légalité, subit néanmoins certaines limites ". 22(*) En effet, le juge fiscal est compétent pour contrôler la conformité de l'interprétation administrative à la législation interprétée, et proposer une interprétation plus neutre et surtout plus rigoureuse. * 19) ESMEIN, note relative à des décisions données par la cour de cassation en matière fiscale, Paris, 1927, 1932,1934. * 20) Note commune n° 23, texte n° DGI 90/28, page 127. * 21) Raouf Yaich, "Théorie fiscale", édition Raouf Yaich, Sfax 2002, page 96 * 22) Philippe Marchessou, "l'interprétation des textes fiscaux", Paris, édition: économica 1980 |
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